Les faibles espoirs soulevés par le départ du président Abdelaziz Bouteflika se sont évaporés
Par Luis Lema, le Temps
Des manifestations de soutien, à Alger, à Paris ou aux Etats-Unis, réunissant surtout des journalistes et des figures des médias; des appels des organisations de défense des droits de l’homme ou de la liberté de la presse… Alors que le procès en appel du journaliste algérien Khaled Drareni s’est conclu par une condamnation, ces différentes pressions semblaient toutes sans effet: le procureur a demandé 4 ans de prison ferme contre le journaliste, qui est détenu depuis fin mars. La même peine était requise contre Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, deux figures politiques placées en liberté provisoire depuis deux mois. Des peines encore supérieures à celles qui avaient été prononcées en première instance, et qui avaient déjà soulevé incompréhension et colère.
«Suspect a priori»
Le journaliste – qui a fondé le site d’information Casbah Tribune et anime un talk-show politique à la radio – relatait le mouvement de contestation, le Hirak, qui a manifesté dans les rues algériennes depuis des mois avant d’être suspendu pour cause de pandémie de Covid-19. Drareni est aussi le représentant en Algérie de Reporters sans frontières, qui défend la liberté de la presse. Progressivement, il s’est transformé en emblème des entraves à l’encontre des journalistes en Algérie et des risques d’une répression accrue contre l’opposition par le président Abdelmadjid Tebboune.
Ainsi, accusé notamment d’avoir mis en danger «l’intégrité nationale», Khaled Drareni semble faire l’objet d’une volonté de remise au pas plus générale de la presse algérienne. Un indice: tandis que le pays est largement fermé à la presse étrangère, la salle d’audience était, mardi, également interdite aux journalistes du pays.
«Du point de vue du régime algérien, cette affaire n’est que le fruit d’une «construction médiatique», et Drareni est donc suspect a priori», note Luis Martinez, directeur de recherche à Sciences Po CERI. Dérangeant par son discours proche du Hirak, il a surtout soulevé des réflexes complotistes: le président Tebboune est allé jusqu’à l’accuser publiquement d’accomplir un travail «identique à celui d’un espion.»
Une situation entièrement bloquée
En quelques mois, les faibles espoirs soulevés par le départ du président Abdelaziz Bouteflika se sont en grande partie évaporés. Aggravée encore par la pandémie, la situation économique est de plus en plus difficile pour les Algériens, frappés notamment par un chômage massif chez les jeunes. Tandis que la rente pétrolière s’épuise, le pays en est venu à débattre vivement d’un futur effondrement, qui ferait prochainement de l’Algérie «un Venezuela de la Méditerranée».
Surtout, note encore Luis Martinez, l’enthousiasme affiché par les participants du Hirak cache mal une situation entièrement bloquée. «L’armée, qui contrôle en réalité le pays, ne veut pas entendre parler d’une transition démocratique, note-t-il. Et pour cause: si des élections libres avaient lieu aujourd’hui, rien ne s’opposerait à une victoire des islamistes, de la même manière qu’ils l’avaient emporté en 1991.» A l’époque, le processus électoral avait été interrompu, avant que le pays ne plonge dans une guerre civile abominable. Or, aujourd’hui, rien n’aurait changé, selon le chercheur. «Le Hirak peut certes donner le sentiment qu’il a inondé les rues, mais ce sont bien les islamistes qui structurent l’espace public», insiste-t-il.
Les caisses sont vides, la gestion du covid est pour le moins approximative et la peur est instrumentalisée par le pouvoir et ses théories complotistes. Alors que le Hirak risque tôt ou tard d’abandonner ses pratiques pacifiques, Luis Martinez résume: «L’Algérie est sur un volcan.»
Source : Le Temps .ch