Réagissant à l’annonce, le 30 janvier, du départ de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du Mali, du Burkina Faso et du Niger, l’organisation a réitéré, le 8 février à Abuja, ses affirmations mensongères sur la légalité des sanctions infligées depuis plus de six mois maintenant aux populations nigériennes.
Le Conseil de Médiation et de Sécurité s’était réuni au niveau ministériel pour réagir à la fracture politique historique causée par le communiqué conjoint des trois pays enclavés membres de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel. Dans ce texte, confirmé ensuite par des lettres officielles, Bamako, Ouagadougou et Niamey accusaient l’organisation de trahir les idéaux de ses pères fondateurs sous l’influence de puissances étrangères hostiles. Ils reprochaient surtout à l’organisation d’être devenue «une menace pour ses Etats membres et ses populations», à travers son projet d’intervention militaire au Niger et les sanction «illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables» infligées «en violation de ses propres textes».
Malgré la présence des «hautes personnalités» représentant l’Union africaine1 et le Secrétariat Général des Nations Unies2, qui ont exhorté leurs pairs au dialogue pour sortir de la crise, les ministres du Bénin, du Cap Vert, de Côte d’Ivoire, de Gambie, du Ghana, de Guinée Bissau, du Liberia, du Nigeria, du Sénégal, de Sierra Leone, du Togo ont campé dans le déni, incapables de se hisser à la hauteur de la situation. Le communiqué final en témoigne.
«Les sanctions imposées au Niger ne sont ni illégales ni inhumaines car elles sont ancrées dans les Protocoles de la CEDEAO dont ces trois pays sont signataires», affirment les signataires, au mépris de la vérité des textes qu’ils connaissent parfaitement.
L’enjeu du Président Bazoum
«Les sanctions contre le Niger devaient être progressivement levées une fois qu’une feuille de route pour la transition aurait été adoptée et que le Président Bazoum aurait été libéré», poursuit le communiqué du Conseil de Médiation et de Sécurité, avouant ainsi que les promesses de tentatives de résolution de la crise par le dialogue en décembre étaient lettre morte, puisque la position de l’organisation n’avait pas varié depuis le premier jour bien que la junte ait fait savoir son refus absolu de libérer le Président renversé.
Le fameux protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance3 en vertu duquel ont été prises les mesures de fermeture totale des frontières – y compris pour les médicaments et la nourriture – est pourtant tout à fait clair. En son article 45, il énumère les sanctions pouvant être prononcées contre un Etat membre «en cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit.»
Les voici, par graduation, telles qu’elles peuvent être prononcées par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement :
«- Refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membre concerné à des postes électifs dans les organisations internationales
– Refus de tenir toute réunion de la CEDEAO dans l’Etat membre concerné ;
– Suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les Instances de la CEDEAO ; pendant la suspension, l’Etat sanctionné continue d’être tenu au paiement des cotisations de la période de suspension.»
Les mesures de fermeture des frontières, ça n’existe pas dans le traité de la CEDEAO
Le Président Bazoum, un mois et demi après le renversement du Président nommé par les militaires au Mali, l’avait d’ailleurs dit lui-même le 9 juillet 2021 sur le perron de l’Elysée, aux côtés d’un Emmanuel Macron opinant : « Le protocole sur la bonne gouvernance et la démocratie, que le Mali a souscrit en même temps que nous dans le cadre de la CEDEAO, prévoit que lorsqu’il y a un coup d’Etat, on prenne un certain nombre de mesures qui consistent notamment dans l’exclusion de ces pays des instances de la CEDEAO. C’est ça que nous avons demandé au sommet que nous avons tenu à Accra. (…) Nous avons dit ‘nous sommes partisans de l’état de droit. L’état de droit prévoit quelque chose de très précis ici. Il s’agit de l’appliquer. Les mesures de fermeture des frontières et tout le reste, ça n’existe pas dans le traité de la CEDEAO. Voilà pourquoi, nous Niger, nous n’avons pas préconisé cela.»
Pourtant, six mois après cette allocution de Mohamed Bazoum, le 9 janvier 2022, toujours à Accra, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement se réunissait en sommet extraordinaire pour prononcer contre le Mali les sanctions dont le Président nigérien avait dit qu’elles «n’existaient pas dans le traité de la CEDEAO.» Pour réagir contre la mauvaise volonté de Bamako à respecter ses promesses de retour rapide à l’ordre constitutionnel, la Conférence avait imposé avec effet immédiat des sanctions économiques et financières4 qui sonnent comme l’avant-goût de ce qui serait ordonné fin juillet 2023 contre le Niger, en pire, sans les exemptions «humanitaires» accordées au Mali. Médicaments, matériel médical et nourriture sont en effet bloqués aux frontières du Niger depuis le 30 juillet 2023.
Le 25 mars de la même année, le sommet suivant maintenait les sanctions contre le Mali, sans les étendre à la Guinée et le Burkina Faso, ce pays restant soumis aux sanctions «classiques» de suspension des instances communautaires pour le moment.
Réviser le protocole pour légaliser les sanctions à posteriori
Consciente de l’illégalité du dispositif mis en branle contre le Mali, la Commission de la CEDEAO se voyait alors chargée de réviser le protocole de 2001 pour donner une base juridique aux sanctions économiques et financières et pouvoir aussi, dans l’avenir, ramener dans le rang d’éventuels régimes récalcitrants.
Ce protocole révisé, dont une copie est parvenue à Mondafrique, fut soumis le 10 juin 2022 à la 47e session du Conseil de médiation et de sécurité au niveau ministériel, toujours à Accra.
Que prévoyait-il?
A son article 49, la liste des mesures de suspension prévues par l’ancien texte s’allongeait comme suit :
« – Embargo général sur les armes contre le nouveau régime ou les nouvelles autorités ;
– Interdiction de voyager des dirigeants du nouveau régime, des membres de leurs familles, de leurs proches alliés et collaborateurs ;
– Gel des avoirs financiers des dirigeants du nouveau régime et de leurs proches alliés qui ont fomenté ou participé au renversement de l’autorité constituée dans l’État membre. Ces avoirs financiers peuvent être confisqués au profit de l’État ;
– Gel de tous les comptes et autres avoirs de l’État Membre dans les banques multilatérales et commerciales dans le pays, et dans les autres État Membres ;
– S’il s’agit d’un pays enclavé, l’État Membre se verra refuser l’accès aux ports des États membres,
– Boycott des activités sportives de l’État Membre par les États membres de la CEDEAO.»
Notons que la fermeture totale des frontières et, a fortiori, une intervention militaire contre un Etat membre, n’étaient nullement prévus dans ce texte.
Sénégal, Côte d’Ivoire et Togo vent debout contre la limitation des mandats
Le protocole révisé ne fut pas adopté. Et ce n’est pas l’article 49 qui fit problème. Le débat fit rage dès l’article 1er qui réaffirmait d’emblée, en son premier point sur la durée du mandat présidentiel : «les États membres prennent les dispositions dans leurs Constitutions respectives pour qu’à terme, aucun citoyen de la Communauté ne puisse exercer plus de deux (2) mandats présidentiels ou proroger le mandat qu’il exerce pour quelque motif ou sous quelque forme que ce soit.» Les représentants du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Togo s’insurgèrent contre l’interdiction du troisième mandat. Et faute d’unanimité, le texte fut enterré.
Ce n’est donc pas une surprise si le même Conseil de Médiation et de Sécurité continue de camper, des mois plus tard, sur ses positions.
Dans son communiqué du 8 février contre les Etats sécessionnistes, il prétend que la CEDEAO a fait la preuve de sa volonté de dialogue tandis que ses interlocuteurs ne cessaient de mentir, «de s’adonner à des sentiments et des discours populistes anti CEDEAO, tout en faisant obstacle aux interactions avec les représentants de la CEDEAO».
La nature de ces obstacles n’est pas précisée mais, côté nigérien, on a plutôt noté une lenteur remarquable à engager le dialogue : après la visite de la délégation conduite par le Nigérian Abdou Salami le 18 août 2023 à Niamey, il a fallu attendre le 10 décembre pour que se réunissent les chefs d’Etat puis, le 25 janvier, pour un ultime faux rendez-vous. Durant tout ce temps, la CEDEAO a maintenu ses sanctions extrêmement dures et une menace d’intervention militaire contre le Niger. https://mondafrique.com/international/la-cedeao-joue-double-jeu-avec-le-niger/
Finalement, conclut le communiqué du 8 février, le Conseil ne voit dans «les raisons avancées par les trois États membres pour justifier leur retrait» que «de la poudre aux yeux, cachant la véritable raison qui est leur intention de ne pas remplir leurs obligations au titre du traité et du protocole» et, en particulier, de ne pas «renoncer, dans un futur proche, au pouvoir politique qu’ils ont obtenu par des voies non constitutionnelles».
L’inquiétude transpire tout de même, au-delà de la chicotte, et le Conseil reconnaît les « préoccupations légitimes des trois Etats membres».
Mais point de solution politique à l’horizon. Mali, Burkina Faso et Niger ont déjà largué les amarres.
1 Bankole ADEOYE, Commissaire aux Affaires politiques, à la Paix et à la Sécurité, Commission de l’Union africaine
2Leonardo Santos SIMÃO, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Chef du Bureau des Nations Unies pour
l’Afrique de l’Ouest – UNOWAS
3Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, adopté à Dakar le 21 décembre 2001
4la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Mali; la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la CEDEAO et le Mali, à l’exception des produits alimentaires de grande consommation, des produits pharmaceutiques, des matériels et équipement médicaux, des produits pétroliers et de l’électricité, le gel des avoirs de la République du Mali dans les banques centrales de la CEDEAO, le gel des avoirs de l’Etat malien et des entreprises publiques et parapubliques dans les banques commerciales des pays de la CEDEAO, la suspension de toute assistance et transaction financières en faveur du Mali par les institutions de financement de la CEDEAO, particulièrement la BIDC et la BOAD.