Lors du sommet de l’UA qui se tient ce samedi, l’actuel président, le Tchadien Moussa Faki Mahamat (60 ans) devrait être réélu pour un nouveau mandat de quatre ans (2021-2024) avec le soutien constant du Tchad et du Rwanda.
L’absence de suspens pour l’actuel président de l’Union Africaine, qui devrait être reconduit dans ses fonctions, est due à la forte implication du Maréchal Idriss Deby Itno, relayée par la très influente diplomatie tchadienne.
Une élection sans passion
A Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, les premiers échanges diplomatiques ont eu lieu ces dernières semaines, sans les habituelles passe d’armes préfigurant l’élection du président de la Commission de l’Union africaine. Les diplomates accrédités près de l’Union africaine se rappellent les difficultés pour trouver un successeur à la Sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. En janvier 2017, il avait fallu pas moins de sept tours de scrutin pour que Moussa Faki Mahamat puisse être élu par le Conseil exécutif, regroupant les ministres des affaires étrangères, et être ensuite officiellement nommé par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement.
Lors du sommet qui se tient ce samedi 6 février 2021, Moussa Faki Mahamat a toutes les chances de se succéder à lui-même, ce qui serait une grande première pour un président de la Commission dont aucun de ses prédécesseurs n’avait pu accomplir plus d’un mandat.
Si quelques velléités s’étaient manifestées, afin de présenter un candidat d’un pays anglophone, surtout pour prendre date pour 2024, Moussa Faki Mahamat se trouve aujourd’hui sans challenger. Il est vrai que son bilan peut être dissuasif.
Un bilan interne plutôt positif
En dehors des habituelles questions de gestion financière, qui n’épargnent aucun membre de l’Union africaine, la gouvernance du président sortant recueille plutôt des satisfecits. Son mandat de quatre années a été marqué par son tandem avec le président Paul Kagame qui avait été mandaté, en 2016, pour réformer l’Union africaine. L’année de la présidence de l’Union africaine par Paul Kagame (2018-2019) aura permis à Moussa Faki Mahamat de montrer sa grande proximité avec le président rwandais et sa forte implication pour mettre en œuvre l’autonomisation de l’Union africaine par rapport à l’aide extérieure.
Moussa Faki Mahamat a fait preuve de leadership et d’une réelle volonté de changement
La réduction des structures internes de la Commission, la mise en place de la taxe de 0,2 % sur les importations des Etats membres, la rationalisation du travail au sein de l’organisation et la mise en œuvre de la Zone de Libre Échange Continentale ont été lancées, sans être encore totalement opérationnelles en raison du protectionnisme de certains grands États comme le Nigeria, l’Afrique du sud et l’Égypte.
Néanmoins, Moussa Faki Mahamat a réussi à ce que l’Union africaine puisse faire face aux défis environnementaux, sanitaires, économiques, politiques et de lutte contre le terrorisme. Beaucoup de chefs d’État, lui en sont gré: »on ne change pas de capitaine, en pleine tempête ».
Un bilan externe contrasté
Il est incontestable que Moussa Faki Mahamat a revalorisé l’image de l’Union africaine. Par ses réseaux, cultivés notamment lors de ses fonctions jadis près de Idriss Deby Itno, le président de la Commission a replacé l’Union africaine sur l’échiquier mondial, notamment avec le G7, l’Union européenne, les États-Unis d’Amérique, l’Organisation de la coopération islamique, tout en préservant des relations de confiance avec la Chine et la Russie.
Même si l’ONU y conserve le principal rôle de médiation, au Sahara Occidental et en Libye, l’Union africaine s’impose, chaque jour davantage, comme étant incontournable pour trouver une sortie de crise. Moussa Faki Mahamat, avec son fidèle et expérimenté conseiller spécial pour la stratégie, le diplomate mauritanien Mohamed El Hacen ould Lebatt, ont gagné la confiance sur les principaux théâtres de crise en Afrique et ont réussi à faire admettre que » l’ Afrique doit appartenir aux Africains ».
L’Union africaine de Moussa Faki Mahamat peut s’enorgueillir de résolution de crises, avec un partenariat de l’ONU, comme celle du Soudan après la chute d’Omar Al- Bechir qui annonçait l’Accord de paix de Juba du 31 août 2020 pour les régions du Darfour, du Kordofan du sud et du Nil bleu. Des négociations discrètes lui ont également permis de résoudre des tensions nationales comme par exemple au Gabon et en RDC sous Joseph Kabila.
En revanche, la commission Paix et sécurité, présidée par l’Algérien Smaïl Chergui, ne pourra pas se féliciter d’avoir été l’architecte du contestable Accord de Khartoum, signé à Bangui le 6 février 2019, validé par la communauté internationale. Ce pacte de non-agression, entre le président Touadera et quatorze chefs rebelles dont des ressortissants étrangers, a sciemment écarté les forces politiques républicaines, la société civile et la plateforme religieuse de la Centrafrique. Le slogan » La Centrafrique doit appartenir aux Centrafricains » pourrait bien être retourné à Moussa Faki Mahamat. Coment faire la paix sans le peuple ?
De même, le président de la Commission s’est laissé imprudemment entrainé par Paul Kagame, pour refuser, dans un premier temps, les résultats de l’élection de Felix Tshisekedi et même d’exiger un recomptage des voix. Ce couac retentissant restera comme une tâche indélébile dans le bilan de Moussa Faki Mahamat. A l’ avenir, il lui faudra davantage être moins » supersonique » et plus respectueux de la volonté d’un peuple en révolte, comme au Mali, où les réflexes pavloviens condamnant tout coup d’Etat et exigeant des sanctions continueront d’accréditer le reproche fait à l’Union africaine d’être un » club de chefs d’Etat ».
Une élection de maréchal
Moussa Faki Mahamat pourra très probablement se féliciter d’avoir rapidement obtenu les 36 voix sur 54, nécessaire pour être élu et les médias de reconnaître » une élection de maréchal ». Moussa Faki Mahamat pourra aussi être reconnaissant envers le Maréchal Idriss Deby Itno qui n’a pas ménagé sa peine auprès de nombreux chefs d’État et du gouvernement du continent. Ont particulièrement été approchés les chefs d’Etat du G5 Sahel où le Tchad joue un rôle essentiel, les chefs d’État de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) et plusieurs chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC). La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été sensibilisée par le président Issoufou du Niger, qui en exerçait la présidence jusqu’au 7 septembre 2020, et le président Buhari du Nigeria qui, tous deux, apprécient le soutien militaire tchadien dans la lutte contre les djihadistes et Boko haram.
Le président tchadien a également fait quelques gestes en abandonnant sans contrepartie l’important poste de Secrétaire général de la CEEAC et en retirant la candidature d’un Tchadien pour l’élection du directeur général de l’ASECNA. De leur côté, le président Paul Kagame et l’actuel président en exercice de l’Union africaine, le Sud-africain Cyril Ramaphosa, ne manqueront pas de soutenir Moussa Faki Mahamat, tout en préconisant des changements à la tête des commissions thématiques, notamment à la commission Paix et Sécurité, qu’ambitionne le Nigeria.
Avec les conséquences encore inconnues de la pandémie du Covid-19, la montée du terrorisme islamique transfrontière au Sahel, autour du Lac Tchad, dans l’ex Somalie, au Mozambique, la crise économique et financière qui atteint désormais les États qui n’étaient pas fragiles, les dérèglements climatiques qui frappent de plus en plus durement toutes les régions africaines, le délitement de l’État-Nation et le déclin du multilatéralisme, nul doute que le président de la Commission aura fort à faire, alors que l’ONU et les 2tats-Unis accordent un regain d’intérêt à l’Union africaine pour la paix et la sécurité sur le continent.