Le départ des Américains de la base d’Agadez, réclamé à la mi-mars par Niamey, semble se confirmer. Si les contentieux sur les conditions de la coopération entre les deux pays ont compté dans la rupture, les autorités militaires nigériennes, comme leurs voisines du Mali et du Burkina Faso, se tournent aussi vers la Russie parce que son offre répond mieux à leurs besoins sur le terrain de la guerre.
Olivier Vallée
Le 26 mars, quelques jours après la déclaration annonçant l’arrêt de la coopération militaire avec les Etats-Unis, le général Abdourahamane Tiani, président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), s’est entretenu au téléphone avec Vladimir Poutine. Outre les félicitations d’usage au Président russe pour sa réélection, Abdourahamane Tiani a abordé clairement le projet d’une coopération stratégique multisectorielle et globale entre Niamey et Moscou. En effet, il ne s’agit pas simplement d’un basculement d’alliance diplomatique de l’Ouest à l’Est mais d’une adhésion des militaires maliens et nigériens à un nouveau modèle de la guerre, par une montée en puissance basée sur l’utilisation de nouvelles technologies. La Russie a déjà convaincu le Niger et le Mali de l’efficacité de son radar de surveillance aérienne avancé pour la couverture de l’espace aérien et l’alerte précoce en cas d’attaque par voie aérienne. Le dispositif d’appui russe très rapidement mis au service du Niger lui a permis de disposer de renseignements électroniques, de débuter des cyber-opérations et de disposer d’une couverture radar efficace.
Moscou a édifié depuis 2014 sa propre doctrine de « guerre sans contact » qui a été partiellement mise en œuvre au Mali. Cette doctrine est bien accueillie sur l’ensemble du continent car elle repose notamment sur la détection de la menace et l’usage de drones peu coûteux et faciles à utiliser. La guerre de drones est décriée car elle fait des victimes civiles en cas d’erreur de ciblage mais elle permet d’épargner un maximum de vies de soldats. Ce qui, au Sahel, est un enjeu essentiel, après les nombreuses pertes enregistrées depuis 2012.
La guerre sans contact théorisée par la Russie vise à vaincre l’ennemi sur le terrain économique et politique, à l’aide d’attaques prolongées et ciblées à travers des armes conventionnelles et des moyens électroniques mais aussi par des mesures non militaires, notamment informationnelles renforçant le potentiel contestataire au sein de la population adverse.
Wagner en bout de course au Sahel
Au Mali, depuis le mois dernier, l’effectif de Wagner a diminué de 1000 hommes. La brutalité de la milice russe, qui opère parfois sans même se faire accompagner d’interprètes, ne plaide pas en faveur de la poursuite de cette collaboration entre armée nationale et société militaire privée qui brouille, au surplus, les chaînes de commandement. Le ministère russe de la Défense souhaite remplacer Wagner en Afrique par son concurrent Redut ou même directement par des troupes régulières spécialisées, en particulier dans la guerre air-sol.
Selon le Figaro du 30 mars, Alexandre Bikantov, ambassadeur de Russie à Bangui, discuterait de l’installation d’une base russe en République centre-africaine. «Les ministères de la Défense des deux pays poursuivent les négociations», a affirmé Alexandre Bikantov lors d’une interview avec l’agence de presse russe Tass le 26 mars. «Des efforts sont en cours pour choisir un emplacement pour la base», a-t-il poursuivi.
C’est la localisation de la base qui posera le plus de soucis aux puissances extérieures comme les Etats-Unis et la Chine. La RCA voisine plusieurs pays en pleines turbulences politiques : le Tchad, le Cameroun et le Soudan. La base offrira aux Russes une capacité de projection et de stockage de matériel déterminante pour agir sur les zones contiguës. Il s’agit d’un stade supérieur à l’appui militaire russe déjà apporté à la RCA et très apprécié par l’entourage du Président Faustin Archange Touadéra. La disparition officielle de Wagner réinsère le contingent opérant en RCA dans la sphère des relations de coopération interétatique.
Un partenariat de confiance
Moscou a réussi à devenir un partenaire de confiance face aux Américains ou aux Français perçus comme des agents de désinformation et de déstabilisation. La faillite la plus retentissante en matière de coopération civile et militaire en Afrique reste pourtant celle de l’Union européenne, impuissante en matière de contre-insurrection mais méprisante et volontiers répressive à l’égard des régimes issus de coups d’État. En face, la Russie a bâti une offre militaire cohérente sur la durée. La demande a évolué et les pays confrontés à des guérillas mobiles et fuyantes ont abandonné toute référence au concept mou et vague de guerre hybride.
Le ministère de la Défense russe se prépare depuis des années à se substituer à l’Occident pour la coopération militaire. Entre 2014 et 2018, la Russie a signé 19 accords de défense en Afrique. Si l’Égypte et l’Algérie achètent en milliards d’US $, les autres pays commencent à se fournir chez les Russes en matériel de détection, en drones et en hélicoptères. L’ouverture antérieure de la Russie à la formation d’officiers africains lui a donné d’autres atouts lors des changements de régime au Sahel : le premier coup d’État au Mali en 2020 est le fait de colonels de retour de Russie.
La mort de Prigojine, le 23 août dernier, a sonné le début de la reprise de contrôle officiel de Wagner. Ses hommes sont répartis à présent en un corps de volontaires sur le front ukrainien et un autre expéditionnaire, destiné principalement à l’Afrique. Le corps expéditionnaire fixé à 20 000 hommes au terme de 2023 n’a toujours pas fait le plein. Son chef est Andrei Averyanov, déjà à la tête du service des actions spéciales du GRU, le service de renseignement militaire russe. Devant le besoin croissant de combattants russes en Ukraine, Andrei Averyanov entend mobiliser des non-Russes pour le corps expéditionnaire, des Syriens aux Soudanais.
Vers de nouvelles relations d’État à État
Le recrutement s’avère également difficile parce que le modèle économique de Wagner ne peut plus être reproduit. Wagner se payait avec des concessions minières et n’hésitait pas à emprunter les hélicoptères et les camions de l’armée malienne. Ce n’est plus à l’ordre du jour et il faudra que le ministère de la Défense russe définisse un partenariat cohérent qui pourrait être plus attrayant pour les gouvernement africains.
Le Mali, le Cameroun, Madagascar, la Tanzanie, le Burkina ont réformé récemment leurs codes miniers. Dans ce nouveau cadre légal, la possibilité de l’État d’attribuer des permis et de constituer des sociétés où le secteur public est majoritaire devrait autoriser des compagnies minières russes à investir et à travailler sans se cacher. La raffinerie d’or installée près de Bamako pourra aussi, suite au nouveau code minier, s’intégrer dans une société d’économie mixte d’où le corps expéditionnaire pourra tirer des revenus. Cette officialisation de la relation économique qui accompagne la coopération militaire vise à éviter des accusations de colonialisme russe.
L’agence fédérale russe de l’énergie atomique Rosatom complète, par ses liens avec les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel, le début d’une stratégie d’autonomie énergétique et de stockage de ressources stratégiques. Dans ce domaine également, la lente progression de l’agence atomique russe en Afrique coïncide avec la nouvelle donne militaire de Moscou après la fin de Wagner.