Sahel, les avancées américaines tranchent avec le repli français

La très pragmatique secrétaire adjointe aux affaires étrangères des Etats-Unis, Molly Phee, a été très active au Niger durant tout le mois d’octobre en prenant des positions à l’opposé des déclarations comminatoires des dirigeants français.

Une chronique d’Olivier Vallée

Avant d’accéder à des fonctions ministérielles, Molly Phee était « la cheffe du Bureau of African Affairs », après avoir été  ambassadrice au Soudan du Sud (2015-2017) et avoir rempli des fonctions de haut niveau comme « directrice Irak » du National Security Council (NSC) à la Maison Blanche entre 2009 et 2011. Ce parcours donne à la secrétaire adjointe aux Affaires 2trangères une certaine autorité quand, le 26 octobre, elle avai déclaré que les Etats-Unis reconnaissaient la destitution du président Bazoum et donc la légitimité du CNSP. Elle a précisé que l’ambassadrice présente à Niamey attendait seulement ses lettres de créances signées de Joe Biden pour les présenter aux nouvelles autorités du Niger, mais que rien n’empêchait qu’elle commence à travailler avec les autorités. La coopération militaire peut également reprendre.

Deux jours auparavant, Molly Phee avait donné un cadre à ces annonces au Niger par une communication intitulée « instabilité au Sahel, implication pour la politique américaine » devant la commission sénatoriale pour les affaires étrangères. Et cela dans la lignée du « Partenariat du XXIème pour la sécurité en Afrique » que le président Biden avait annoncé lors du sommet des leaders Afrique-Etats-Unis. La feuille de route était tracée face à la junte nigérienne: une transition vers un régime civil dans la tradition des coups d’État au Nihger, des élections dans les deux années.

Niamey attend désormais avec impatience que Washington désigne un ambassadeur à Abuja. On notera que la congrès américain a été très réactif  pour nommer comme ambassadrice à Niamey Kathleen Fitz Gibbon, ex numéro 2 de la diplomatie américaine à Abuja. Son nom avait été proposé par Joe Biden, dès le printemps dernier, comme l’impose la législation aux États-Unis. Elle a été confirmée par le Sénat le 27 juillet, c’est à dire le lendemain du putsch de Niamey.  

À la différence de la France, Washington conserve des liens forts non seulement avec le Niger mais aussi avec le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. En tirant les conclusions des récents échecs de l’armée française, les Etats-Unis ont cessé toute collaboration militaire avec ces pays. Certains États, comme le Mali et le Burkina Faso, ont même vu leur aide humanitaire renforcée par Washington au cours de l’année 2022, Ce qui a permis au Mali en particulier de connaitre une hausse de la production de coton, aidée par de bonnes conditions climatiques.

Le Tchad ostracisé

Le général Mahamat Idriss Déby, dit « Kaka » ne bénéficie pas de la même mansuétude des Etats-Unis qui redoutent qu’il ne conserve le pouvoir quelle que soit l’issue de la transition. Cela peut expliquer le recours à Paris comme parrain politique occidental après les démêlés de Ndjaména avec l’ambassadeur d’Allemagne. En effet, le gouvernement tchadien, en avril 2023,  avait ordonné à l’ambassadeur d’Allemagne, Gordon Kricke, de quitter le pays, une décision qui, selon certaines sources, aurait été motivée par des commentaires du diplomate sur la transition du Tchad vers un régime civil après le coup d’État. « Cette décision du gouvernement est motivée par l’attitude discourtoise et le non-respect des coutumes diplomatiques », selon un message posté sur Twitter par le ministère de la Communication du pays africain.Paris semble beaucoup plus complaisant avec le Tchad qu’avec les États francophones du Sahel, entrainant hélas dans ses grilles d’analyse datées face aux régimes africains l’Union Européenne

La stratégie américaine relève d’un refus d’attaques contre les nouvelles personnalités politiques et militaires du Sahel, contrairement à la guerre informationnelle décrétée à Paris. Molly Phee a contribué à cette décrispation à travers la « Stratégie des Etats-Unis pour l’Afrique subsaharienne », doctrine élaborée par le National Security Council. Dans le cadre de cette tentative, six milliards de dollars ont été décaissés sur le seul plan humanitaire, notamment en RCA, au Mali ou en Éthiopie. 

A Niamey, la semaine dernière, le Premier ministre a pu recevoir une mission de la Banque mondiale qui a déjà pointé tous les effets néfastes des sanctions et les a chiffrés. La reprise des financements est prévue au plus tard en décembre. La mission du FMI devrait venir au Niger d’ici là. Le secrétariat général du FMI est la seule autorité qui en décide quelles que soient les manœuvres qui se poursuivent à l’encontre de la reprise des relations statutaires avec un État membre.

 

On pourrait toutefois lui faire le crédit d’une certaine naïveté politique, s’il a cru que Paris et la CEDEAO le sortiraient de son enfermement. Il est encore temps, peut-être, pour ses vrais amis, une puissance régionale qui n’est pas limitrophe comme le Maroc, de demander dans cette provisoire embellie, au gouvernement du Niger, de faire preuve de clémence.