Et si l’Iran gagnait cette guerre sans y participer

Y a-t-il des gagnants dans cette guerre qui dure depuis plus de 40 jours (on devrait dire plus de 75 ans) entre Israël et le peuple palestinien ? Sans doute l’Iran, qui fait cette guerre par alliés interposés, tout en « dealant » en sous mains avec les Américains

Un article de Malek Elkhoury

Cette guerre ne cible pas le seul Hamas. Si c’était le cas, pourquoi les colons, avec l’aide officielle de l’armée israélienne, continuent-ils d’occuper des nouvelles terres, de détruire près de trois cent maisons, d’arrêter des Palestiniens (près de 3’000 nouvelles arrestations), d’empêcher les habitants de prier sur l’esplanade d’Al Aqsa ? Pourquoi empêche-t-on les Palestiniens-Israéliens (ceux de l’intérieur comme on les dénomme) de mettre des versets du Coran sur les réseaux sociaux sous prétexte d’être taxés de membres du Hamas (donc « terroristes ») ? Plus de 12’000 morts, dont plus de 5’000 enfants, plus de 20 hôpitaux détruits, des écoles, des ambulances, des médecins, des infirmiers. Plus d’une centaine d’employés onusiens. Tout cela est-il un « dommage collatéral » ?

Le Hamas chancelant, mais conforté

Hamas sera provisoirement affaibli. Si un cessez-le-feu s’installe dans un délai raisonnable, ce qui semble se profiler, Hamas aura quelques années devant elle pour se « refaire une santé » (se rappeler Hezbollah entre 2006 et aujourd’hui). Donc à terme, Hamas sera « revigoré ».

Israël qui dispose aujourd’hui d’une économie encore assez solide sera certes affecté immédiatement par la guerre, mais l’impact de celle-ci sera beaucoup plus important dans le futur, sur les investissements, les aides internationales, les accords économiques, etc. Sans parler des problèmes politiques internes très grands et son isolement international grandissant. Sans oublier l’émigration actuelle assez importante, dont on ne sait pas qui reviendra dans un pays qui ne semble plus être aussi sûr qu’auparavant et ne pas pouvoir assurer la garantie de ces citoyens (…°

Si la population palestiniennei a payé un prix extrêmement élevé dans cette guerre, la « Cause Palestinienne, » elle, est revenue en force au centre de la problématique proche-orientale et obligera toutes les parties prenantes aux futures négociations de discuter de l’avenir sérieux et durable du peuple palestinien.

Les gouvernements arabes, faibles, lâches, couards, serviles, peureux n’ont pas pris de position claire, et pourraient revoir leur stratégie précédente de normalisation avec Israël, renforcer leurs relations avec la Chine, la Russie et les BRICS et continuer le processus de rapprochement entre l’Iran et l’Arabie.

Pays perdants et pays charnières

Les principaux perdants sont le Droit International, la Démocratie Occidentale, l’ONU dans sa forme actuelle.

La Turquie, l’Egypte et le Qatar sont dans des positions charnières et pourront certainement jouer un rôle à l’avenir. Principalement dans les négociations futures, surtout que les USA (ainsi que les gouvernements européens) ont perdu une bonne partie de leur crédibilité comme un partenaire impartial.

Le camp gagnant est celui de l’axe Russie-Chine-Iran. La Russie mise sur une guerre d’usure avec l’Ukraine, dont le soutien occidental ne peut qu’aller faiblissant puisqu’une partie de ce dernier va à Israël et que les économies occidentales s’épuisent. De plus, la Russie pourrait également faire partie des médiateurs ou négociateurs, vu ses relations avec les parties en conflit.

L’Iran, le grand gagnant

La Chine qui avance silencieusement dans cette région et a enclenché un rapprochement très timide entre l’Arabie et l’Iran. Elle est aussi la plus grande puissance dans les BRICS et va tenter de renforcer ce nouvel outil financier (dont l’évolution reste toutefois freinée, ralentie et limitée par la domination encore importante du dollar américain dans l’économie mondiale). La Chine va aussi profiter de la perte de crédibilité américaine pour proposer des investissements ou des crédits (même s’ils ne sont pas toujours favorables aux pays emprunteurs) ou même sa médiation.

Quant à l’Iran, c’est le grand gagnant de cette guerre. Dès le premier jour de la guerre (7 octobre 2023) les USA ont dit et répété plusieurs fois que, même si Hamas est un allié stratégique de l’Iran et que ce dernier le finance, l’entraîne, lui envoie des armes, etc, l’Iran n’a pas pris part à la décision de Hamas d’enclencher cette guerre, ni même de l’avoir préparée. Peu importe si cette allégation est correcte ou pas, cela indique la volonté américaine d’épargner l’Iran. De surcroît, par deux fois au moins durant cette guerre, les USA ont levé partiellement des sanctions et permis à l’Iran d’encaisser plusieurs milliards de dollars bloqués initialement.

Les USA ont maintes fois demandé à l’Iran de ne pas intervenir. Plusieurs émissaires ont été envoyés ou ont été en contact direct ou indirect avec l’Iran pour leur demander de ne pas ouvrir de nouveaux fronts. Ce que l’Iran a fait, à l’exception des « escarmouches » sur les trois fronts que sont le Liban, l’Irak et le Yémen. L’Iran a aussi confirmé directement ou indirectement (par Nasrallah) que d’autres fronts ne seraient pas ouverts. En tous cas jusqu’à maintenant.

Ce « service » rendu à l’Amérique va être « facturé » (selon l’expression d’un ami). Or éviter une guerre régionale aux conséquences locales et internationales inconnues est un prix qui doit être payé très cher. Je ne serai pas du tout surpris de constater qu’un volet essentiel (peut-être le principal) des négociations de l’après-guerre ne soit entre l’Iran et les USA avec à la clef la réhabilitation de l’Iran sur la scène internationale.

Le pragmatisme américain

Les Américains sont des pragmatiques sans idéologie. Ce qui compte pour les USA ce sont ses intérêts dans le but de domination maximale de la planète. Pour eux il n’y a donc que des partenaires actuels ou potentiels. Tant qu’un « potentiel » n’a pas signé une relation de coopération durable, il reste un concurrent à éliminer ou à affaiblir. L’idéal pour les USA est que le partenaire actuel ou futur se « soumette » aux conditions américaines (Europe, Japon ou Arabie Saoudite). Si cela n’est pas possible, il traitera avec lui comme un partenaire avec une grande prudence, tout en continuant à le combattre au moins économiquement (la Chine) sinon militairement (la Russie).

Quelle sera la relation future des USA avec l’Iran ? Soumise comme l’Europe (difficile, voire impossible), simplement économique comme le Vietnam (compliqué à cause des énormes investissements chinois), conflictuelle et/ou militaire (jusqu’à maintenant toutes les tentatives ont échoué) ? Y aura-t-il un nouveau modèle de partenariat ? Seul l’avenir nous le dira.

Il est en tous cas très probable que l’Iran jouera un rôle essentiel particulièrement dans sa relation avec les USA.

 

 

 

Beyrouth le 19.11.23 (A suivre)