L’universitaire BrettL.Carter: « Personne ne regrettera Ali Bongo à Washington ».

Brett L. Carter, universitaire américain (université de Californie du sud, Université de Stanford), auteur* et membre du Think thank Hoover institution, a confié à Mondafrique son analyse sur la situation au Gabon.

Propos recueillis par Jocksy Andrew Ondo-Louemba

Mondafrique : Ali Bongo a été renversé dans la nuit du 30 août 2023 comment analysez-vous ce coup d’État ?

Brett L. Carter :  C’est relativement simple, à mon avis. Ali Bongo ne s’est jamais remis de l’accident vasculaire cérébral de 2018 et de nombreux membres de l’ancien régime n’avaient pas confiance en lui, tant pour diriger le Gabon que pour protéger leurs intérêts financiers et politiques. Brice Oligui Nguema a vu une opportunité. Je pense qu’il était motivé par une combinaison d’intérêt personnel et de patriotisme : plutôt le premier, si je devais deviner, mais peut-être aussi le second. Les 56 années de règne des Bongo n’ont pas servi les intérêts du Gabon, c’est le moins que l’on puisse dire, et je suis tout à fait disposé à croire qu’Oligui Nguema  veut faire mieux.

Ce qui est frappant, rétrospectivement, c’est à quel point la loyauté envers le régime Bongo était transactionnelle. Oligui Nguema était un collaborateur de longue date, remplaçant de Frédéric Bongo, chef de la Garde républicaine, et (semble-t-il) un cousin éloigné. Des soldats de la Garde républicaine ont été filmés en train de chanter « Je m’en fous d’Ali Bongo » juste après le coup d’État. Le PDG a rapidement fait part de sa volonté de collaborer. Même certains membres de la famille Bongo ont félicité Oligui et les autres conspirateurs immédiatement après le coup d’État, alors que la localisation de Bongo, Sylvia et Noureddine restait incertaine. Il est remarquable de constater la rapidité avec laquelle le régime s’est effondré. La loyauté, une fois de plus, était transactionnelle. Le régime n’avait manifestement aucune légitimité réelle. Ce n’est pas surprenant, bien sûr. Tous ceux qui ont suivi la politique gabonaise savaient que c’était presque certainement le cas. Mais c’est tout de même frappant à voir.

J’ajouterai : Même Ali Bongo Bongo m’a semblé quelque peu soulagé. Il devrait l’être. Pour lui, c’est un bon résultat, du moins jusqu’à présent. Son état de santé limitait sa capacité à fonctionner, ce dont je suis sûr qu’il était conscient. Je soupçonne qu’il s’est senti obligé de rester parce qu’il ne savait pas quel serait le sort de sa famille s’il démissionnait. Seraient-ils poursuivis au Gabon ? Extradés vers la CPI ? Poursuivis en France dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis ? Cela peut changer, bien sûr. Peut-être qu’un futur gouvernement – même Oligui Nguema  – jugera politiquement utile de les poursuivre ou de les extrader, et Noureddin Bongo Valentin  est clairement exposé. Noureddin Bongo Valentin peut très bien être poursuivi, condamné et gracié. Mais pour un dictateur déchu qui a volé une énorme quantité d’argent et ordonné une série de violations des droits de l’homme, le nouveau régime a été remarquablement gentil avec lui.

Mondafrique : Ali Bongo a obtenu un soutien timide de la communauté internationale, qu’en pensez-vous ?

Brett L. Carter : Oui, très timide. Cela ne m’étonne pas. Comme nous le savons tous, la famille Bongo a longtemps fourni du pétrole bon marché à la France en échange de richesses et de protection. Mais la production pétrolière du Gabon est en baisse, et donc sa valeur géopolitique aussi. Les gouvernements occidentaux sont beaucoup plus préoccupés par le Sahel : en particulier, la propagation de la violence extrémiste et l’influence russe, qui, selon les preuves disponibles, ont toutes deux eu des conséquences terribles pour les citoyens ordinaires. Malgré les efforts récents de M. Ali Bongo pour se faire des amis puissants à Washington – en partie pour compenser la baisse de sa valeur économique à Paris – personne n’est triste de le voir partir. Compte tenu de l’attention considérable portée au Sahel, je pense que Washington finira par coopérer avec M. Brice Oligui Nguema, même si c’est à contrecœur, tant qu’il sera perçu comme apportant une certaine stabilité.

Mondafrique :  Brice Oligui Nguema, le nouvel homme fort du Gabon n’a pas donné de durée pour la transition qu’en pensez-vous ?

Brett L. Carter : C’est inquiétant, sans aucun doute. J’espère que Raymond Ndong Sima a raison : il s’agira d’un processus d’environ deux ans. Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est l’incertitude quant à l’éligibilité de M.Brice Oligui Nguema  à l’élection présidentielle et l’apparente réticence du nouveau gouvernement à clarifier cette question. Le nouveau régime semble également avoir pris le contrôle de l’appareil de propagande des Bongo, qui semble de plus en plus faire de la propagande pour Brice M. Brice Oligui Nguema. Je pense qu’il est probable qu’Oligui Nguema  se présentera aux élections – si c’est le cas, il gagnera – à moins qu’il n’y ait une pression généralisée pour qu’il ne se présente pas. Je suis inquiet et je pense que les citoyens gabonais devraient l’être aussi. M. Raymond Ndong Sima a récemment suggéré que M. Brice Oligui Nguema  ne devrait pas se présenter.

Mondafrique : On voit plusieurs anciens cadres de l’ancien parti au Pouvoir se redéployer dans le nouveau régime quel commentaire en faites-vous ?

Brett L. Carter : L’interprétation charitable est que M. Brice Oligui Nguema  et d’autres hauts fonctionnaires veulent inclure des personnes d’origines diverses dans le gouvernement et les institutions de transition. Il y a certainement des preuves de cette volonté : Laurence Ndong, Mays Mouissi et Marc Ona Essangui, entre autres. Mais les anciens collaborateurs de Bongo sont bien plus nombreux et le gouvernement a également libéré plusieurs anciens collaborateurs de Bongo qui purgeaient des peines pour des délits divers, souvent après avoir été épurés pour des raisons politiques. Le plus connu est bien sûr Brice Laccruche. L’absence de justification publique de sa libération est préoccupante.

À mon avis, il s’agit d’un signal implicite que le nouveau régime ne créera probablement pas de commission du type « Vérité et réconciliation » pour documenter la corruption massive des dernières décennies. C’est regrettable, mais ce n’est pas très surprenant. De nombreux membres éminents de la classe politique gabonaise ont collaboré d’une manière ou d’une autre avec le régime Bongo, et je soupçonne que nombre d’entre eux ont commis des actes répréhensibles qu’ils ne souhaitent pas voir révélés.

Pour être clair, je pense qu’une commission du type « Vérité et réconciliation » serait très utile pour aider les citoyens gabonais à faire le point sur le vol massif, qui a duré des décennies et qui a dilapidé leur richesse pétrolière. Je crains toutefois que cela soit de plus en plus improbable, à l’exception de quelques poursuites symboliques motivées par des considérations politiques. Mais j’espère me tromper.

Mondafrique : Albert Ondo Ossa a-t-il encore un avenir politique au Gabon selon vous ?

Brett L. Carter : Certainement, je pense. Il a été très perspicace. Ses « Osons croire » reflétaient l’humeur du moment, mais il s’est également montré critique à juste titre, notamment lorsqu’il a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une « révolution de palais » plutôt que d’une « révolution populaire ». Il a également pris soin de ne pas critiquer le régime, probablement en raison de l’incertitude entourant sa volonté d’autoriser les critiques. Il se trouve dans une position difficile, mais je pense qu’il a été très intelligent et qu’il a fait preuve d’une prudence appropriée. Si cela se produit, je m’attends à ce qu’il soit candidat aux élections de 2025. Je n’exagérerais toutefois pas sa popularité. Sa part dans l’élection de 2023 reflétait un vote anti-Bongo, plutôt que, je pense, un vote pro-Ondo Ossa. Ainsi, même si je pense qu’il a un avenir politique, je ne l’exagérerais pas.

Mondafrique : Quel est votre mot de la fin ?

Brett L. Carter : Le mercredi 30 août au matin, j’espérais que ce serait le début d’une nouvelle ère, même si, ces dernières années, relativement peu de coups d’État militaires ont donné naissance à de nouveaux gouvernements démocratiquement élus. Deux semaines plus tard, je suis moins optimiste. Le gouvernement de transition a fait plusieurs choix fantastiques pour des postes ministériels, mais je me demande combien de temps il pourra rester de bonne foi.

1 COMMENTAIRE

  1. Il a bien fait son analyse. Ali Bongo ne peut pas être regretté aux Usa et dans le monde Anglo Saxon en général car déjà il pesait pas politiquement et même culturellement le Gabon n’est pas un pays bien ancré dans le monde Anglo Saxon (bien que très récent dans le commonwealth), comme s’est efforcé de le faire habilement (il faut le lui reconnaître) pour le Rwanda, le dictateur sanguinaire Kagame qui cherche et qui a déjà un 4è mandat, connaissant les élections au Rwanda.
    Et Ali ne sera pas regretté chez les Anglo saxons car au delà de l’épuisement du pétrole, qui diminuait son influence, il s’était rapproché de plus en plus de la Chine (accord pour une future base militaire chinoise, etc…). D’où son appel a ses amis anglophone en anglais, le fameux “Make noise”, rires, qu’on a tourné en dérision sur les réseaux sociaux, était inaudible, car il se croyait avoir des amitiés solides ou se croyait faire des amitiés solides avec les anglophones mais c’était pas ça que lee anglophones le considéraient au retour.

    La loyauté transactionnelle dont cet universitaire parle, j’en ai même parlé dans mon travail sur les 3 familles dynastiques présidentielles africaines, et c’est pas nouveau chez les Bongo, ça commence depuis Bongo Père, tout ça j’en parle dans mon article, pour les intéressés, voici le lien: https://www.academia.edu/105664836/EYADEMA_GNASSINGBE_BONGO_ONDIMBA_et_OBIANG_NGUEMA_Trois_Familles_Pr%C3%A9sidentielles_Dynastiques_Africaines_Uniques_au_Monde

    L’intégration dans le gouvernement de transition, des anciens caciques de Ali, je trouve ça aussi surprenant pour quelqu’un comme Oligui qui parle de rupture avec l’ancien régime, et c’est un mauvais signal que Oligui envoie, s’il avait besoin des compétences ou des gens ayant déjà de l’expérience de la gestion de la chose publique, il y’a beaucoup des gabonais de la diaspora pour ça, au tant mieux intégrer des novices et qui n’ont pas travaillé avec les Bongo, et qui même s’ils font des erreurs on leur pardonnera car ils sont novices dans le fonctionnement de l’État au Gabon, donc ça se comprends et personne ne s’en prendra à eux car ils n’ont pas travaillé avec les Bongo.
    La justice transitionnelle je suis aussi d’accord, réconciliation sans impunité des crimes passés et à venir. On peut trouver des arrangements pour certaines personnes mais d’autres méritent des peines lourdes de prison pour leurs crimes.
    Parlant du même sujet, Brice Laccruche n’avait pas été libéré contrairement à ce qu’il dit, ceux qui ont été libérés c’est le syndicaliste Rémi Yama, d’autres personnalités politiques comme Ndama Nzouba, etc… pour ce dernier même s’il est controversé et mérite d’être jugé pour ses crimes ou délits, il faut dire que le motif dont il était assigné à résidence était plus politique que judiciaire donc pour ça il méritait sa libération.
    Moi de même je reste moins optimiste sur la transition au Gabon après les actes et décisions que Oligui prends, voyons…!
    Même si ça m’étonne pas totalement la direction que prend cette transition au Gabon, car je savais déjà qui est probablement derrière Oligui pour le parrainage de ce coup d’État, qui ce dernier a usé la vague anti Bongo our mieux le faire pour accomplir la mission et aussi faire d’une ouverte deux coups pour lui-même: entrer dans l’histoire comme celui qui renversa les Bongo et “goûter” le fauteuil présidentiel, rires, avant de rendre le pouvoir à ses parrains.

Les commentaires sont fermés.