Une tribune signée Jo Biden, président des Etats Unis, publiée le 9 juillet 2022 dans The Washington Post (« Pourquoi je vais en Arabie Saoudite »), explique pourquoi les Etats Unis subissent sans broncher les humiliantes négociations indirectes (Américains et Iraniens se parlent par Européens interposés) que leur imposent les dirigeants d’un pays qui terrorise sa population, organise des manifestations de masse contre le « Grand Satan » américain, appelle à détruire le « petit Satan » Israël, et fomente des guerres au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen, à Gaza et en Cisjordanie.
Un article d’Yves Mamou, ancien journaliste du « Monde »
L’Iran n’en finit plus de souffler le chaud et le froid sur les négociateurs européens et américains chargés de redonner vie à feu-le JCPOA ou Accord sur le nucléaire iranien. Ainsi, le 8 septembre, la porte-parole du quai d’Orsay a « déploré que l’Iran n’ait pas saisi les opportunités (… de faire) la lumière sur la présence non déclarée de matières nucléaires sur des sites non déclarés ».
En langage non-diplomatique, la France se déclarait consternée que l’Iran ait proposé de poursuivre les discussions en proposant de tenir pour nulles et non avenues les preuves d’une probable activité militaire nucléaire clandestine sur des sites nucléaires eux-mêmes clandestins en Iran. Mais le 12 septembre, ô surprise, l’Iran s’est déclaré prêt à « coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour « balayer » les doutes sur ce dossier. Et ainsi de suite, depuis un an et demi que les négociations ont repris sur le nucléaire iranien.
Une présence militaire allégée
Les Etats Unis ne souhaitent pas s’enliser dans une guerre avec l’Iran et espèrent même alléger leur présence militaire au Moyen Orient. « La semaine prochaine, écrivait Jo Biden, président des Etats Unis, dans une tribune publiée le 9 juillet 2022 dans The Washington Postje serai le premier président à me rendre au Moyen-Orient depuis le 11 septembre 2001 sans que des troupes américaines soient en guerre dans cette région. Mon objectif est de continuer ainsi » écrit Joe Biden dans le Washington Post. Une manière élégante d’oublier au passage la désastreuse évacuation d’Afghanistan.
Depuis Obama, tous les présidents américains ont eu à cœur d’alléger leur présence militaire au Moyen Orient, Trump y compris. Mais Démocrates et Républicains justifient ce retrait par des narratifs différents. Donald Trump n’a pas eu trop de mal à convaincre les Etats du Golfe que face à un ennemi commun, l’Iran, ils avaient tout intérêt à bâtir des relations diplomatiques, commerciales et de coopération militaire avec Israël (Accords d’Abraham). Les Etats Unis demeurant derrière, en back office en quelque sorte.
« Le narratif » de Joe Biden
Joe Biden lui, a construit un narratif totalement différent. Il nie que l’Iran soit un problème sécuritaire pour les Etats Unis comme pour les alliés historiques des Etats Unis. Il parle et agit comme si un banal problème de communication empêchait l’ « intégration » de l’Iran dans une imaginaire communauté moyen orientale.
Tony Badran, chercheur à la Foundation for Defense of Democracies, remarque que l’expression « intégration » revient à trois reprises dans la tribune signée par Joe Biden dans le Washington Post. Cette insistance ne peut avoir qu’une signification souligne Tony Badran : ce sont les alliés traditionnels des Etats Unis (l’Arabie Saoudite, Israël, les Etats du Golfe…) qui sont perçus comme des freins à l’intégration de l’Iran au Moyen Orient. « Toute tentative des alliés historiques de l’Amérique de contrer la subversion et l’expansionnisme de l’Iran, sans parler de son programme d’armes nucléaires, menace les États-Unis en générant du terrorisme et embarque l’Amérique dans des guerres israéliennes et saoudiennes, ou les « boys » risquent de perdre la vie. La seule option acceptable est d' »intégrer » l’Iran » écrit Tony Badran.
Et pour que ces alliés historiques comprennent bien que l’Amérique ne se laissera pas entrainer dans ce qu’ils affirment être des « querelles de clocher », Joe Biden a commencé à leur tirer l’oreille.
Les Séoudiens punis
Une punition a ainsi été infligée à l’Arabie Saoudite. « J’ai rendu public le rapport de la communauté du renseignement sur le meurtre de Jamal Khashoggi, j’ai pris de nouvelles sanctions, à l’encontre de la Force d’intervention rapide de l’Arabie saoudite impliquée dans son assassinat, et j’ai prononcé 76 interdictions de visa en vertu d’une nouvelle règle interdisant l’entrée aux États-Unis à toute personne soupçonnée de harceler des dissidents à l’étranger …. Dès le départ, mon objectif a été de réorienter – mais pas de rompre – les relations avec un pays qui est un partenaire stratégique depuis 80 ans », affirme Joe Biden dans son épitre au Washington Post.
Quant à Israël, la prise de distance n’a pas été moins violente. Dès janvier 2021, Antony Blinken, ministre des affaires étrangères, a remis publiquement le règlement du conflit israélo palestinien au centre du jeu ainsi que la sempiternelle « solution à deux Etats ». Ceux qui avaient pu croire que, face à l’Iran, la « question palestinienne » avait été latéralisée, en ont été pour leurs frais. Le 16 juillet 2022, à l’issue du sommet de Djeddah, les Etats Unis, l’Arabine Saoudite, l’Egypte, les Etats du Golfe l’Irak et la Jordanie ont publié un communiqué final qui souligne « la nécessité de parvenir à une résolution juste du conflit israélo-palestinien sur la base d’une solution à deux États, notant l’importance de l’initiative arabe. Ils insistent sur la nécessité de mettre fin à toutes les mesures unilatérales qui compromettent la solution à deux États, de préserver le statu quo historique à Jérusalem et dans ses lieux saints, en soulignant le rôle crucial de la tutelle hachémite à cet égard. »
Les Iraniens ont compris que les Etats Unis n’ont aucun désir d’entrer en guerre contre eux et sont prêts à délaisser leurs alliés traditionnels pour signer un accord sur la question du nucléaire. Ils testent donc les limites en permanence. Dimanche 12 septembre, le journal Haaretz a rapporté que le gouvernement israélien ne considérait pas la panne actuelle des négociations avec l’Iran comme un arrêt définitif. Quelle que soit l’importance apparente des disputes entre l’Iran et les puissances occidentales, Jérusalem pense que les négociations aboutiront. Un accord pourrait même être trouvé après les élections américaines de mi-mandat en novembre.
Il est toujours possible à un pays puissant comme les Etats Unis de redéfinir son club d’amis et d’ennemis. L’ami iranien que les Etats Unis cherchent à amadouer jouera-t-il le jeu sans lui tirer dans le dos ? Il est vrai que, en cas d’erreur, le dommage ne serait pas très grave. Ce sont les « amis » historiques des Etats Unis (Israël, l’Arabie Saoudite et les Etats du Golfe) qui en feront les frais.
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