Alors que la lutte pour la liberté d’expression est dans tous les esprits, le caricaturiste tunisien -Z- nous fait découvrir son univers et donne son avis sur le monde qui l’entoure. Une exposition lui est actuellement consacrée à la Cité universitaire à Paris jusqu’au 31 janvier.
A l’initiative de la Maison de la Tunisie, le caricaturiste –Z- qu’on ne vous présente plus depuis qu’on le connaît pour avoir osé dessiner Ben Ali et ses troupes fuyant le pays – et ce quelques jours avant que les évènements aient réellement lieu – expose donc jusqu’au 31 janvier à Paris quelques uns de ces dessins les plus emblématiques.
Z a lui même choisi les dessins qui sont exposés, chacun évoquant une période emblématique des évènements survenus en Tunisie depuis la chute de Ben Ali. Du départ du dictateur à l’arrivée au pouvoir de Béji Caïd Essebsi en décembre dernier en passant par la révolution, tout y est.
Pour Z, ses dessins sont « d’abord des illustrations avant d’être de la caricature » : la vingtaine de ceux qui ont été choisis pour l’exposition permettent au spectateur, même novice, de se faire rapidement une idée de l’univers du dessinateur. Les dessins, exposés dans un format agrandi, permettent au visiteur de redécouvrir chaque détail.
Le bestiaire de Z
Tout comme le flamant rose, symbole citoyen tunisien opprimé et alter égo du dessinateur -sa « plume »-, l’univers graphique de Z est composé d’une multitude de personnages récurrents, chacun avec ses propres caractéristiques. La république tunisienne se voit par exemple représenter sous les traits d’une femme plantureuse en robe rouge, dont la forme du nez rappelle les frontières du pays, et Marzouki se voit décortiqué de l’intérieur (métastase électorale, 01/12/14).
Comment nait un dessin? Tout comme on ne sait pas qui de l’œuf ou de la poule est arrivé le premier, il arrive aussi bien à –Z- de construire son dessin à partir du texte qu’il écrit en parallèle, tout comme il il lui arrive de faire l’inverse : commencer par un dessin pour ensuite en tirer quelques phrases qui serviront à l’illustrer.
L’actualité « officielle », Facebook, Twitter… pour lui toute source d’inspiration est bonne à prendre. Une caricature c’est un dessin d’urgence, fait dans l’instantanéité de l’actualité.
Mais pour –Z-, une bonne caricature doit aussi réussir à passer au delà de cette urgence pour réussir à adopter un caractère universel.
Z, derrière son masque
Dès ses débuts, -Z- a choisi la voie de l’anonymat pour s’exprimer, publiant ses dessins sur son blog Débat Tunisie ( http://www.debatunisie.com/ ), prêtant ses talents à plusieurs médias tunisiens ou étrangers, mais sans jamais dévoiler son identité.
Par raison de sécurité et pour préserver son identité, -Z- a décidé de rester anonyme bien que Ben Ali ait quitté le navire et que la révolution se soit mise en marche. Pourquoi ? Selon lui si la révolution est en bonne marche, elle n’est pas encore acquise. Et même s’il avoue avoir réfléchi à la question, révéler son identité n’aurait pas de sens aujourd’hui. Son anonymat n’enlève rien à la l’impact que peuvent avoir ses dessins, voire y contribuent. Comme dirait l’autre, « tout le monde est Z ».
Si pour lui la liberté de la presse a fait des progrès indéniables en Tunisie depuis le départ de Ben Ali, notamment au niveau de la presse politique, beaucoup de thèmes restent encore largement tabous. A la fois dans le texte et dans l’image, évoquer ouvertement des sujets comme la religion ou le sexe ne se fait pas.
Il a d’ailleurs précisé ne pas se rappeler pas avoir déjà vu une scène d’embrassade sur une des chaines nationales.
Dessiner la Tunisie d’aujourd’hui
Pour Z, le nouveau régime est plein de contradictions. En effet en ce qui concerne les médias par exemple, si la liberté de la presse est inscrite noir sur blanc dans la constitution tunisienne, l’état est en même temps paradoxalement le garant de la protection du sacré.
Hypocrisie, peur de froisser les différentes sensibilités… Le nouveau régime mis en place fait la part belle au consensus mou, chacun cherchant à trouver son compte tout en voulant absolument éviter de heurter la sensibilité des autres…
Pour -Z-, dans un tel système, une réelle évolution de la liberté de la presse, mais aussi plus généralement de la société tunisienne, n’est pas envisageable pour le moment.
L’élection de Essebsi à la présidence tunisienne représente pour le dessinateur l’illustration parfaite de cette idée de consensus mou, plein de réflexes « ben-alistes ».
Face à cela, Z veut croire en une possible alternative de gauche. Pour lui un état laïc n’est envisageable que si cette dernière réussit un jour à accéder au pouvoir. La droite tunisienne n’ayant pas vocation à se débarrasser un jour de toute allusion au fait religieux.
Charlie Hebdo et la liberté d’expression
Si l’inauguration de l’exposition a raisonné de manière lugubre suite aux attentats du 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo, ces évènements ont renforcé Z dans sa conviction : il n’est pas près à arrêter le dessin de si tôt.
Sur ce point, Z a toujours été clair, il ne s’impose aucune limite quand à ce qu’il dessine. Prophète y compris.
Il s’auto-définit d’ailleurs comme un « dessinateur kamikaze », pas décidé à se laisser impressionner par ses éventuels détracteurs. Entre la peur d’éventuelles menaces et la tentation de faire des dessins toujours plus forts, son parti est pris. Face à la violence en acte, il choisit d’opposer la violence symbolique de ses dessins.
Ce dessin daté du 12 janvier illustre parfaitement l’état d’esprit actuel de –Z- : pas facile d’être à la fois caricaturiste et arabe par les temps qui courent.
Entre d’un côté l’attente d’un surplus d’indignation de la part des médias français ou européens, et de l’autre la méfiance de la part de l’opinion publique et des pouvoirs officiels « du bled », il y a effectivement de quoi perdre un peu la tête.
On espère que –Z- garde la sienne bien sur ses épaules et qu’il va continuer à nous commenter l’actualité tunisienne, arabe et pourquoi pas même internationale comme il le fait. Par les temps qui courent on ne voudrait pas voir son flamant rose cesser de nous délivrer ses opinions.
Z s’expose à la Maison de la Tunisie, Cité universitaire, 45 boulevard Jourdan. Il est membre de l’initiative « Cartooning for peace » créée en 2006 à l’initiative de Kofi Annan et de Plantu et qui réunit des dessinateurs du monde entier.