Le harcèlement des femmes vu de Tunisie

La campagne « Me Too », largement relayée sur les réseaux sociaux depuis dimanche 15 octobre grâce à l’initiative lancée par l’actrice Alyssa Milano est parvenue jusqu’à Tunis. Une chronique de la journaliste algérienne Mounira El Bouti

On les harcèle, car on veut profiter d’elles … malgré elles. Et cela n’a rien à voir avec leur religion, leur langue, leur âge ou même leur statut. Les femmes du monde ont leur « porc » indolent.Tant pis pour ceux que le mot « porc » dérange plus que ses victimes. Qu’on se le dise, le harcèlement n’est pas seulement une agression ponctuelle qu’on vous inflige, qui « passe » avec le temps et dont les séquelles deviennent de moins en moins visibles comme s‘il s’agissait d’une maladie physique.

Le harcèlement, c’est lorsque vous vous rendez vous-même malade : ce sont des questions qui vous turlupinent face à votre porc et seule quand vous draguez le sommeil le soir ou simplement lorsque vous marchez dans la rue, pressée comme pour échapper à votre sort. Face à votre douleur, vous êtes seule au monde.

« Pourquoi moi ? »

Qui d’entre nous ne s’est jamais posée la question : pourquoi moi ? Et surtout, qui d’entre nous en a su trouver la réponse ? A fortiori, ce n’est pas pour cause d’indigence que la réponse tarde à venir ou ne viendra jamais. Autant se rassurer tout de suite. C’est que, toutes les réponses du monde ne sauront bercer les justifications médisantes et les montages impérieusement calomnieux qu’on vous fera.

Une fois que vous vous faites une raison, c’est une autre question qui vous obnubilera : que m’arrivera-t-il si je le dénonçais ? Et c’est là que le harcèlement commence, la machine à vous asticoter le cerveau avec, les jugements d’autrui après. Oui, le harcèlement n’est pas seulement une agression ponctuelle, ce n’est pas « normal », et ce n’est pas « un passage obligatoire », comme on a essayé de nous l’inculquer, sciemment ou pas. Le harcèlement c’est ce « comportement », cette « agression », cette « intrusion », ce « dépassement » qui peut détruire votre carrière, blinder le plafond de verre que vous essayez désespérément de briser depuis longtemps.

Et c’est ce choc qui peut avoir raison de votre vie amoureuse, de votre épanouissement personnel ou encore de votre confiance en vous. C’est cette douleur qui ne vous quitte jamais, ce mauvais sort qui s’abat sur vous un jour et dont les traces restent à vie.

C’est cette injustice qu’on vous reproche au lieu de vous en défendre. Concrètement, c’est lorsqu’un homme, normal (ou pas), vous fait une démonstration de force cérébrale d’abord (ou pas) puis s’approprie vos territoires : physique et moral sans se soucier des conséquences que cela peut avoir sur vous ou votre entourage. Naturellement, l’hydre amorphe ne se soucie ni de ce que vous pensez, ni de ce que vous ressentez.

Le harcèlement, « on s’y habitue »

C’est dire que nous avons toutes été harcelées au moins une fois dans notre vie, agressées de différentes manières dans des sociétés machistes ou custos morum. Dans un monde Arabo-musulman encore enfermé dans ses traditions ou dans un monde occidental, libéré, libéral mais égoïste.

Paradoxalement, pendant que nos députés votent, bona fide , des lois censées nous protéger de toute sorte de harcèlement et que les médias vantent la ratification de ces lois, sous nos toits, nous continuons à justifier le harcèlement sous le masque des mœurs et des traditions, à silentio.

Le gouffre entre la fantasmagorie des lois et le vécu est juste vertigineux. Nous sommes agressées depuis notre tendre enfance, au primaire, au collège, au lycée, à l’Université, en entreprise et même ailleurs. Mais ça, c’est la version occidentale. Chez nous, on est harcelée par sa propre famille, son entourage, son quartier et surtout par les traditions accablantes confondues avec les problèmes d’enracinement et d’identité.

C’est un système de jugements de valeurs tout entier qui vous prend comme cible. Certaines ont appris à faire avec, d’autres, venant de l’autre hémisphère, des abysses des milieux défavorisés de la Tunisie profonde, ne savent même pas ce que cela veut dire…

Les faiseurs de morale lucifériens ont un avantage considérable de leur côté, ils peuvent jouer sur les définitions autant qu’ils le désirent et leurs soldats de l’armée médiatique, en fidèles cochers, leur rendent la besogne facile. Sommes-nous parvenus à définir le harcèlement, au-delà les longues définitions académiques lassantes, parfois détournées de la réalité, utilisées par le législateur pour faire office de bienséance ? Avons-nous réellement compris ce qu’est le harcèlement ? Si non, comment l’expliquerons-nous à nos enfants pour en préserver les générations futures ?

 Au royaume des loi factices

Des lois anti harcèlement, nous en avons à la pelle en Tunisie. En France aussi et un peu partout ailleurs mais un plan d’action opérationnel et concis n’est pas à l’ordre du jour. Et si par miracle on y pensait, il serait impensable pour les zones marginalisées, ô combien nombreuses chez nous.

Certes, promulguer une loi contre le harcèlement de rue c’est bien, mais en étudier la faisabilité et nous dire comment « prouver le harcèlement de rue », c’est mieux. Nos lois sont-elles « réalistes » ?

Combien de femmes déposent plainte et combien de plaintes sont suivies ? De combien le nombre de viols a-t-il baissé ? Qu’avons-nous fait pour sensibiliser les filles et les protéger ?

L’article 226 du code pénal tunisien prévoit une d’emprisonnement de deux ans et une amende de 5000 dinars pour tout harcèlement sexuel. Combien de fois nos juges se sont référés à ce article pour punir les « porcs « dénoncés ?

C’est à ces questions qu’il faut répondre si on veut donner l’image d’un « pays précurseur en termes des droits des femmes », les paroles confuses, analogues et les déclarations fuligineuses des associations et des groupes « féministes » ne suffisent plus. Il faut agir tout de suite.

Et ce n’est pas à une actrice hollywoodienne de nous rappeler à l’ordre et de titiller nos consciences pour astreindre la souffrance quotidienne de nos filles et de nos femmes. A contrario, c’est bien en interne qu’il faut régler ce problème que tout le monde refuse de regarder en face. Lorsque l’impunité se fait foisonnante, elle prend des airs de légitimité. Et le problème persiste.

Sur les réseaux sociaux, tant de femmes à l’espoir ascendant ont cru à cette « campagne de dénonciation », on a vu des « Me too » mais on a aussi vu des « myhto » qui ont promis de faire quelque chose et qui ont failli.

Au final, pourquoi dénonçons-nous ? Juste pour se donner bonne conscience ou pour couvrir ceux qui harcèlent encore ?