Le régime iranien est aussi fragile aujourd’hui que celui du chah en 1979, mais les puissances occidentales ne le voient pas
Le 11 février marque l’anniversaire de la révolution iranienne de 1979, un événement dont j’ai été témoin en tant qu’étudiant. J’étais bien conscient de la corruption et de la répression qui sévissaient sous le chah. Mais je n’aurais jamais imaginé qu’il tomberait en si peu temps.
Les analystes à la fin de 1978 insistaient sur son inébranlable stabilité, avançant que l’opposition n’était ni organisée ni suffisamment unifiée pour constituer une menace crédible.
Mais William Sullivan, le dernier ambassadeur américain en Iran, contrairement à de nombreux rapports de renseignement sur ce pays, présentait une idée avant la révolution : n’est-il pas temps de penser à l’Iran après le chah ? Certes, tout le monde n’était pas d’accord avec lui au département d’État ni à la Maison Blanche.
11 684 manifestations en un an
Aujourd’hui, de nombreux analystes parlent essentiellement de la même stabilité de la théocratie iranienne. Or, la situation intérieure est cent fois pire qu’elle ne l’était juste avant la chute du chah.
En fait, la situation actuelle est bien plus explosive qu’alors. Le mécontentement de la population, jeune dans sa majorité, est exacerbé par la corruption, le vol des ressources nationales, la répression de la dissidence, la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19 et l’engagement en faveur d’une idéologie fondamentaliste que la quasi-totalité des Iraniens ordinaires rejettent.
Un document « ultra confidentiel » ayant fait l’objet d’une fuite en Iran lors d’une réunion du « Groupe de travail sur la prévention de la crise de sécurité des conditions de vie élémentaires » indique que « la société est dans un état d’éruption sous-cutanée » et que le mécontentement social a augmenté de « 300% au cours de l’année écoulée ». En particulier dans cette situation explosive, l’existence d’une alternative crédible est un cauchemar pour le régime.
Le point de vue du peuple s’est clairement exprimé par d’innombrables manifestations de grande ampleur ces dernières années, dont au moins deux mouvements qualifiés de soulèvements à l’échelle nationale. Le premier a eu lieu en décembre 2017/janvier 2018 et a contribué à populariser des slogans antigouvernementaux qui réapparaissent depuis dans de nombreuses villes. Le deuxième a éclaté dans près de 200 localités en novembre 2019 et a entraîné la mort d’au moins 1500 manifestants pacifiques. Les deux soulèvements ont finalement démontré la volonté des Iraniens d’instaurer la liberté. L’année dernière, plus de 11 684 manifestations et trois soulèvements majeurs ont eu lieu en Iran.
Unités de résistance
La grande statue récemment inaugurée de Qassem Soleimani, le commandant éliminé de la Force Qods, icône du terrorisme et de l’influence régionale de Téhéran, a été incendiée par des unités de la résistance dans la ville de Shahrekord le 5 janvier 2022. Soleimani était un meurtrier de masse des Syriens, y compris de milliers d’enfants, des Irakiens et des opposants iraniens.
Par ailleurs, des chaînes de télévision et une station de radio gérées par le radiodiffuseur public iranien ont été brièvement piratées lors d’une attaque complexe menée par un groupe d’opposition le 27 janvier, selon un haut responsable du réseau. Les pirates ont diffusé des images de dirigeants de l’opposition en exil.
Mohsen Assadi-Lari et Zahra Majd, tous deux membres de la faculté des sciences médicales d’Iran, sont les parents de deux des 176 victimes de l’« accident » du vol d’Ukraine International Airlines (UIA), survenu le 8 janvier 2020 au-dessus de Téhéran. Dans une récente interview au quotidien officiel Sharq, le couple a dénoncé les autorités pour avoir utilisé l’avion comme bouclier humain et l’avoir délibérément abattu.
Un grand nombre d’actions de protestation ces dernières années – et surtout ces derniers mois – impliquent des « unités de résistance » qui affichent des portraits de Maryam Radjavi, la dirigeante du l’opposition iranienne. Ces unités soutiennent son plan en dix points pour l’avenir du pays, qui prévoit notamment la séparation de la religion et de l’Etat, l’égalité des genres et l’abolition de la peine de mort.
La fuite des capitaux
L’ancien vice-président iranien Mostafa Hashemi-Taba a déclaré à ce même journal que « selon l’ex- directeur de la Banque centrale d’Iran, 350 milliards de dollars de devises et d’or ont été vendus sur le marché libre ces 40 dernières années. Bon nombre des acheteurs sont probablement des contrebandiers ou des investisseurs extérieurs ».
Citant les chiffres de la Banque centrale, la Chambre de commerce de Téhéran a constaté que 98,4 milliards de dollars de capitaux ont quitté le pays entre les années 2011 à 2019.
Avec deux-tiers des Iraniens vivant à la lisière ou en-dessous du seuil de pauvreté, il est clair que la richesse qui a quitté l’Iran doit avoir appartenu aux cercles proches du pouvoir et qui n’ont plus aucun espoir dans sa survie et l’avenir de ce gouvernement.
La classe moyenne iranienne est clairement en train de s’enfoncer dans la pauvreté. Même Ferial Mostofi, la chef de la commission financière et du capital à la chambre de commerce de Téhéran, a averti en mai que la classe pauvre en Iran se développait.
Une « fuite des cerveaux » qui coute cher
Majid Abhari, sociologue, interrogé par le journal Arman Melli, a déploré l’exode des Iraniens instruits.
« Pour se rendre compte des dégâts économiques et de la profondeur de la tragédie, il suffit d’inclure la citation d’un historien et iranologue qui affirme que « la fuite des cerveaux a fait 300 fois plus de dégâts à l’économie iranienne ces dernières années que la guerre Iran-Irak ». Il explique que « selon Abdul Khaliq, expert principal à la Banque mondiale, la fuite des cerveaux coûte à l’Iran deux fois plus que les revenus pétroliers ».
Le 20 janvier, Javadi-Amoli un religieux renommé est allé jusqu’à dire que l’aggravation de la crise économique pourrait alimenter l’agitation populaire au point de « faire tomber le gouvernement ». Il n’est pas la seule personne liée à la théocratie à avoir lancé ce genre d’avertissement ces derniers mois. Cela soulève une question importante : si même les plus proches partisans du régime reconnaissent la fragilité du pouvoir des mollahs, pourquoi l’Occident ne le fait-il pas ?