Dans un rapport confidentiel de dix pages, daté du 13 octobre 2023, le ministre israélien du Renseignement recommande le déplacement forcé de deux millions deux-cent mille palestiniens dans le désert du Sinaï avant de les installer dans des camps de toile, puis dans des « villes nouvelles ». Lesquelles? Dans quel cadre politique? Personne ne peut le dire précisément tant l’après Gafsa imaginé par le gouvernement israélien et une « communauté internationale » sans légitimité reste totalement flou.
Mustapha Saha, ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée, sociologue, écrivain et artiste peintre, qui vit entre le Maroc et la France, dénonce ce scénario d’exclusion ethnique prôné par une partie de la classe politique israélienne, tout en revendiquant sa proximité avec le judaïsme, « une culture antique, nourrie de sagesse et de philosophie ».
Mardi, 31 octobre 2023. La nakba, le désastre, commencé en 1948, avec l’exil d’un million de palestiniens continue infernalement. C’est l’historien syrien Constantin Zoureik (1809-2000) qui forge le concept de nakba, dans son ouvrage Maâna al-nakba, Le sens de la nakba, Beyrouth, 1948, traduction anglaise The meaning of the disaster par Bayly Winder, Beyrouth, Khayat’s College Book Cooperative, 1956. « La défaite des arabes en Palestine n’est pas une calamité passagère ni une crise provisoire, mais une nakba, une catastrophe dans tous les sens du mot, la pire qui leur soit arrivée dans leur longue histoire pourtant riche en tragédies ». La plupart des livres de Constantin Zoureik, objets de nombreux commentaires, victimes d’une étrange ostracisation traductionnelle, ne sont pas trouvables qu’en arabe. En 1966, Constantin Zoureik poursuit sa théorisation dans Maâna al-nakba moujadadan, le sens du désastre revisité, où il conceptualise une science de la catastrophe. La défaite de 1967 provoque une naksa, une rechute, et l’écroulement du mythe nassérien d’unité arabe. Les sociétés arabes se diversifient, se spécifient. Les réalités se complexifient. La tragédie palestinienne s’approfondit.
Le colonialisme sioniste, financé notamment par la banque Rothschild, commence en 1880, s’intensifie pendant l’occupation britannique. Des juifs russes, qui se font appeler les Amoureux de Sion, établissent les premières colonies. Le sionisme, issu d’une minorité ashkénaze conquérante, confisque la question juive. L’agronome et colonisateur polonais Haïm Margaliot-Kalvarisky (1868-1947) confesse en 1920 après avoir spolié les palestiniens pendant vingt-cinq ans : « La question des arabes m’est apparue pour la première fois dans toute sa gravité immédiatement après l’achat des terres leur appartenant. Je les ai dépossédés dans le seul but d’installer nos frères ». Le sionisme n’est pas le judaïsme.
Le judaïsme est une culture antique, nourrie de sagesse et de philosophie. Le sionisme est une machine de guerre qui n’a d’autre raison d’être que la guerre, l’extermination, l’anéantissement.
Les arabes comme les juifs sont des sémites. L’antisémitisme est un produit culturel européen. Il s’agit d’un racisme particulier où la figure du juif symbolise, depuis le Moyen Âge, l’étranger disséminateur de corruption, de dépravation, d’avilissement. Le juif accusé d’empoisonner les puits, de répandre la peste, est persécuté, torturé, trucidé par la perquisition. Il subit les pogroms, les massacres du tsarisme. Il est traité de spéculateur, d’agioteur, de dissimulateur, de contrefacteur, de faux-monnayeur, de conspirateur. L’antisémitisme creuse le lit du fascisme. Le confusionnisme idéologique amalgame les contraires. Le gobinisme, le maurrassisme, le pétainisme se réhabilitent. Le sionisme se promeut comme une défense de la race blanche. L’extrême-droite française fait aujourd’hui bloc derrière le gouvernement israélien.
Paradoxe historique d’un régime israélien qui évolue vers un fascisme assumé, sans imagination politique, uniquement fondé sur le bombardement incessant, la destruction totale, la terreur militaire, et une résistance palestinienne qui ne faiblit pas, qui se renforce dans le malheur. La nakba, c’est l’expulsion méthodique, parfaitement planifiée, des palestiniens de leurs villages, de leurs maisons, de leurs terres, idéologisée comme un processus perpétuel, nécessaire à la survie d’Israël. Le bourreau se victimise.
Le premier ministre israélien déclare en 2018 : « Israël doit se préparer à faire face aux futures menaces existentielles s’il veut célébrer son centième anniversaire. Le royaume hasmonéen de Judée (142-43 avant l’ère chrétienne) n’avait survécu qu’environ 80 ans ». La mythologie biblique sert de justification divine. Israël est une fabrication conjointe du sionisme et du colonialisme britannique. Le rapport Peel du 7 juillet 1937, suite à une révolte de la population arabe, recommande l’abolition du mandat britannique, à l’exception d’un corridor autour de Jérusalem, et la répartition des territoires sous autorité britannique entre une entité arabe et une entité juive. Le rapport légitime, de fait, l’expropriation des palestiniens. Les sionistes ne contrôlent encore, à cette époque, que 5,6 % des terres palestiniennes.
« Le transfert obligatoire des arabes nous donnera quelque chose que nous n’avons jamais eu, même lorsque nous étions maîtres du premier temple et du second temple.»David Ben Gourion, « Les Secrets de la création de l’Etat d’Israël »
Le plan de partition des Nations Unies de 1947, qui interdit explicitement la confiscation des terres et l’expulsion des populations palestiniennes, faute d’être ratifié, demeure une proposition non contraignante, sans portée juridique. Les sionistes le violent systématiquement, impunément. Le plan exclut toute discrimination ethnique, religieuse, linguistique. Or le sioniste impose toujours son apartheidisme, son ségrégationnisme, son racisme.
Face au ralliement inconditionnel de l’impérialisme occidental aux exactions du sionisme, la solidarité avec la Palestine s’affirme dans les campus américaines, les universités européennes, les stades de football. Les juifs pacifistes font partout entendre leur voix. Des militants des organisations IfNotNow et Jewish Voice for Peace manifestent le lundi 16 octobre 2023 pour un cessez-le-feu devant la Maison-Blanche. Un porte-parole explique : « Beaucoup d’entre nous sont endeuillés. Ils ont des proches tués ou kidnappés. Mais, nous sommes aussi en colère de voir notre douleur instrumentalisée pour commettre un génocide contre les palestiniens. Nous ne pouvons dire, et nous ne dirons pas, que les actes des combattants palestiniens n’ont pas été provoqués. Le sang des civils juifs tués par le Hamas est sur les mains du gouvernement israélien, ainsi que sur celles du gouvernement américain, qui finance et justifie sa politique irresponsable ».
« Nous, les organisations étudiantes soussignées, tenons le régime israélien entièrement responsable de toute la violence qui se déroule. Nous appelons la communauté de Harvard à une prise de position ferme contre les représailles coloniales et l’anéantissement en cours des palestiniens ». Les étudiants harvardiens du mardi 10 octobre 2O23
Des donateurs milliardaires s’encolèrent à cause des manifestations propalestiniennes de trente-quatre associations étudiantes de l’université de Harvard. Leslie Wexner, ancien patron de Victoria’s Secret, impliqué dans l’affaire Jeffrey Epstein, coupe ses liens avec Harvard. Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial et héritier des parfums Estée Lauder, supprime ses donations à l’université de Pennsylvanie parce qu’elle a organisé un festival d’écrivains palestiniens. Jon Huntsman, ancien ambassadeur américain en Chine, annonce qu’il ferme son carnet de chèques.
Les propalestiniens sont d’ores et déjà pistés, mis sur listes noires. Des offres d’embauche à des étudiants de Harvard et de Colombia sont annulées. Dénonciations nominatives avec publication d’informations personnelles. Le jeudi 12 octobre 2023, un camion exhibant les noms d’étudiants signataires d’une pétition propalestinienne sillonne les rues de Cambridge. Le maccartisme est de retour. Mercredi, 25 octobre 2023, les supporters du club de football Celtic de Glasgow, à l’occasion du match de la Ligue des champions face à l’Atlético de Madrid, affichent une solidarité massive avec les palestiniens. Les travées du stade écossais sont tapissées de milliers d’étendards palestiniens. Des slogans Free Palestine sont tracés sur de grandes banderoles.
« En tant qu’universitaires et praticiens du droit international, des études de conflits et des études sur le génocide, nous sommes obligés de tirer la sonnette d’alarme sur la possibilité qu’un crime de génocide soit perpétré par les forces israéliennes contre les Palestiniens dans la bande de Gaza. ». Huit-cents spécialistes du droit international, 15 octobre 2023
La déclaration de juristes (voir ci dessus) intervient deux jours avant l’attaque contre l’hôpital Al-Ahli de Gaza, rempli de blessés et de civils cherchant refuge. Plus de cinq cents morts. Volker Türk, haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme : « Les mots me manquent. Ce soir, des centaines de personnes ont été tuées, de manière horrible, lors d’une frappe massive contre l’hôpital arabe Al Ahli dans la ville de Gaza, notamment des patients, des professionnels de la santé, des familles qui cherchaient refuge autour de l’hôpital. Encore une fois les plus vulnérables. C’est totalement inacceptable ».
Lundi, 30 octobre 2023. Craig Mokhiber, directeur du bureau des droits de l’homme de l’ONU, en poste depuis 1992, démissionne. Il écrit dans une lettre : « La situation actuelle en Palestine est un cas d’école de génocide en cours. Le projet colonial israélien, axé sur l’ethno-nationalisme, entre maintenant dans sa phase terminale, conduisant à l’accélération de la destruction des dernières traces de la vie palestinienne autochtone. Le génocide actuel est le résultat de décennies d’impunité israélienne, soutenue par les américains et les européens, et de déshumanisation du peuple palestinien par les principaux médias occidentaux ». La gouvernance française opte pour une politique ouvertement sioniste, interdit toute manifestation propalestinienne, expulse des résidents étrangers pour délit d’opinion. Les médias français invitent quotidiennement des propagandistes sionistes et des porte-paroles de l’armée israélienne.
Le sionisme convoite, entre autres, le gisement de gaz au large de Gaza de trente milliards de mètres cubes, découvert en 1999, dans une zone maritime appartenant au territoire palestinien. La manne gazière pourrait assurer l’autosuffisance énergétique et augmenter conséquemment le niveau de vie. Le gouvernement israélien bloque depuis vingt-quatre ans son exploitation. 60 % de la population gazaouite vit en dessous du seuil de pauvreté. 50 % des adultes sont au chômage. Un million trois-cent mille personnes dépendent de l’aide humanitaire. L’électricité n’est disponible que la moitié du temps. Huit-cent mille personnes n’ont pas un accès régulier à l’eau. Le territoire compte à peine deux médecins et un lit d’hôpital pour mille habitants. L’espérance de vie est inférieure de dix ans à celle des israéliens. Le colonialisme maintient le colonisé dans un état permanent de précarité maximale. Il obstrue tout ce qui concourt à son émancipation.
Dans un rapport confidentiel de dix pages, daté du 13 octobre 2023, le ministre israélien du Renseignement recommande la déportation forcée de deux millions deux-cent mille palestiniens dans le désert du Sinaï, de les installer dans camps de toile, puis dans des villes nouvelles. Les interdire de retour. Le plan se décline en trois étapes. Evacuer la population vers le sud pendant le bombardement massif du nord. Ouvrir la voie à une incursion terrestre de l’armée israélienne. Détruire les bunkers souterrains. Occuper toute la bande de Gaza vidée de sa population. L’opération doit se vendre à l’opinion internationale comme une action humanitaire « évitant plus de morts parmi les civils par rapport aux pertes attendues si la population reste». Le texte insiste sur le fait d’empêcher, à tout prix, la création d’un État palestinien.
Le sionisme n’a qu’une obsession, raser Gaza, se débarrasser définitivement de sa population. Un nettoyage ethnique en règle.
La guerre de communication sur le nombre de victimes à Gaza