En tant que membre de la société civile mauritanienne, j’espère que le président de la France, un des partenaires les plus importants de notre pays, saura obtenir des engagements forts en matière de protection des droits de l’Homme. Si la menace terroriste provient de l’extérieur de nos frontières, de nombreuses attaques contre la démocratie sont orchestrées depuis l’intérieur même de notre pays par les élites dirigeantes.
En 2017, le président Aziz a voulu modifier la Constitution pour supprimer le Sénat en soumettant le projet aux deux chambres du Parlement, comme le prévoit la procédure constitutionnelle. Face au rejet du Sénat, le président Aziz a piétiné les normes suprêmes de notre pays en faisant entériner son projet par un référendum illégal. Le Sénat a été supprimé en août 2017 et ses membres sont victimes de poursuites judiciaires.
Depuis, les femmes et les hommes qui se sont opposés à ce coup d’Etat institutionnel sont dans le viseur d’une justice instrumentalisée par le pouvoir : le sénateur Mohamed Ould Ghadda est détenu arbitrairement depuis près d’un an, une douzaine d’autres sénateurs, des journalistes, des syndicalistes sont sous contrôle judiciaire et ont l’interdiction de quitter le territoire, et deux hommes d’affaires vivant à l’étranger sont victimes d’un acharnement. Le pouvoir supprime les institutions qui s’opposent à sa toute-puissance, puis s’attaque aux individus qu’il considère comme ses opposants, sans se soucier des conventions internationales que la Mauritanie a ratifiées.
Pendant ce temps, le régime du président Aziz laisse agir en toute impunité les tenants d’un extrémisme religieux qui contribuent à saper les valeurs démocratiques du pays. Certains parmi eux prêchent pour le jihad dans les différentes mosquées de Nouakchott et s’entrainent dans le vaste territoire mauritanien.
Le 4 avril 2014, j’ai porté plainte contre Yehdhih Ould Dahi, le chef d’un courant islamiste radical mauritanien qui avait lancé une fatwa à mon égard appelant à m’assassiner ou à me crever les yeux. Mon « crime » selon lui : avoir soutenu un bloggeur, Mohamed Cheikh Ould Mkhaïtir, condamné à mort pour apostasie après avoir dénoncé que la religion puisse être utilisée pour justifier les discriminations basées sur les castes. L’auteur de cette fatwa n’a jamais été inquiété, les autorités fermant les yeux sur ses appels publics au meurtre.
Quand la peine de mort de Mkhaïtir a été commuée en novembre dernier par la Cour d’appel en une peine de prison et une amende, ces mêmes adeptes d’un Islam extrémiste ont exprimé leur colère. Pour les courtiser, le gouvernement a fait voter une nouvelle loi condamnant automatiquement à mort toute personne coupable d’apostasie, même en cas de repentir. En plus de fermer les yeux sur les dérives islamistes, les autorités soutiennent l’application d’une interprétation très stricte de la charia – une vision de l’Islam que la Mauritanie prétend combattre dans sa lutte contre le terrorisme.
Une loi en 2018 condamnant à mort une personne exerçant son droit à la liberté d’expression ! Quelle perte de temps alors que la Mauritanie est embourbée dans des problèmes sociétaux majeurs, comme en témoigne la situation catastrophique des droits de l’Homme des femmes et des enfants.
L’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), que je préside, enregistre quotidiennement des cas des violences faites aux femmes et aux enfants, de la torture et des meurtres. Mais les auteurs échappent souvent aux sanctions. Cette impunité résulte de complicités en faveur des coupables, de l’absence d’une législation spécifique sur les violences faites aux femmes, et de la difficulté d’accéder à une justice non-indépendante. Le manque de moyens pour prendre en charge les enfants en situation de mobilité, migrants ou talibés, forcés de mendier pour le maître coranique chez qui leur parent les ont placés, les entraîne dans la délinquance juvénile et le crime.
La Mauritanie, c’est aussi le premier pays esclavagiste au monde, bien que le régime nie officiellement l’existence de cette pratique inhumaine et dégradante. Sur la forme, le pays a adopté la loi 031/2015 faisant de l’esclavage un crime contre l’humanité, et a créé des tribunaux spécialisés. Mais à peine cette loi adoptée, le pouvoir du général Aziz s’est rendu complice d’une vaste campagne de traite d’êtres humains en signant une convention bilatérale envoyant des centaines de jeunes femmes domestiques mauritaniennes en Arabie Saoudite, où elles sont réduites en esclavage, séquestrées, violées et battues.
Sur le fond, aucune avancée contre ces pratiques d’un autre âge n’a été observée. Ces lois n’ont pas été adoptées pour être appliquées, mais pour leurrer la communauté internationale. Les militants anti-esclavagistes sont toujours persécutés par les autorités, arrêtés, détenus et parfois torturés, et les rares condamnations se terminent en queue de poisson.
Le pouvoir privilégie une politique ségrégationniste à l’égard des communautés afro-mauritaniennes. En leur empêchant l’accès à l’état civil, les autorités les rendent apatrides dans leurs propres pays, et n’hésitent pas à rétrocéder les terres de paysans à des multinationales de pays du Golfe. En mai 2016 par exemple, lors d’un discours public, le président Aziz s’en est pris aux Harratines, un des groupes ethniques les plus importants en Mauritanie et qui souffre particulièrement de l’esclavage : « Les Harratines sont nombreux et font trop d’enfants et rien ne peut être fait pour eux dans ces conditions ».