La grand messe africaine de Vladimir Poutine

 

Le 27 et le 28 Juillet se tient à Saint Pétersbourg le deuxième sommet Russie-Afrique. Le conflit ukrainien, l’exportation des céréales et le groupe Wagner seront au coeur des débats

Dans ses relations politiques, économiques et militaires avec les États africains, la Russie étend son influence en toute quiétude, sans rencontrer, à ce jour, de véritables obstacles. Lors de l’édition 2019 du Forum de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine constatait que « le modèle de mondialisation proposé à la fin du XX ème siècle est de plus en plus en contradiction avec les nouvelles réalités économiques et politiques » et il insistait :  » les modèles précédents plaçaient les pays occidentaux  dans une position d’ exclusivité. Ces modèles leur ont donné un avantage et une rente énorme, prédéterminant pour leur leadership ».

En proclamant haut et fort que le droit inconditionnel pour chaque pays d’avoir son propre développement, en dehors de toute ingérence extérieure, Vladimir Poutine ne peut qu’attirer l’emphatie de nombreux dirigeants africains. Évidemment les arrière-pensées de Poutine ne trompent plus guère que les bisounours. Les questions sécuritaires et d’armement côtoient certes celles du développement

Le soutien sur l’Ukraine

Plus que jamais, la Russie de maintenir son capital de soutien diplomatique de certains pays africains/ Lors de la première résolution de l’ONU après l’offensive russe contre l’Ukraine un certain 2 mars 2022, 17 pays africains ont opté pour l’abstention. Le texte qui exigeait que « la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Sept pays africains préféraient ne pas participer au vote. Ce n’est pas rien.

Ce deuxième sommet se distingue du premier, tenu à Sotchi le 23 et 24 Octobre 2019 par plusieurs facteurs. Point de guerre en Ukraine à l’époque, ni d’opposition de la Russie à l’exportation des céréales via la mer noire. Or certains pays africains sont tributaires de l’approvisionnement des céréales pour leur alimentation.  

Le sort de la société militaire privée Wagner sera au coeur des débats. En effet, depuis son coup de force avorté du 24 juin passé, certaines questions seront posées à Poutine par des chefs d’Etat africains lors du second sommet à Saint Pétersbourg. Le patron de Wagner Yevgeny Prigogine, exilé en Biélorussie, a déclaré ce 19 juillet dans une vidéo de sa chaîne télégram que son armée se retire des territoires ukrainiens pour consacrer ses activités au continent africain.

Les coulisses du bras de fer entre Prigojine et Poutine

Le groupe Wagner, la prédation

Le sommet de Saint-Pétersbourg mérite bien une mise au point sur les missions du groupe Wagner présents désormais avec force dans 4 pays africains que sont la Libye, Centrafrique, Soudan, Mali et Mozambique. « Nous devons continuer à nous préparer, nous devons continuer à nous développer. Une nouvelle route s’ouvre devant nous, celle de l’Afrique » déclarait le patron de Wagner à ses troupes dans la vidéo du 19 juillet.

Ces propos sont entendus de manière diverse par les gouvernements africains car les missions de Wagner sont multiformes sur le continent. De la participation au combat auprès du maréchal Haftar en Libye, de la formation militaire et la protection de la garde présidentielle en Centrafrique, d’encadrement et soutien militaire au Mali, d’interférence entre deux chefs de guerre en lutte pour le pouvoir au Soudan, du contrôle des zones côtières au Mozambique.

Les craintes des responsables africains n’est pas la présence armée du groupe paramilitaire plus que son modèle économique d’autogestion qui repose essentiellement sur la prédation des ressources contre des services de sécurité et de défense dans les pays où il s’installe. La confirmation de la déclaration de Prigogine, patron du groupe Wagner, par le ministre des affaires étrangères Russe Sergueï Lavrov prouve que le lien du groupe paramilitaire au pouvoir de Moscou est maintenu.

Lors de ce 2ème sommet, il est question pour la Russie de re déployer une nouvelle stratégie liée à la conjoncture actuelle de la guerre en Ukraine et les mutations des rapports de forces à l’échelle planétaire. Le chef de Kremlin doit rassurer ses partenaires africains de la solidité des relations stratégiques entre les pays africains et la Russie.

Portrait de l’influenceuse pro russe Nathalie Yamb

Aucune trace de colonialisme

Contrairement aux empires coloniaux du 19ème siècle que sont la France et l’Angleterre qui ont marqué une présence historique, culturelle, linguistique sur le continent africain, la présence Russe en Afrique est récente. C’est dans une démarche des luttes anti -coloniales que l’union soviétique à pris pied sur le continent après la seconde guerre mondiale. C’est le corpus idéologique marxiste qui ouvrit la voie de pénétration. Le communisme devenu effet de vogue pour les pays fraîchement indépendants octroie à Moscou une influence considérable dans un monde bipolaire de la guerre froide.

La disparition de l’union soviétique en 1991 réduit considérablement l’influence de la nouvelle fédération de Russie en Afrique. L’héritière naturelle l’ancienne puissance communiste s’est contentée du marché de l’armement comme son seul lien avec le continent. Toutefois, c’est les tensions survenues dans certains pays où l’autorité de l’Etat s’est affaissée qui va permettre à la Russie de s’implanter via une armée privée paramilitaire connue sous la dénomination Wagner. C’est ce schéma qui a permis à la Russie de s’introduire dans les affaires de l’Etat Centre Africain, Libyen, Malien, soudanais au point de devenir un facteur déterminant dans l’équation de résolution de ces crises.

La fourniture des armes

Ne disposant pas de ressources suffisantes pour garder une influence significative sur le continent africain, la fédération Russie a tout fait pour maintenir le marché d’armement hérité de l’ex union soviétique sur beaucoup d’état africains. La Russie est classée comme le principal fournisseur du matériel militaire au pays africains selon le SPRI « L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm ». La part du marché d’armement en Afrique pour la Russie dépasse les 44% durant la période de 2017-2021. Auparavant, entre la période de 2015-2019, 49% du marché d’armement en Afrique était russe.

Ce pourcentage tend à baisser contenu de la priorisation de l’usage des armes fabriquées en Russie dans sa guerre en Ukraine. Les sanctions occidentales contre le régime de Poutine et la loi dissuasive du congrès américain CAATSA, qui impose des sanctions aux pays qui s’approvisionnent en armement de la Russie, ont réduit les parts du marché d’armement russe en Afrique.

Poutine l’Africain

Bien que l’intérêt d’une stratégie globale russe pour l’Afrique à travers un sommet ait entamé en 2019, suivi de celui 2023, le président Russe accorde une importance capitale au continent africain. La preuve en est, il n’a pas dissous le groupe paramilitaire Wagner en dépit de son coup de force du 24 juin. Il l’a simplement retiré du conflit ukrainien pour se consacrer à ses missions initiales en Afrique.

Pour Poutine, le 2ème sommet Russie Afrique revêt une importance capitale dans le dispositif diplomatique de la Russie. Bien que le sommet Afrique Russie soit arrivé tard en 2019 par rapport au sommet Russie-UE, Russie-Chine, Russie Asie centrale, la présence russe en Afrique s’avère une exigence dans le déploiement de la stratégie diplomatique russe sur le continent.

Il est crucial pour la Russie de maintenir son capital de soutien diplomatique de certains pays africains ayant voté lors de la première résolution de l’ONU juste après l’offensive Russe sur l’Ukraine un certain 2 mars 2022. 17 pays africains ont opté pour l’abstention au texte qui exigeait que « la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », et 7 pays africains préféraient ne pas participer au vote.

Article précédentL’Afrique secouée par une nouvelle guerre froide
Article suivant« Israel au bord du précipice » pour les médias arabes
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)