La Côte d’Ivoire va-t-elle connaître son « Tazartché », le slogan des partisans de l’ancien Président du Niger, Mamadou Tandja renversé par l’armée en 2010? des Lagunes ?
Par Chris Yapi, avec la collaboration de Marou Idrissou à Niamey.
L’histoire de l’impossible troisième mandat qui a coûté son fauteuil à l’ancien Président du Nigere et liquidé les acquis de dix ans de redressement économique va-t-elle se répéter en Côte d’Ivoire ? Les faits indiquent que oui. L’histoire nous enseigne que c’est tout à fait probable.
« Tazartché » est un mot qui signifie « continuité » ou « prolongation » en haoussa, la langue la plus parlée du Niger. Ce mot était devenu le slogan des partisans de l’ancien Président du Niger, Mamadou Tandja, en 2009. Plus qu’un slogan, le Tazartché était la planche de salut à laquelle s’accrochaient, avec l’énergie du désespoir, les membres du clan au pouvoir, la coterie de jeunes loups du MNSD-Nassara (Mouvement National pour la Société du Développement) et le conglomérat de tous les opportunistes profito-situationnistes nigériens, qui voyaient en un maintien du Président au-delà du terme légal de son mandat l’occasion de garder ou d’accéder à des privilèges indus.
Mamadou Tandja fut l’un des rares Présidents nigériens arrivés démocratiquement au pouvoir par des élections libres et transparentes. Après une période de transition militaire dirigée par le Commandant Daouda Malam Wanké, qui avait renversé le Général Ibrahim Baré Maïnassara, le lieutenant-colonel à la retraite Mamadou Tandja fut élu Président de la République pour cinq ans et prit ses fonctions le 22 décembre 1999.
Une très large coalition politique
Grâce aux fonds issus du programme PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), le nouveau Président initie un « Programme Spécial » sous son contrôle. Avec « son » programme spécial, il multiplie les cases de santé, les classes, les mini-barrages, les seuils d’épandage, les puits pastoraux, octroie des crédits aux femmes rurales etc. De nouvelles bâtisses font leur apparition et quelques kilomètres de bitume sont posés. Ses réalisations sont positivement perçues par le monde rural.
En novembre 2004, il est réélu sans surprise pour un second et dernier mandat de cinq ans, devenant ainsi le premier Président bouclant un mandat entier sans être renversé par un coup d’État.
En effet, pendant ses dix ans au pouvoir, le Président Tandja bénéficie d’une coalition politique qui lui permet de gouverner sans soucis majeurs. Politiquement, il est soutenu notamment par :
– Le MNSD-Nassara, son parti d’alors ;
– Hama Amadou, Premier ministre et secrétaire général du même parti ;
-Mahamane Ousmane, président du Parlement et président de la Convention Démocratique et Sociale (CDS-Rahama) ;
– Cheiffou Amadou, président du Conseil Économique, Social et Culturel et président du Rassemblement Social-Démocrate (RSD-Gaskiya) ;
-Moumouni Adamou Djermakoye et son parti l’Alliance Nigérienne pour la Démocratie et le Progrès (ANDP-ZamanLahiya) ;
– Hamid Algabid, ancien secrétaire général de l’Organisation de la Conférence Islamique, président du Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès (RDP Jama’a), parti fondé par le défunt Président Baré Maïnassara ;
– Sanoussi Tambari Jackou, président du Parti Nigérien pour l’Autogestion (PNA Al Ouma), qui représentait la gauche pure et dure. Il faut noter que M. Sanoussi a subi la purge de Seyni Kountché et il fut emprisonné pendant seize ans sous le régime d’exception. On pourrait le comparer à M. Bamba Moriféré en Côte d’Ivoire.
Un seul opposant, Mahamadou Issoufou
À l’époque, seul l’actuel Président de la République du Niger, le socialiste Mahamadou Issoufou, issu des milieux syndicalistes estudiantins, demeure dans l’opposition.
Pendant dix ans, Mamadou Tandja règne en maître incontesté sur le Niger. Sa priorité est de rétablir les contacts avec les bailleurs de fonds internationaux et de leur offrir des garanties de stabilité et de libéralisme économique. Il sait que le budget du Niger dépend pour 50% de l’aide internationale. Il donne donc des gages de sécurité et de fermeté aux investisseurs.
En 2007, il est juste perturbé par la résurgence au nord du pays de la rébellion touarègue, dénommée Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ), qu’il avait matée sous d’autres appellations en 1990, quand il était ministre de l’Intérieur du Général Ali Saïbou. Il doit également faire face à des contestations estudiantines, mais surtout à une mutinerie de plusieurs unités militaires.
Il la mate avec fermeté et interdit à la presse d’en parler. Huit (8) propriétaires de journaux privés ayant rapporté l’information sont arrêtés et conduits à la Documentation d’État, la police politique du régime. Pour ce qui est de la rébellion touarègue du MNJ, il décrète tous les trois mois, « l’état de mise en garde » dans le nord du pays.
Des années de stabilité économique et sociale
Des dix années de gouvernance Tandja, l’opinion publique veut retenir la reprise de la coopération avec les bailleurs de fonds et les partenaires au développement, la régularité du versement des salaires des fonctionnaires, la stabilité retrouvée, un effort en direction du monde rural et le lancement des grands chantiers d’infrastructures.
Mais en 2008, le groupe français AREVA met à jour d’énormes gisements d’uranium sur le site d’Imouraren et prévoit un contrat d’exploitation de plusieurs milliards d’euros avec le Niger sur trente-cinq ans !
Aussitôt, dès la fin de cette année-là, des voix s’élèvent pour réclamer au Président de Tazartcher (continuer) encore trois ans après la fin de son mandat. Une campagne des Tazartchistes (les supporters de Tandja) s’organise. Des autorités administratives, coutumières et politiques favorables au courant présidentiel mobilisent les populations et entament un ballet devant les caméras pour demander au chef de l’État de rempiler pour trois années supplémentaires. Tous les médias d’État sont mis à contribution, pour le supplier de ne pas rester sourd aux requêtes de son peuple. Les Tazartchistes mettent en avant les grands chantiers qui restent à achever : le deuxième pont de la capitale en construction sur le fleuve Niger, la raffinerie de pétrole de Zinder, l’usine d’extraction d’uranium d’Imouraren, dans la région d’Agadez, l’usine d’extraction de charbon de Sakadama, la cimenterie de Kaou, dans la région de Tahoua et le barrage de Kandadji.
Les alliés politiques sont abasourdis devant le silence du chef de l’État, qui ne dit rien. La Constitution de 1999 interdit au Président de dépasser deux mandats de cinq ans et Mamadou Tandja le sait, mais il se tait !
Le feu vert ambigu de Nicolas Sarkozy
Toutefois, à l’occasion de la visite du Président français Nicolas Sarkozy à Niamey, le 27 mars 2009, la question est posée directement par un journaliste français à Mamadou Tandja et il est obligé d’y répondre en ces termes :
« Grandir, pour moi, est de partir la tête haute. Quand la table est desservie, il faut partir. (…) Donc, je suis très clair là-dessus. Je n’ai jamais demandé à aucun Nigérien, un instant : est-ce qu’on peut ceci, on peut cela, où on va ? Jamais. Et je ne le ferai jamais, demander quoi que ce soit à un Nigérien pour que lui m’amène à changer la Constitution nigérienne ou alors à chercher des modifications dans notre Constitution.(…)Maintenant, pour ce qui est du peuple nigérien, les régions se sont prononcées pour dire : ‘Permettez au Président Tandja trois ans pour lui permettre de boucler tous les chantiers qu’il a démarrés, pour des raisons de stabilité et pour compléter ce qui est programmé.’
C’est l’affaire du peuple et de l’Assemblée. Ce n’est plus pour Tandja et Tandja ne parlera ni au Président de l’Assemblée, ni à quelqu’un d’autre, pour dire à l’Assemblée de regarder cela (…). Mais, à eux de savoir ce qu’il faut faire. Moi, je suis prêt à partir demain. Le 22 décembre, c’est la fin de mon mandat : au revoir, je me retire et merci bien. »
Tout le monde est stupéfait : le Président Tandja déclare qu’a priori, il n’est pas intéressé par un prolongement anticonstitutionnel de son mandat, mais si l’Assemblée nationale se penche sur la question, il pourrait réexaminer sa position ! Le Président Nicolas Sarkozy, qui est présent à ses côtés, fait une déclaration alambiquée dans laquelle on retient deux éléments clé. Le premier, c’est cette phrase : « Depuis moins de 50 ans que le Niger est indépendant (…), la seule période de démocratie et de stabilité, c’est celle des deux mandats du Président Mamadou Tandja.(…) Que la classe politique nigérienne décide. Ce que je pense, c’est que s’il devait se décider quoi que ce soit, ça devrait être fait par le consensus et que le bien le plus précieux, c’est la stabilité qu’ils ont obtenue et la démocratie ». Et la deuxième phrase qui est une bombe : « Moi, j’ai changé la Constitution pour limiter le nombre de mandats. Je ne peux pas être contre. »
« Je ne peux pas rester insensible à l’appel du peuple. »
En définitive, l’opposition a compris :« je ne suis pas contre la limitation des mandats », mais le Président Tandja a compris : « je ne suis pas contre la modification de la Constitution, puisque moi-même je l’ai fait en France ». Pis, le Guide libyen Mouammar Kadhafi en visite au Niger en mars 2009, lance : « Je suis pour la liberté de la volonté populaire. Il faut que le peuple choisisse celui qui doit gouverner, même pour l’éternité. »
À partir de là, le Président Tandja qui se sent soutenu par Nicolas Sarkozy, décide de déclarer ouvertement ses intentions. Le 04 mai 2009, il déclare : « Le peuple demande que je reste; je ne peux pas rester insensible à son appel ». Et la France ne dit rien, car elle a décidé d’appliquer sa fameuse « doctrine de la stabilité ».
En effet, elle préfère un dictateur qui maintient un habillage démocratique et qui est finalement conciliant à l’égard de ses intérêts économiques, plutôt que de soutenir une vraie démocratie. Nicolas Sarkozy craint qu’avec un nouveau Président et dans un cadre plus démocratique, la France ne soit obligée de renégocier les accords qui encadrent son activité d’extraction d’uranium. Commence alors un forcing pour décapiter toutes les institutions qui s’opposent au projet de troisième mandat.
Le Premier ministre Hama Amadou, qui est réticent face à cette tentation autoritaire, chute avec son gouvernement, victime d’un vote de défiance du Parlement dans lequel il a pourtant la majorité à 88% ! Il montrait les plus vives réserves face à ce projet de prolongement anticonstitutionnel du mandat présidentiel. Il est limogé et emprisonné.
L’alliance de gouvernement s’effondre
Le nouveau Premier ministre, Seyni Oumarou, est un Tazartchiste zélé. Il fait annoncer par le porte-parole du Gouvernement, dans les médias publics, l’intention du Président d’organiser un referendum sur la question.
L’Assemblée nationale, dirigée par son allié Mahamane Ousmane, chef de la puissante CDS-Rahama avec laquelle il a réussi à obtenir une alliance majoritaire au parlement, est saisie d’un projet de loi de referendum. Il s’agit de demander au peuple si le Président peut continuer à rester au pouvoir pendant trois ans supplémentaires, après la fin de son mandat, afin de terminer ses chantiers. L’Assemblée nationale s’oppose à ce projet et indique qu’elle va rejeter le projet de loi présenté par le gouvernement. Alors, le Président Tandja entre en colère et dissout l’Assemblée, le 26 mai 2009, avant même qu’elle ne rejette le texte.
Les députés sont convoqués à la gendarmerie le 17 juin suivant, pour s’expliquer sur de prétendues gabegies dans la gestion des fonds du Parlement. Le Président de la République décide de s’arroger les pouvoirs législatifs et de gouverner désormais par ordonnances et par décrets. Il publie un décret convoquant le collège électoral pour le référendum. Un groupe de partis d’opposition attaque alors le décret du chef de l’État devant la Cour Constitutionnelle. Dans un avis à l’unanimité de ses membres, la Cour Constitutionnelle nigérienne, présidée par Mme Salifou Fatimata Bazeye, déclare que le référendum est anticonstitutionnel et qu’il va à l’encontre du serment prêté par Mamadou Tandja. En conséquence, elle annule le décret.
Les institutions sont dissoutes, en vue d’une nouvelle Constitution
Le chef de l’État riposte en faisant défiler les populations à la télé pour couvrir d’invectives la Cour Constitutionnelle et ses membres. Le 29 juin 2009, Mamadou Tandja prend un décret qui dissout la cour suprême, malgré les dispositions de l’article 105 de la Constitution soulignant que « les membres de la Cour Constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de leur mandat ». Il est désormais chef de l’État, chef du Pouvoir législatif et chef du Pouvoir judiciaire. Il est devenu un dictateur.
Il prend un nouveau décret pour convoquer les électeurs, non plus pour solliciter une prolongation de trois ans, mais pour adopter une nouvelle Constitution. Ça sera celle de la 6ème République, qui remet tous les compteurs à zéro et lui permet de briguer autant de mandats qu’il veut, en plus d’une rallonge de trois ans sur le mandat en cours.
Dans les rues, l’opposition et les syndicats manifestent chaque jour. Les invectives et la tension montent brutalement dans le pays entre anti et pro Tazartché.
Le Président Tandja a coupé le pays de tous ses voisins africains et son entêtement à dissoudre toutes les institutions de la République ont conduit les bailleurs de fonds à suspendre leur coopération avec le Niger et à fermer le robinet des financements. Le pays est miné par des grèves perlées.
Cadeauter la hiérarchie militaire pour la neutraliser
Dans les casernes, des tracts exprimant un malaise dans l’armée commencent à circuler. La tension au sein de la troupe est perceptible. Le chef d’état-major des armées, le Général Moumouni Boureïma, très proche du Président Tandja, fait une tournée dans les casernes pour « mettre en garde » les soldats contre toute « tentative de remise en cause des institutions de la République ».
Après l’adoption au forceps de sa nouvelle Constitution et la prolongation illégale de son mandat, au mépris des appels répétés de la CEDEAO et de l’Union Africaine pour le respect de l’ordre constitutionnel, Mamadou Tandja veut se mettre à l’abri d’un coup d’État militaire.
Aussi, il convoque tous les généraux de l’armée, de la police et de la gendarmerie à sa résidence. Chacun reçoit une villa clés en main et 50 millions de francs CFA. Il arrose aussi copieusement les officiers supérieurs des ex-rebelles touaregs du MNJ. Chacun d’eux reçoit également une villa et un bonus de 20 millions de francs CFA. En échange, ils doivent maintenir l’arrêt des combats qui ont beaucoup fragilisé le Président dans le nord du pays. Pour le reste de la troupe : rien. Zéro. La nouvelle des centaines de millions distribués aux généraux et aux officiers de la rébellion touarègue casse le moral de l’armée et crée un esprit de sédition au sein de la troupe. Et ce qui devait arriver, arriva.
Un coup d’Etat sans l’état-major de l’armée
Le commandant Salou Djibo, qui commande la 5ème Compagnie de Commandement d’Appui et de Services (CCAS), unité d’élite chargée de la protection de la capitale et de la sécurisation des institutions, décide de passer à l’action pour arrêter la dérive autoritaire du Président Tandja. Face à la tiédeur de ses supérieurs devant la dictature en train de s’emparer du Niger, il a pris ses responsabilités. Avec ses hommes, ils attaquent le Palais présidentiel le jeudi 18 février 2010, juste après le conseil des ministres, et placent aux arrêts le Président et son Premier ministre. Au Niger, c’est le premier coup d’État opéré sans le concours de l’état-major de l’armée.
Le commandant Djibo est un ancien élève de l’École des Forces armées (EFA) de Bouaké, où il a effectué sa formation d’officier de 1995 à 1997. Il en est sorti sous-lieutenant et appartient à la promotion Joseph Anoma. Il conduit une courte transition d’un an, à la tête du Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD) et remet le pouvoir, le 7 avril 2011, au nouveau Président de la République élu, Mahamadou Issoufou. Le Tazartché voulu et rêvé par Mamadou Tandja n’aura duré en tout et pour tout que 56 jours, avant qu’il ne soit brutalement ramené à la réalité.
Entre le parcours du Tazartché de Mamadou Tandja et la tentation du troisième mandat d’Alassane Ouattara, que de similitudes !
Niger et RCI : les similitudes politiques
• La perte de son principal bras droit
Alassane Ouattara a obtenu le soutien d’une coalition qui lui a permis de gouverner pendant dix ans, dans la stabilité et la sécurité. Avant, pendant et après la crise armée, il a obtenu l’appui de Guillaume Soro, son plus fidèle allié, pour l’imposer au palais et affermir son trône présidentiel.
Guillaume Soro, c’est un peu son Hama Amadou, l’homme qui a pris tous les coups pour lui, qui a défendu sa politique et affronté ses adversaires, politiquement et militairement, pour lui laisser du répit. Autant Mamadou Tandja a évincé Hama Amadou de la Primature par un vote de défiance de la majorité parlementaire et l’a fait mettre aux arrêts, autant le Président Ouattara a contraint Guillaume Soro à la démission du perchoir de l’Assemblée nationale, où pourtant leur parti commun avait une majorité absolue. Hama Amadou est allé créer son propre parti, le Mouvement démocratique nigérien (Moden-Fa Lumana), et Guillaume Soro est allé créer le mouvement Générations et Peuples Solidaires (GPS), sa propre formation politique.
À la différence de Hama Amadou, Guillaume Soro a échappé à une arrestation, parce que son avion a été dérouté à la dernière minute, mais il a écopé d’une condamnation judiciaire comme son jumeau nigérien et ses partisans ont été arrêtés en masse et emprisonnés.
• La perte de son principal soutien politique
Mamadou Tandja a grandi en milieu kanouri, du nom d’une ethnie minoritaire de l’est du pays. Il est un métis peulh et soninké. Il fut le premier Président du Niger qui ne soit pas issu des groupes ethniques haoussa ou djerma. (…)
Mamadou Tandja, après avoir échoué deux fois à l’élection présidentielle (en 1993 face à Mahamane Ousmane et en 1996 face à Ibrahim Baré Maïnassara), n’avait aucune chance de devenir un jour Président de la République du Niger, sans le soutien d’une puissante tribu. Il trouva son salut en Mahamane Ousmane.
En effet, Mahamane Ousmane, économiste, socio-démocrate, fut le premier Président de la République du Niger élu démocratiquement en 1993 et renversé en 1996 par un coup d’État du Général Maïnassara. Lors de la présidentielle de 1999, face à son adversaire Mahamadou Issoufou, issu de l’ethnie haoussa, Mamadou Tandja avait très peu de chances de gagner sans le soutien d’un puissant allié. C’est ainsi qu’il se tourna vers Mahamane Ousmane, son ancien adversaire politique, le priant d’appeler sa communauté à voter pour lui. C’est donc ce dernier qui pesa de tout son poids et de son prestige d’ancien chef d’État pour que le vote haoussa ne se reporte pas systématiquement sur Mahamadou Issoufou le Haoussa et bascule en faveur de Tandja le Kanouri.
En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara issu de l’ethnie malinké ne pouvait devenir Président sans le soutien électoral d’une puissante ethnie. Candidat au deuxième tour face à Laurent Gbagbo, il se tourna vers son vieil ennemi Henri Konan Bédié pour le supplier d’appeler les Akans à voter pour lui. Auréolé de son statut d’ancien chef d’État, renversé par un coup d’État en 1999, le Président Bédié lança un appel public à voter en faveur d’Alassane Ouattara. Et c’est le vote akan qui permit à celui-ci de devenir Président de la République en 2010.
En somme, Mahamane Ousmane a apporté au second tour le soutien des Haoussas au candidat Tandja, d’origine mauritanienne par son père, tout comme Bédié a apporté le soutien des Baoulés au candidat Ouattara d’origine voltaïque.
Mais, comme le fit Mamadou Tandja pour l’Assemblée nationale dirigée par son allié Mahamane Ousmane, le Président Ouattara s’est attelé à dissoudre le PDCI de son allié Henri Konan Bédié. Lui et Tandja ont perdu leurs puissants soutiens politiques et se sont mis dans une situation de fragilité politique extrême. Cela fut fatal au Président nigérien. Dans le cas ivoirien, les choses sont en cours.
• La nomination d’un Premier ministre noceur
Quand il a fait arrêter et emprisonner pendant dix mois à la prison de haute sécurité de Koutoukalé son Premier ministre Hama Amadou, Mamadou Tandja avait urgemment besoin d’un bourreau de travail à ses côtés. À plus de 70 ans, il n’avait pas la force d’un jeune homme et devait beaucoup déléguer.
Hama Amadou, le secrétaire général de son parti, faisait si bien son boulot de Premier ministre que le Président Tandja l’a gardé pendant sept ans à ce poste. Un record.
Au Niger, à cette époque, on parlait de «Présidence laisse-guidon». Et une célèbre chanteuse nigérienne, Hamsou Garba, fit même une chanson populaire dont le refrain était « Tandja yanakwana, Hama na aiki » (Tandja dort pendant que Hama travaille).
Il nomma d’abord Seyni Oumarou, qui démissionna pour se présenter aux législatives. Puis il finit par choisir Ali Badjo Gamatié. Ce fut son erreur. Gamatié fut présenté à l’opinion comme un grand cadre nigérien issu de la BCEAO, qui pouvait relever le Niger au moment où ce pays faisait face à l’une des plus graves crises politiques de son existence.
Mais Ali Badjo Gamatié se révéla un piètre Premier ministre, qui préférait se promener à bord du « Mont Bagazam», l’avion présidentiel, plutôt que réellement plancher sur ses dossiers. Il accompagnait aveuglément le Président dans sa volonté de tazartcher.
Quand les sanctions de la CEDEAO et de l’Union africaine ont commencé à pleuvoir sur le Niger, quand les capitales occidentales ont commencé à se fermer face aux diplomates nigériens et que les bailleurs de fonds ont serré les cordons de la bourse, au moment où le Niger commençait à entrer en période de famine, le nouveau Premier ministre, lui, festoyait avec ses copains. Il tenta une tournée dans les capitales de la CEDEAO pour essayer d’expliquer le bien-fondé du Tazartché, mais ne réussit à rencontrer aucun chef d’État francophone. Il tenta la même opération auprès des pays anglophones, mais le leadership du Nigeria sur la CEDEAO le ramena à la raison. Il rentra donc au pays. (…)
En Côte d’Ivoire, un schéma similaire se dessine. Au moment où le pays est entré en crise politique, le Président nomme un champion de N’dombolo à la Primature. Là où un travail de conciliation et de consensus politique autour des élections est nécessaire, le nouveau Premier ministre pousse le Président à persister dans sa volonté de briguer un troisième mandat anticonstitutionnel et continue d’organiser des fêtes fastueuses à sa résidence.
• Le défilé des courtisans pour réclamer une prolongation du mandat
Après le décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, et sur le lieu même de ses obsèques, le Président Ouattara a commencé à faire défiler des populations choisies à dessein pour venir le supplier de rester au pouvoir, bien que la Constitution lui interdise d’en rêver. Ce défilé lugubre s’est poursuivi pendant plusieurs semaines pendant lesquelles on a vu des rois, des chefs traditionnels, des cadres issus des régions supplier le Président de la République d’accepter de faire un troisième mandat anticonstitutionnel. Certains ministres sont même allés jusqu’à verser des larmes en public dans leurs supplications. Le parti présidentiel a organisé un vaste conseil politique télévisé, pour demander au Président Ouattara de prolonger son mandat au-delà du terme constitutionnel. Exactement comme l’ont fait les partisans de Mamadou Tandja.
• L’explosion de la coalition présidentielle
Quand Mamadou Tandja s’est mis en tête de tazartcher son mandat présidentiel, il a perdu le précieux soutien de ses alliés politiques qui avaient fait bloc derrière lui et avaient opéré un report des voix en sa faveur. Il a perdu, outre Hama Amadou qui a emporté avec lui une partie des cadres et des militants du MNSD, Mahamane Ousmane du CDS-Rahama, Cheiffou Amadou de RSD-Gaskiya et Moumouni Adamou Djermakoye de l’ANDP-Zaman Lahiya.
Alassane Ouattara, lui, a perdu, outre Guillaume Soro, Henri Konan Bédié et le PDCI-RDA, Albert Mabri Toikeusse et l’UDPCI, Anaky Kobenan et Anzoumane Moutayé du MFA et Me Soro Brahima de l’UPCI. Il est réduit à la seule dimension du RDR privée d’une grande partie de ses militants qui ont préféré suivre Guillaume Soro à GPS.
Comme Mamadou Tandja qui avait distribué les mandats d’arrêt contre ses opposants, Alassane Ouattara ne s’est pas privé (…) de lancer à son tour des mandats d’arrêt contre ses opposants : Laurent Gbagbo, Blé Goudé Charles, Guillaume Soro et peut-être bientôt Mabri Toikeusse.
• La violation des Constitutions et des serments
Comme Mamadou Tandja déclarait devant le Président français Nicolas Sarkozy qu’il ne toucherait jamais à la Constitution de son pays et s’en irait à la fin de son mandat, Alassane Ouattara déclarait lui aussi le 5 mars 2020 : « J’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à la jeune génération. Cette décision est conforme à ce que j’ai toujours dit ».
Mais, le 29 juillet 2020, il déclarait face aux membres du conseil politique de son parti qui lui demandaient avec insistance d’être candidat : « J’ai entendu les différents messages. Je prends acte des résolutions du conseil politique. Je vous demande de me laisser le temps du recueillement et de la récupération avant de vous donner une réponse très prochainement. Notre pays fait face à des défis. Je ne peux pas rester insensible à la nécessité de préserver la paix dans la sous-région».
Enfin, dans un discours télévisé, diffusé la veille du 60e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a annoncé qu’il ne pouvait rester insensible aux appels de son peuple et qu’il prenait la décision de tazartcher à son tour !
Pourtant, le Président Ouattara sait très bien que la Constitution de la Côte d’Ivoire l’empêche de briguer un troisième mandat. Et comme Mamadou Tandja, Alassane Ouattara a l’assurance que le Président Nicolas Sarkozy le soutiendra et fera en sorte que la France le soutienne également au nom de la « doctrine de la stabilité ».
• La tension dans le pays
Le projet de troisième mandat rêvé par Alassane Ouattara a mis en péril la précaire paix civile retrouvée il y a tout juste une décennie. Dans son propre camp, les défections se multiplient. Son ami de quarante ans, Daniel Kablan-Duncan l’a abandonné. Son ami de plus de trente ans, Marcel Amon Tanoh, l’a quitté.
Le cas Marcel Amon Tanoh est typique. C’est un personnage qui a toujours été au cœur du pouvoir. Il y a grandi et s’y est développé. Si Marcel Amon Tanoh quitte un pouvoir qu’il a contribué à mettre en place, dans lequel il était un personnage influent et prépondérant, c’est qu’il a compris la vacuité du système et sa fin proche. Il a préféré partir plutôt que de rendre compte des dérives d’un système dans lequel il ne se reconnaissait plus. Il a constaté que le Président Ouattara était devenu autiste, égocentré et n’écoutait plus que la voix des laudateurs. C’est typique de ce qui avait cours sous Mamadou Tandja !
Tous les ambassadeurs et les hautes personnalités qui se rendaient au Niger et y rencontraient les conseillers du chef de l’État étaient étonnés de les entendre répéter, les uns après les autres, que le Président Tandja était devenu sourd aux conseils, était entêté et qu’ils étaient obligés de l’accompagner dans son tazartché sans y croire.
À Abidjan, ceux qui sont dans les cercles les plus proches du Président Ouattara disent exactement la même chose. Ils savent qu’il a donné sa parole en public. Ils savent que son projet de troisième mandat ne peut apporter que la ruine et la désolation au pays. Mais tous ont la même phrase à la bouche : « on ne peut rien dire, sinon on risque nos vies ». Ils regardent donc le Président conduire le pays dans le mur en priant qu’il aura le réflexe de freiner à la dernière minute. Avec l’opposition, c’est identique.
Le Président Alassane Ouattara est en guerre ouverte avec le PDCI-RDA, dont il a fait arrêter des cadres, tel Jacques Mangoua, et poussé d’autres à l’exil, comme Akossi Bendjo. Il est en guerre déclarée avec Guillaume Soro (…) et détient prisonniers plus d’une cinquantaine de ses partisans. Le maintien en prison de dizaines de prisonniers politiques pro-Gbagbo et son projet de décapitation des principaux partis politiques ou de rejet de la candidature des principaux leaders de l’opposition politique font peser une menace grave sur la stabilité et la sécurité du pays.
En outre, une interdiction de rassemblement a été signifiée aux militants de l’opposition, tandis que les membres du RHDP, le parti présidentiel, se rassemblent partout où ils veulent. L’accaparement des médias publics pour la couverture exclusive des activités du camp présidentiel crée une distorsion dans le jeu politique. À cela s’ajoutent les arrestations multiples de bloggeurs et de cyberactivistes proches de l’opposition, tandis que les appels au meurtre fréquents émanant de cyberactivistes et de leaders politiques du clan Ouattara ne donnent lieu à aucune réponse judiciaire. Cela crée un sentiment d’injustice qui se répand dans tout le corps social.
• Le parti au pouvoir seul autorisé à manifester
Quand face au Président Sarkozy, Mamadou Tandja a laissé sous-entendre qu’il pourrait rester si le peuple le lui demandait, il a déclenché la mise à feu du Tazartché. Tous les gouverneurs de régions, presqu’exclusivement des militaires, ont commencé à autoriser, voire à susciter des marches de soutien au Tazartché.
Le gouverneur de Niamey, Tahirou Amadou a fait montre d’un zèle particulier dans la délivrance des autorisations de marches aux pro-Tazartché et interdit celles de la Société civile et des partis de l’opposition. Les gouverneurs de Zinder et Tahoua n’ont pas été en reste.
L’opposition n’avait pas accès aux médias publics qui ont été occupés à longueur de journées par des intellectuels, des juristes, des journalistes, des politologues, des religieux, des chefs de tribus, des associations de femmes, de jeunes, d’artistes qui, tous, venaient réclamer en chœur une prolongation du mandat présidentiel de Mamadou Tandja. (…)
Le Général Diomandé Vagondo, âme damnée d’Alassane Ouattara et de son frère Téné Birahima Ouattara, a été placé au ministère de la Sécurité de Côte d’Ivoire pour entraver la liberté de manifester de l’opposition. Depuis que le Général Vagondo a été nommé, les militants du RHDP ont eu toutes les autorisations pour se réunir par milliers pour soutenir le projet de troisième mandat présidentiel, malgré les mesures mises en place pour la lutte contre le Coronavirus.
Mais, sous ce même Général Vagondo, l’opposition n’a reçu aucune autorisation de rassemblement pour manifester contre la décision du troisième mandat d’Alassane Ouattara.
Les similitudes sur le plan sécuritaire
• La subornation de l’Armée
Comme Mamadou Tandja, Alassane Ouattara sent que son Tazartché est très risqué. La situation socio-politique délétère couplée au mécontentement de l’armée que l’on déploie en première ligne face aux djihadistes, sans aucun matériel de protection et sans primes de guerre, le rendent particulièrement fragile. Il veut donc s’acheter un parapluie anti-putsch. Alors, la solution trouvée est de convoquer les généraux de l’armée, de la police et de la gendarmerie pour les couvrir d’argent. Comme chacun sait, chaque général est ressorti de son entretien avec le chef de l’État avec son enveloppe de 100 millions de francs CFA. Exactement comme Mamadou Tandja avait « cadeauté » ses propres généraux de 50 millions de francs CFA et d’une villa.
Le Président Ouattara, suivant les traces de son modèle nigérien, fit convoquer les chefs de l’ancienne rébellion des Forces Nouvelles et leur fit remettre à chacun 50 millions de francs CFA, afin d’obtenir la paix dans les casernes pendant qu’il tenterait de violer la Constitution pour briguer un troisième mandat. Mais, et les soldats du rang ? Rien. Zéro. Oubliés, comme au Niger. (…)
Les similitudes sur les plans économique et social
• Le PS de Président Tandja et le PPU d’Alassane Ouattara: des clones
Quand Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir, quelques mois plus tard, il réussit à obtenir le point d’achèvement de l’initiative PPTE, préparée plusieurs années en amont par les gouvernements précédents. Ce sont donc 6000 milliards de francs CFA qui ne seront plus affectés au remboursement annuel de la dette qu’il décide d’utiliser en créant un programme hors-budget et hors contrôle baptisé Programme Présidentiel d’Urgence (PPU), comme le Programme Spécial (PS) du Président Tandja. En la matière, le Président Ouattara n’a rien inventé et a tout copié sur le Niger.
Le Programme Spécial du Président fut qualifié de Gâchis Spécial Présidentiel par les Nigériens, tant il a permis à la coterie proche du chef de l’État de s’enrichir outrageusement, tandis que la population croupissait sous le poids de la misère. Pour rentrer dans les clous du FMI afin d’obtenir ce fameux PPTE, le Président Tandja avait diminué les salaires des fonctionnaires, suspendu les appuis à l’éducation, à la santé, gelé l’embauche de nouveaux fonctionnaires et abaissé l’âge de départ à la retraite. Et quand les fruits de ces sacrifices sont arrivés, seuls lui et une partie des Tazartchistes en ont profité, sur le dos des pauvres Nigériens.
En Côte d’Ivoire, c’est pareil. Nul n’a jamais su avec exactitude le montant réel des fonds alloués au PPU. Pas même le Parlement, ni la plupart des membres du gouvernement. Seuls le Président Ouattara et son fidèle coursier, Amadou Gon Coulibaly, savaient combien ils mettaient dans la cagnotte et combien ils dépensaient réellement pour les projets PPU. Dans notre pays, chacun sait que la plupart des ministres se sont fait construire leurs résidences sur les fonds du PPU, alors que lesdits fonds étaient, à l’origine, destinés aux œuvres sociales prioritaires. Le FMI qui s’en agaçait a sifflé la fin de la récréation et le PPU a été dissout sans jamais rendre compte de l’utilisation des fonds. Voici le régime d’Alassane Ouattara et pourquoi, à l’instar de Mamadou Tandja, il est déterminé à tester la bravoure des Ivoiriens en se lançant dans son projet hérétique de troisième mandat.
Mais les Nigériens s’en souviennent encore : le jour où le Commandant Salou Djibo a décidé d’arrêter la dérive autoritaire du Président Tandja, tous les braves aux discours guerriers se sont évaporés. Lorsque Salou Djibo et ses hommes ont débarqué dans la salle du conseil des ministres, ce fut la débandade générale. Le Président Tandja, à 71 ans, a retrouvé la vigueur de ses 20 ans et détalé pour s’enfermer dans son bureau dont la porte blindée était censée lui garantir une sécurité à toute épreuve, abandonnant derrière lui son Premier ministre et les membres du gouvernement. Le Premier ministre Ali Badjo Gamatié, quant à lui, a plongé sous la table du conseil des ministres en essayant de se faire le plus petit possible (…). Peine perdue. Le Président Tandja et lui ont été cueillis comme des poules et conduits dans un camp militaire. Le Président fut ensuite séquestré plusieurs mois à la Villa Verte à Niamey.
Malheureusement, l’histoire est en train de se répéter en Côte d’Ivoire, où le Président Alassane Ouattara, sans tirer aucune leçon de l’issue désastreuse de la tentative de Tazarché au Niger, semble avoir décidé, comme Mamadou Tandja,de finir sa vie dans les rebuts de l’Histoire.