L’Or finance les groupes armés au Sahel

Au Sahel, un terrorisme violent, désormais durable, ainsi que des coups d’états militaires détournent l’attention d’une situation qui sans doute les renforce. Il s’agit de l’Or et de ses productions et ventes formelles et informelles. Il ne doit plus être exclu, que les islamistes du Sahel ont des politiques plus proches de celles de leurs frères Afghans, Somaliens et d’ailleurs qu’on ne le pense, en s’autofinançant par la vente d’un produit local ou d’une activiste lucrative locale. Qu’il s’agisse de l’ exportation d’opium pour les talibans, de la piraterie maritime pour les Al Shabab et de ventes d’or pour les groupes du Sahel

Au Sahel Central, en l’occurrence au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le boom aurifère représente une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement pour divers groupes armés, y compris djihadistes.

Limam NADAWA, consultant centre4s.org

De nombreux pays sahéliens regorgent d’or. Ce métal jaune, qui est une richesse mondialement convoitée, constitue aussi un facteur de conflits internes aux États et entre états à l’échelle internationale. La filière or provoque des périls immenses : conflits entre pouvoir central, multinationales et populations riveraines des sites, trafic d’êtres humains, concurrence entre terres arables et sites d’orpaillage, insécurité sur et dans ces sites d’orpaillage résultant du contrôle déficitaire des États, fraude à la commercialisation, recrutement de jeunes jihadistes sur les sites, financement de guerres et de réseaux criminels, équipements inadaptés, etc.

L’or est une des principales richesses du Sahel. Des chiffres officiels qui, bien qu’en-dessous de la réalité, en témoignent. En 2022, le Soudan a exporté environ 42 tonnes d’or, qui lui ont rapporté près de 2,5 milliards de dollars. Depuis 2022, l’or du Tibesti, Tchad, a un potentiel minier estimé à plus de 50 milliards de francs CFA (76 millions d’euros) par semaine.

Au même moment, le Mali a consolidé son statut de grand producteur de ce métal, en vendant près de 70 tonnes, soit une hausse de 8,4%, par rapport à 2021. Ces exportations ont généré 2001 milliards de FCFA, ou 3,4 milliards de dollars US ; la hausse représente 134 milliards de FCFA. L’or industriel pèse 25% des recettes fiscales du pays auxquels il faut ajouter 5% au titre de l’orpaillage.

Au 31 décembre 2022, le Burkina Faso comptait treize mines d’or, dont quatre sont en arrêt, pour une production totale de 57,645 tonnes d’or. En 2021, ce métal a rapporté 2172 milliards de FCFA à l’État, soit sa première recette d’exportation. Le secteur artisanal génère une production annuelle supplémentaire d’environ 10 tonnes, selon le ministère des Mines. En outre, le Fonds minier de développement local (FMDL), auquel les sociétés minières contribuent depuis 2019, a collecté environ 100 Milliards, à la date du 31 décembre 2022.

En Mauritanie, les exportations d’or ont généré 780 millions de dollars, contre 564 millions de dollars pour le fer, qui passe à la deuxième position, en 2020. Le Niger a produit 44 tonnes d’or en 2021.

Les États grands perdants

Les États sahéliens font face à la problématique de la répartition des revenus entre acteurs privés et États. Les sociétés minières, pour la plupart des multinationales, sont accusées de pratiquer l’érosion fiscale via le transfert des bénéfices et des importations des combustibles minéraux. Dans certains pays, on constate, en effet, un décalage entre, d’un côté, l’importance de l’industrie minière dans les économies, les montants considérables d’investissements réalisés, le poids du secteur dans les exportations et, de l’autre, la faiblesse des recettes perçues par l’État.

Les pays sahéliens producteurs d’or tombent dans un piège fiscal. Pour attirer ces multinationales et sécuriser les investissements étrangers, des États réduisent le taux d’imposition pratiqué dans le secteur, ce qui alimente une concurrence fiscale régionale déséquilibrée. Ils accélèrent aussi les procédures administratives en faveur de ces firmes. Ainsi, un permis minier peut s’obtenir en un an, contre au moins cinq ans aux États-Unis et au Canada. Ces multinationales utilisent le transfert international de bénéfices pour réduire les charges fiscales dont elles doivent s’acquitter, en principe, sur le lieu de production. Par le biais de la corruption, entre autres, des gouvernements contournent leur propre Code minier, en signant, officiellement ou en catimini, des conventions d’exonérations d’impôts avec des opérateurs. Ces négociations, mine par mine, sont une brèche dans laquelle s’engouffrent de nombreux acteurs. Il arrive aussi que l’évaluation du prix des minerais exploités ne soit pas en ligne avec celui du marché mondial. Quant aux sociétés minières, elles déplorent le déficit en énergie et la cherté de l’électricité au Sahel. Les financements publics font encore défaut dans ces domaines. Elles se plaignent aussi de l’activité des mines artisanales, autrement appelées orpaillage, qui grèvent leurs revenus et aussi les recettes fiscales des États.

La région du Tibesti convoitée

Au Tchad, la région du Tibesti, située au nord et limitrophe de la Libye, est l’objet de convoitises de divers groupes armés, attirés par l’or. De 2015 à nos jours, des conflits meurtriers s’y sont développés, à telle enseigne que des autorités estiment que la région « constitue un réservoir de recrutement pour le mercenariat ». Les 40. 000 orpailleurs qui écument les sites d’exploitation sont considérés comme des migrants internationaux et nationaux. Pèle mêle, on y recense ‘’des aventuriers, des trafiquants d’or, de drogue et des voyous de la république qui sont des Tchadiens, des Soudanais, des Libyens, des Chinois, des Nigériens…’’

Des jeunes, recrutés dans d’autres localités du Tchad y sont échangés contre 10 grammes d’or par personne. Les 10 grammes d’or équivalent à 250.000 FCFA, soit environ 464 dollars.

Les populations autochtones dénoncent l’appétit du clan gouvernemental pour l’or, et exigent son exploitation régulière, dans un cadre légal, en accord avec le code minier. Entre 2016 et 2023, des affrontements sanglants ont eu lieu entre l’armée tchadienne et les populations locales puis des groupes armés.

Au Mali, le travail des enfants mineurs sur les sites d’orpaillage, soumis aux produits de traitement de l’or comme le mercure, est dénoncé. Ils sont employés dans le terrassement et les tunnels de trente mètres de profondeur. Certains sont chargés de remonter la terre à l’aide de seaux, ou de la transporter au sortir des trous jusqu’au lieu de lavage et du tri. Leurs outils de travail sont rudimentaires : des pioches, des seaux, des marteaux. Ils ne bénéficient d’aucun équipement de protection ni de sécurité. Un grand nombre a abandonné l’école pour s’adonner à ces activités. Fillettes et garçonnets sont aussi exploités sexuellement. Ces fléaux sont également subis par les sites d’orpaillage du Burkina Faso et du Niger.  Par ailleurs, le régime de Transition au Mali a diligenté une récente enquête sur son secteur minier qui a révélé une série d’irrégularités ayant entraîné un manque à gagner substantiel pour l’État, estimé entre 300 et 600 milliards de francs CFA. La mise à nu des nombreuses failles dans l’application du code minier de 2019 pourrait permettre au Mali de recouvrer au moins la moitié de ce pactole.  

Au Burkina Faso, les incidents sont fréquents sur les sites aurifères où les populations des localités abritant ces mines estiment que les retombées pour les communautés locales sont très faibles. Elles réagissent par des saccages et des pillages qui ont, parfois, contraint des sociétés minières à des arrêts momentanés. Une d’entre elles, Centamin PLC, qui avait déjà investi environ 74 milliards FCFA, a même été poussée, en partie par ces incidents, à renoncer à la poursuite de ses activités, en août 2022, à Batié, dans le Sud-Ouest. À ces occasions, les autorités invitent les populations riveraines à se tourner vers l’administration afin d’exposer leurs préoccupations. En ce début septembre 2023, plus d’un millier d’orpailleurs ont été déguerpis d’une forêt du Nord-Ouest. Ils y avaient abattu des arbres, creusé de grands trous à ciel ouvert, construit des centaines de hangars, jeté dans la nature des tonnes de déchets plastiques et des produits polluants.

 Le financement de la guerre au Soudan.

Au Soudan, les violences ont éclaté, le 15 avril 2023, entre l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhane, président du pays depuis le coup d’État le 25 octobre 2021, et son adjoint, le général Mohammed Hamdan Dagalo dit Hemetti, patron des miliciens des Forces de soutien rapide (FSR). Elles sont en partie alimentées par le trafic d’or. En 2017, les recettes d’or représentaient 40% des exportations du Soudan. Hemeti, déjà opérateur dans le secteur, avait créé une société commerciale, Al-Junaid. Il s’empare, par la force, des mines d’or les plus lucratives du pays. Il devient, dès lors, le plus grand négociant d’or du Soudan, en contrôlant, notamment, les frontières de Libye et du Tchad. Avec cette richesse, il s’est trouvé au carrefour d’un vaste réseau de népotisme, d’accords secrets de sécurité et de financements politiques, devenant un « parrain » donc. C’est, en partie, cette immense fortune qui lui permet de mener cette guerre. Il s’appuie, ainsi, sur toute une chaîne d’obligés, au sein de la police, de l’administration, dans l’enseignement et dans la chefferie des tribus. Il s’est aussi attaché les services de mercenaires tchadiens, bien payés.

En Mauritanie, l’État encadre les miniers artisanaux et s’offre de nouvelles recettes fiscales. Sur le plan industriel, le gouvernement incite certaines compagnies à la « mauritanisation » des effectifs, et travaille aussi à augmenter sa part sur les revenus engendrés par le métal jaune. D’autres ont plus de marges de manœuvre pour opérer sans grande transparence ou inquiétudes ns environnementales. Des questions sanitaires sont mises en exergue, avec l’apparition du VIH Sida sur certains sites.

L’insécurité partout

Au Niger, la filière or est considérée comme un bon levier de croissance de l’économie, quand bien même elle est confrontée à des problèmes de gouvernance. Elle est aussi une source de problèmes écologiques, sanitaires, sécuritaires et de droits humains. En outre, l’afflux de population a entrainé une forte pression sur les quelques ressources ligneuses.

L’insécurité est le lot commun des sociétés aurifères du Sahel. Les attaques terroristes, ou autres, amènent certaines à observer des arrêts, voire à fermer. En avril 2022 le président de la Chambre des mines du Burkina (CMB), Adama Soro, a estimé que l’avenir minier du pays pourrait être hypothéqué par l’insécurité. Certaines mines, dans les régions du Nord, du Sahel et de l’Est ne peuvent plus transporter leur personnel par voie terrestre. Les mines investissent aussi beaucoup de moyens dans la sécurisation de leurs sites. Plusieurs attaques ont eu lieu, courant 2022, entrainant la fermeture de quatre d’entre elles. L’autre impact est que, pour leurs activités d’exploration et de recherche, les géologues ne peuvent plus accéder à ces régions.

Les dangers de l’orpaillage.

 

En marge du développement de l’industrie aurifère, la pratique de l’orpaillage a elle aussi connu une forte croissance au cours des dernières décennies. Les autorités estiment que plus d’1,3 million de personnes – soit environ 6 % de la population burkinabè – travaillent sur quelque 700 sites miniers artisanaux exploités dans le pays, le plus souvent en-dehors de tout contrôle de l’État. Peu sécurisés, ces sites sont des cibles de choix pour les groupes armés. Ils constituent également un terreau fertile de recrutement de « jeunes combattants ».

 

L’autre grand défi est la commercialisation de cet or des pays du Sahel. Une bonne partie est vendue de façon frauduleuse, permettant à des trafiquants d’échapper aux contraintes administratives de traçage puis aux impôts et taxes. Dès 2014, la Suisse avait importé au moins 7 tonnes d’or venues du Togo… alors que ce pays n’en produit pas. Des investigations avaient permis de remonter la filière jusqu’à des mines artisanales burkinabè.

Ce trafic entre les deux pays voisins se poursuit de plus belle, les pertes fiscales pour le Burkina Faso se chiffrent à des milliards de FCFA.

 

Les multinationales qui exploitent l’or sahélien sont essentiellement australiennes, canadiennes, russes et sud-africaines associées à des nationaux des pays et d’influents partenaires internationaux.

À côté, une partie importante de l’or sahélien emprunte des circuits clandestins, via des nationaux, en passant, entre autres, par des Libanais, et d’autres acteurs basés en Suisse, en Turquie, à Dubaï, à Singapour et en Chine. Il faut compter également avec les opérateurs russes qui ont inventé de nouvelles méthodes de transfert de leur or, du Sahel vers diverses destinations, afin d’échapper aux sanctions occidentales.

Dans tout le Sahel, l’orpaillage artisanal progresse en général en dehors du contrôle des États. Selon l’OCDE, cette activité génère plus de deux milliards de dollars US par an.

 

Au Sahel, l’exploitation de l’or, industriel et artisanal, se développe, enrichissant dans son sillage des multinationales, des états et des officiels locaux, engendrant, en même temps, des périls et se renforçant de défis.