En moins d’une semaine en Algérie, le gouvernement apparaît totalement sous-dimensionné pour piloter la pandémie et les militaires ont pris le pouvoir. Une chronique de Ghazi Hidouci, ancien ministre algérien pendant la transition démocraatique de 1988 à 1992 et un observateur avisé de la situation algérienne
La situation que nous traversons est brutale et massive, avec un tiers de la société forcée au confinement, l’économie paralysée et les décrets de toutes sortes qui se multiplient hors de tout contrôle et en l’absence totale de pilotage étatique. Efficacité zéro, urgence absolue, chaos sur les marchés, pénuries, impotence dans n’importe quel recoin de la gestion, et plus que jamais injustice, raisonnement policier stupide et absence des décisions humaines. Les exigences du Hirak prennent tout leur sens : mise aux arrêts immédiats de la politique de la coupole des généraux, réorientation immédiate de la production en vue de l’intérêt général, abandon immédiat et définitif des privilèges et de la corruption et mise en délibération d’une autre société.
Un coup d’état total
Nous avons la conscience que c’est difficile de demeurer pacifique face au nombre gigantesque de morts, des deuils, des peurs paniques et des détresses terribles sur la quasi-totalité de la société dans des positions de plus inégalitaires. L’économie plonge comme une farce mais d’immenses profits sont au rendez-vous pour les Issabas et de leurs rejetons.
Nous assistons à un coup d’Etat total, paralysés. La coupole, malgré la peur de la mort, en est heureuse et veut que la quarantaine pour les gens dure. Le calcul est le plus stupide que le régime ait imaginé depuis 1962. En deux mois de confinement, toute la construction de la coupole sera réduite en poussière, généraux malades au front.
En moins d’une semaine, le gouvernement apparaît totalement sous-dimensionné pour piloter la pandémie; les mensonges de la presse ne tiennent pas 24 heures et se retournent contre leurs auteurs, la décharge de ratages atteint déjà les relations internationales, de Vienne, Genève à Pékin. La cellule de crise, face à l’échec évolue en «commando» d’urgence, bientôt totalement piloté par «Abla», de la semoule aux masques. L’occupation néocoloniale avance et les chefs de la coupole évoluent en Batista. Aucun ne saisit le changement radical rapide qui envahit le monde.
On se laisse confiner quelques semaines tandis que la police colle des amendes salées à toutes celles et tous ceux qui restent dans les rues et que les patron-ne-s font venir de force au turbin contagieux toutes celles et tous ceux qui font tourner les secteurs dits essentiels de l’économie. Papa-patron veille à rester agresseur, enferme maman qui ne prend plus l’avion, surveille les sorties interdites de sa fille et alimente son fils des marchés publics et des pénuries qui restent. Il attend un pic pétrolier et prie pour la fin du Hirak et des millions de personnes chaque vendredi et chaque vendredi dans les rues. Il rêve que tout le monde cesse de détester « Abla » et la classe politique corrompue jusqu’à la moelle, ne pense plus au Code du travail, à un vrai système de santé égalitaire. On sortira malheureusement dès que possible par millions dans la rue pour le crier pendant que papa, maman seront fatigués et un peu allégés de richesse. Face au bilan de la gestion que nous allons observer dans le traitement de la pandémie les rêves de papa-maman ne servent pas à grand chose ; les gens n’ont plus besoin des syndicats et des partis d’escrocs pour se mobiliser, ni d’idées politiques piégées d’aucune sorte, ou de tous ces fameux corps intermédiaires vendus, presque tous, à nos bourreaux.
Fédérer les résistances
Mettez-vous bien ça dans la tête, enfoncez-vous bien ça dans le crâne: le confinement ne nous a pas coupé les ailes, il nous a définitivement convaincu que nous sommes dans la Vérité, collectivement. La tâche révolutionnaire actuelle est de voir la gestion de la farce de santé, la déroute du commerce et des prix, l’ampleur du problème de la dégénérescence du régime et en même temps de s’organiser, penser en groupes locaux, fédérer les résistances. Pendant que vous vous empoisonnez de mensonges, ça bouge. Comprendre, donc, ce qui nous arrive globalement et individuellement, parvenir à discerner ce qui est nouveau, les logiques mafieuses qui cherchent quotidiennement le moyen pour reprendre le dessus, l’initiative. «
Plus uni-e-s, mieux réunis dans la solidarité, mieux informé-e-sn nous saurons demain tirer le meilleur parti de la pandémie. Le credo: « bouge pas, ferme-là, travaille, bouffe de la merde et consomme des trucs inutiles avec les micro-crédits qu’on te prête et estime-toi content-e, et puis souris quand tes dirigeant-e-s obtiennent des macro-crédits pour se payer des villas de luxe avec les rétro-commissions, souris parce que cet argent, c’est toi qui le rembourseras». C’est fini avec cette catastrophe. Nous avons appris à lire sur les plans économiques et politiques. L’idée de «Abla» que le confinement permet de séparer, d’atomiser les gens et de réduire ses espaces potentiellement politiques, est détruite par la solidarité culturelle de voisinage. L’action associative, politique, n’est pas liquidée dans le Hirak nous a habitué à la politique de regroupements locaux de gens. On essaye alors, en fin de parcours, « la stratégie du choc». L’expérimentation en grandeur réelle des techniques nationales et transnationales inutiles de gestion de catastrophe.
Le virus n’est rien, le système social est tout. Le problème, c’est la casse des systèmes de santé publics, la fermeture de dizaines de milliers de lits partout dans le monde pour « dépenser moins », le chômage, les salaires de misère et bien évidemment, la guerre commerciale entre les riches des Issabas qui veulent gagner de l’argent et non pas guérir les malades. «Soyez malades et mourez chez vous ou dans la rue, mais faites-le sans rien coûter ou le moins possible, ou mieux encore, mourez en continuant à rapporter ». Un mode de gouvernement qui consacre le rôle central de l’acteur politique militaro-détourneur. En effet, ce que beaucoup considèrent comme une sorte de «coup d’état sanitaire» à la faveur du Coronavirus, pensons le comme un coup d’état militaro-détourneur. Le coup d’état militaro-détourneur possède au moins quatre dimensions importantes.
Premier point, les militaires ne prennent pas directement le pouvoir, comme avant ; le faux président est légitimé.
Deuxième point, les militaires apparaissent comme protecteurs et sauveurs, dispensateurs de nourriture, d’hôpitaux de campagne, garants du respect du confinement et peut-être à moyen terme, de la continuité de la production, quand il n’y aura plus rien d’autre. Pour cela il faut des stocks d’argent, ce qui manque le plus. Il faut aussi des gens qui soutiennent. Or les récalcitrant-e-s potentiel-le-s, ce sont les gens qui pourraient refuser d’aller se faire contaminer pour des paies misérables, les rebelles dans l’âme et celles et ceux qui sont «toujours-déjà mort-e-s». En fait, et surtout, l’ennemi c’est absolument tout le monde. Puisque le virus peut être en chacun-e d’entre nous. Sans qu’il se voie, sans même que nous en ayons conscience. Plus besoin d’être Hirak politisé-e pour être l’adversaire, plus besoin même de croire autrement que l’Etat, d’avoir une langue différente, un genre suspect ou d’appartenir à une classe dangereuse. L’ensemble de la population est suspecte. Et la guerre lancée par le clan militaro-détourneur, à la différence des guerres classiques, n’obéit pas à la moindre convention. Le Coronavirus, aujourd’hui, nous amène un pas plus loin. Nous passons d’une société de contrôle à une société de surveillance, une société de contrainte. Le Coronavirus qui nous a tou-te-s surpris-es au tournant de cette année 2020, d’où qu’il vienne et où qu’il aille, est en train de servir à une sorte de coup d’Etat parfait du clan militaro-détourneur. Ces évolutions sont en train d’advenir dans ces rues qui étaient à nous. Nous avons l’intelligence politique, le temps et l’énergie de s’y opposer. Telle est la tâche révolutionnaire d’organisation que nous avons répété régulièrement depuis mars 1919. C’est localement qu’il faudra nous y prendre pour les missions suivantes:
a) Nous mobiliser pour virer nos dirigeant-e-s politiques et économiques, locaux, nationaux.
b) Repenser le travail, sa division, sa rémunération, son sens.
c) résoudre le fichu problème de l’argent (il y en aura assez pour tout le monde).
d) Abattre les rapports coloniaux et militaro-détourneurs.
Parmi toutes les luttes presque invisibles et pourtant capitales que les un-e-s et les autres mènent, fin des violences policières et de la discrimination systématique des quartiers populaires. solidarité à échelle locale de l’outil productif, en commençant par ce qui touche la santé, l’alimentation, le logement et le transport. Défense, récupération et gestion partagée de la terre, de l’eau, de l’air, des forêts et de diversité du vivant. Restriction absolue du domaine de la finance, restriction drastique des logiques de marché spéculatifs, extension du domaine des communs et de la délibération populaire. Et puis surtout, surtout, revendiquer avec les pauvres de la cité, la désobéissance étatique.