La Russie a récemment conclu avec le patron des Forces Armées Soudanaises (FAS), Abdel Fattah al Burhan, qui représente le pouvoir légal au Soudan, un accord pour la construction d’un hub logistique à Port-Soudan, en échange de la fourniture d’armes et de munitions. Le président de l’hypothétique conseil de transition soudanais doit faire face à une quasi guerre civile provoquée par la rébellion du général Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemeti, le seigneur de guerre sans états d’âme qui avait, jusqu’à ce dernier retournement diplomatique, le soutien de Vladimir Poutine et du groupe Wagner.
Un article de Thierry Simbi
L’accord entre Moscou et Khartoum suscite les craintes des gouvernements occidentaux qui redoutent de voir émerger le projet russe d’une base navale avec des navires de guerre russes patrouillant sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Ce rapprochement russe avec les FAS marque aussi un rééquilibrage russe vis-à-vis de la guerre civile qui fait rage au Soudan depuis avril 2023.
Ce projet avait été évoqué par le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov avec le président du Conseil de souveraineté de transition du Soudan et commandant en chef des FAS, Abdel Fattah al Burhan, lors de sa visite à Khartoum le 8 février 2024. C’est ensuite le vice-ministre russe des Affaires étrangères et représentant spécial du président pour l’Afrique et le Moyen-Orient Mikhaïl Bogdanov qui a rencontré Al-Burhan, à Port-Soudan les 28 et 29 avril 2024 pour approfondir les contours de ce projet promettant « une aide militaire qualitative sans restriction ».
Le 25 mai dernier, le Lieutenant Général Yasser al-Atta, commandant en chef adjoint des FAS, membre du Conseil de souveraineté de transition a ensuite annoncé que le Soudan et la Russie allaient signer une série d’accords militaires et économiques. Ces accords prévoient la création d’un centre de soutien logistique naval russe au Soudan. Yasser al-Atta a précisé que « la Russie a proposé une coopération militaire par le biais d’un centre de soutien logistique, et non d’une base militaire complète, en échange d’armes et de munitions d’urgence » et a convenu d’élargir la coopération pour inclure des aspects économiques tels que des projets agricoles, les partenariats miniers et le développement portuaire. Le 1er juin, Mohamed Siraj, ambassadeur du Soudan en Russie, a déclaré à l’agence de presse publique russe Spoutnik que le Soudan était engagé dans le projet d’installation navale de la mer Rouge, qu’il a qualifié de « centre de soutien logistique en mer rouge. »
Une délégation des FAS en Russie
Le Vice-président du Conseil de souveraineté de transition du Soudan, Malik Agar est arrivé à Saint-Pétersbourg le lundi 3 juin 2024 pour participer au 27ème Forum économique international (SPIEF-2024) accompagné des ministres soudanais des affaires étrangères, des finances et des mines. La délégation, qui a rencontré vendredi 7 juin 2024 le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a fait le point sur la situation actuelle au Soudan, l’avancement des opérations militaires et partagé sa vision pour stabiliser le pays et parvenir à la paix.
Agar a également délivré un message écrit du président du Conseil de souveraineté de transition du Soudan Abdel Fattah al-Burhan au président russe Vladimir Poutine. Dans des déclarations à l’agence de presse russe RIA Novosti en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF), Agar a déclaré que Khartoum souhaite relancer l’accord sur la construction d’une base navale russe sur la mer Rouge tout en reconnaissant la nécessité de prendre en compte « les opinions d’autres pays ». « Nous souhaitons certainement revitaliser cet accord si les deux pays le souhaitent. Nous discutons actuellement de cette question. L’accord existant entre nos deux pays prévoit la création d’une base », a déclaré M. Agar.
Dans le même temps, s’adressant au service arabe la chaîne russe RT TV, le ministre soudanais des Finances, Gibril Ibrahim, a confirmé les discussions en cours avec la Russie concernant un accord potentiel pour une base militaire russe sur la côte soudanaise de la mer Rouge en précisant que « l’idée n’est pas d’avoir des experts militaires ou une grande base, mais plutôt un centre de service pour que les navires russes puissent s’approvisionner ». Il a reconnu les objections des États-Unis et de leurs alliés, mais a réitéré que le vaste littoral du Soudan peut accueillir divers partenariats.
Une retournement de veste de Poutine
En visite au Tchad en juin 2014, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a encore défendu les opérations du groupe paramilitaire Wagner en Afrique « contribuant à normaliser la situation dans la région » face à la menace « terroriste ». Le groupe privé russe est « déployé sur la demande directe des gouvernements », a déclaré M. Lavrov, citant notamment la « Centrafrique », pays considéré comme le laboratoire de Wagner sur le continent africain, avant qu’il ne s’intéresserait pas à d’autres pays, comme le Mali et le Burkina Faso.
Dans cette logique, Moscou avait jusque-là soutenu les Forces de Soutien Rapides (FSR) du général félon, Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemeti, l’allié du maréchal libyen Haftar et des Émiratis, en lui fournissant du matériel militaire, via le groupe Wagner, dans la guerre civile qui se poursuit depuis avril 2023.
Force est de constater que Moscou a opéré un virage sur l’aile diplomatique. Les FAS du général Abdel Fattah al Burhan contrôlent la côte soudanaise et sont devenus un interlocuteur incontournable pour relancer le projet du Kremlin d’établir une base navale russe sur la mer Rouge.
Cet accord entre la Russie et les FAS marque un rééquilibrage significatif de Vladimir Poutine dans la guerre civile qui déchire le Soudan, une indication intéressante sur le degré d’opportunisme dont est capable le Président russe.