Une armée hétéroclite composée d’anciens kadhafistes, de membres du CNT ayant fait défection et de milices modérées ont lancé une importante offensive militaire. Objectif : reconquérir la Libye. Le sud du pays est ainsi passé sous leur contrôle poendant une semaine. Notre récit
L’offensive militaire était en préparation depuis des mois. Elle a commencé dans la nuit du 17 au 18 janvier 2014. Son objectif, selon ses chefs : reconquérir la Libye. « Dératiser » le pays comme le disent, aussi, certains hauts gradés de cette armée de l’ombre sortie de terre au nez et surtout à la barbe du gouvernement d’Ali Zeidan et des milices islamistes de Misrata.
Au début, le noyau dur de cette armée se composait d’anciens partisans du colonel Kadhafi, peu nombreux et désorganisés. Parmi eux, nombre de militaires, d’hommes du renseignement et de membres des anciens comités révolutionnaires de la Jamahiriya libyenne. Des combattants aguerris. La première étape de ce qu’ils appellent la « reconquête » a consisté à se procurer des armes. Comment ? En attaquant des casernes de l’armée régulière. Ils ont aussi pu compter sur du matériel militaire (munitions, transports…) stocké dans des abris souterrains jadis construits par les Nord-Coréens et les Cubains. Beaucoup plus récemment, cette armée de l’ombre a récupéré des armes sophistiquées, discrètement acheminées par des pays amis de longue date du régime du colonel Kadhafi ou qui livrent une guerre sans merci aux islamistes radicaux ainsi qu’à Al Qaida.
La seconde étape de cette « reconquête » a consisté à grossir les rangs de cette armée de l’ombre qui a commencé à sérieusement se structurer au printemps 2013. Des prisons ont alors été attaquées, notamment les fameuses prisons secrètes des milices islamistes ou d’anciens kadhafistes étaient détenus dans l’illégalité, sans que les Ong de défense des droits de l’homme ne trouvent trop à y redire. A l’été 2013, ce sont ainsi plus de 14 000 personnes qui ont été libérées et qui ont pris les armes. La presse occidentale n’en a soufflé mot, mais ces attaques de prison se sont poursuivies tout au long du second semestre 2013.
Les tribus préfèrent les kadhafistes
Troisième étape : reconquérir une légitimité auprès d’une population à la fois échaudée par l’interminable règne du colonel Kadhafi et exaspérée par l’incapacité du gouvernement d’Ali Zeidan à assurer la stabilité et l’ordre. Les anciens partisans du régime de Kadhafi, qui s’appellent entre eux « les verts », en hommage au drapeau vert de la Jamahiriya, se sont attelés à nouer des alliances avec les principales tribus du pays. On ne le redira jamais assez : la Libye est d’abord un pays composé de tribus, un pays au fonctionnement tribal. Cela réduit considérablement les chances d’implantation ex nihilo d’un système “démocratique” tel que nous l’entendons en Occident : pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire. Ces alliances tribales mirent plusieurs mois à se concrétiser mais, au début du mois de novembre 2013, les principales tribus du pays avaient rallié la cause de l’armée de l’ombre, consistant en premier lieu à nettoyer le pays des troupes d’Aqmi qui y ont élu domicile depuis la guerre au Mali, puis à détruire les milices islamistes qui flirtent allègrement avec Al Qaida et, enfin, à chasser du pouvoir Ali Zeidan, dont l’autorité ne dépasse pas le centre-ville de Tripoli. Au mois de décembre 2013, seules deux tribus importantes n’avaient pas rallié cette cause : Misrata bien sûr, et Zenten, où est détenu le fils Kadhafi, Seïf el-Islam.
La décrépitude du pays, l’incapacité du gouvernement central à faire régner l’ordre, l’économie en panne ont fait le reste : défection de membres du CNT, ralliement de milices modérées… Il y a un signe qui ne trompe d’ailleurs pas sur le renversement du rapport de force. Depuis la semaine dernière, de rutilants 4×4 franchissent la frontière avec la Tunisie. A leur bord, les familles de membres du nouveau régime de Tripoli, imposé par la coalition internationale en 2011.
Le sud libyen passé sous contrôle des pro-Kadhafi
Sur le terrain militaire maintenant. Au 31 janvier 2014, voici l’exacte liste des villes et villages qui ont été reconquis par cette armée de l’ombre qui se félicite d’avoir récupéré le sud libyen et remonte maintenant vers la capitale où des combats sporadiques ont déjà lieu dans les faubourgs. Ces agglomérations sont : Sebha, Al Gilat, Ghât, Ragdaline, Tobrouk, Im Saat, Al Qubbah, Timimi, Al Bayda, Fatahia, Al Murj, Tulmina, Dersia, Ribiana, Al Raguria, Persis, El Abyar, Sluk, Jdabia, Jawat, Al Mitania, Al Alziziyah, Goumines, El Briga, Ras Ranouf, Slouk, Gerdina, Obari, Tarhuna, Béni Walid, Werchella, Al Assadia, Abou Slim et Gaddames.
Les combats de ces derniers jours ont été particulièrement violents à Sebha et Tobrouk où les hommes de cette armée de l’ombre ont affronté à l’arme lourde les troupes d’Aqmi et d’Al Qaida.
Cette situation, le renseignement militaire français ne peut pas l’ignorer. Ce n’est d’ailleurs pas le cas. La grande question est maintenant de savoir quelle sera l’attitude de la France face à cette offensive militaire. Au jour d’aujourd’hui, deux options sont sur la table. Option 1 : faire preuve de pragmatisme et acter la nouvelle donne libyenne en restant neutre militairement. Option 2 : organiser une opération militaire en Libye pour stopper l’avancée des troupes kadhafistes et de leurs alliés.
Une faction de l’armée française va-t-en guerre
Une faction de l’armée française, particulièrement va-t-en guerre, penche nettement pour l’option militaire et le fait savoir. Ainsi, le 27 janvier dernier, le chef d’Etat-major des armées françaises (jusqu’à la fin février), l’amiral Edouard Guillaud, qui a supervisé l’opération Harmattan contre le colonel Kadhafi en 2011, a déclaré que « l’idéal serait de pouvoir monter une opération internationale avec l’accord des autorités libyennes ». Une opération qui, selon lui, doit cibler « le sud de la Libye », avec pour objectif d’« éviter la formation d’un nouveau centre de gravité du terrorisme. »
Cette position est pour le moins incohérente. Comment, en effet, la France peut-elle combattre Aqmi au Mali et attaquer ceux qui luttent contre Aqmi en Libye ? Comment la France peut-elle taper Aqmi au Mali et soutenir indirectement Aqmi en Libye en soutenant Ali Zeidan et Misrata ? Une séance d’explication, y compris auprès de la base de l’armée, s’impose. Ainsi qu’une clarification de la position française.