Alors que les négociations sur le programme nucléaire iranien se prolongent à Genève, Téhéran continue d’avancer ses pions. Un retour en force qui s’appuie désormais également sur le rapprochement avec les Etats-Unis dont la priorité est de sortir du guêpier irakien. Au risque de provoquer l’ire de l’Arabie Saoudite.
En Orient compliqué, il ne faut pas se fier aux apparences. Certes, le bombardement par une coalition menée par l’Arabie Saoudite sunnite de milices Houthistes soutenues par l’Iran chiite a tout l’air d’une guerre de religion, d’un choc de civilations qui pourrait précipiter une région du monde, particulièrement inflammable et déjà en phase de combustion avancée, dans une déflagration aux conséquences incalculables. Ca, c’est le scénario hoollywoodien d’un péplum où les héritiers d’Ali, le guide chiite successeur de Mahomet, et les califes sunnites de la région, qui s’affirment comme les seuls héritiers du Prophète, s’affronteraient dans une guerre à mort. Comme celle des années 80 où Saddam Hussein, qui prétendait au titre de grand calife, avait lancé ses armées et ses armes chimiques contre son voisin iranien, faisant un million de victimes.
Nostalgie impériale
Mais, il existe aussi un autre scénario, moins spectaculaire, celle d’une lutte pour l’hégémonie régionale et une place de leader que revendique toujours l’Arabie Saoudite wahhabite, assise sur son trône pétrolier mais complètement sclérosée et imperméable aux évolutions du monde. Face à ce pays immobile, l’Iran, un pays qui bouge, malgré le carcan des ayatollahs et qui s’affirme de plus en plus comme une puissance mondiale, même si les sanctions économiques, conséquences de sa prétention au nucléaire, l’ont affaibli.
Ile de stabilité dans un océan régional de tempête, l’Iran a poussé ses pions sur les différents théâtres. En Irak, avec les milices chiites qui contrôlent le sud du pays, le gouvernement et l’armée, en Syrie, avec un soutien affirmé à Assad, via le Hezbollah libanais, mais aussi une aide directe, au Liban avec le Hezbollah, au Yémen avec les milices Houthis qui ont pris le contrôle de la capitale Sanaa. Rêvant ainsi de ressusciter l’ancien empire persan comme les Turcs sunnites peuvent songer parfois à faire revivre l’empire ottoman.
Des peuples qui, vus d’Occident, sont tous confondus dans le même chaudron musulman mais n’ont pas d’histoire commune avec les Arabes, majoritairement sunnites, sinon celles de conquêtes et de périodes d’asservissement dont la première motivation n’a jamais été, dans l’histoire, l’expansionnisme religieux, mais la volonté de constituer des empires et des états forts. Du moins, côté persan et ottoman, car, côté Arabes wahhabites, qui ont accouché du monstre de Daesh, l’extermination des « infidèles » reste souvent la pierre angulaire de la pensée religieuse.
L’Iran actuel est totalement dans cette logique de s’affirmer comme une puissance respectée pour accéder un jour prochain au club des Brics, ces pays comme l’Inde ou le Brésil qui prennent une part de plus en plus active à la marche du monde. Et il y met les moyens. Son accès au nucléaire est l’arbre qui cache la forêt. Depuis plus de vingt ans, des centres de recherche (Rohani, l’actuel président a dirigé l’un d’eux) s’activent pour proposer des solutions pragmatiques et des visions stratégiques à long terme. La diplomatie iranienne, l’une des plus redoutables au monde, agit avec souplesse et patience, faisant parfois tourner en bourrique les esprits cartésiens occidentaux. Sa realpolitik se manifeste en Afghanistan voisin par un soutien au gouvernement mis en place par les Américains contre les Talibans. En Syrie, elle aide le Hezbollah dans son appui militaire à Assad, issu de la communauté Alaouite, des hérétiques pour les théologiens sunnites, des mal-croyants qui reconnaissent à la fois Jésus et Ali comme prophètes, pour les Chiites. Des Alaouites syriens, qui ont aussi émigré au XVI ème siècle au Maroc, y fondant la monarchie du même nom.
Ryad, la riposte
La manifestation la plus visible d’une émergence de l’Iran sur la scène mondiale se traduit par un rapprochement avec les Etats-Unis et l’administration américaine Obama dont la priorité est de sortir du guêpier irakien où l’a plongé George W. Bush. Et non d’éliminer Assad de la scène régionale comme l’a rêvé François Hollande. Obama, qui rappelons-le a été l’un des rares sénateurs à s’opposer à l’intervention en Irak, concentre toute son action sur ce pays, préparant avec ses alliés chiites et kurdes une offensive finale contre les Sunnites, anciens partisans de Saddam Hussein largement ralliés à Daesh. En espérant ainsi profiter de la manne pétrolière de ce pays qui détient 11% des réserves mondiales avec de larges zones inexplorées à cause de la guerre. Ce qui permettrait aux Américains de faire baisser durablement le cours de l’or noir et d’accroître la rentabilité de leur production de pétrole de schiste. L’offensive de l’Arabie Saoudite contre les Chiites yéménites peut donc aussi être interprétée comme une réaction sunnite contre l’alliance objective entre Iran et USA.
Et la France dans tout ça? Elle tente de ne pas perdre complètement pied dans cette Orient compliqué. Ses militaires et ses diplomates ne cessent de maudire Obama qui fin août 2013 a refusé, prétextant une absence d’accord de son Congrès, de bombarder l’armée d’Assad comme Hollande l’avait prévu. Ils moquent l’irrésolution américaine dans le conflit syrien et montrent les muscles tricolores appelant à un réveil de l’Europe car, dit l’un d’eux, « nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours où les Américains seraient toujours là pour assurer notre sécurité ». La politique étrangère française se traduit par des décisions obscures comme celle de bombarder Daesh en Irak et non pas en Syrie, un pays dont la France est pourtant historiquement proche. Et par des velléités de savonner la planche dans les difficiles négociations sur le nucléaire iranien. Pour montrer qu’on a toujours son mot à dire. Mais quand le coq monte sur ses ergots, le monde ne tremble plus.