Les Émirats Arabes Unis à la manoeuvre en Afrique de l’Est

L’Afrique de l’Est (Soudan, Éthiopie, Yémen), trop souvent ignorée par la communauté internationale , est livrée aux ambitions des Émirats Arabes Unis qui s’appuient sur des milices armées sans états d’âme, dont les redoutables FSR du général soudanais rebelle, Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemedti

Un article d’Olivier Vallée 

La guerre civile appelée aussi ‘’guerre des généraux’’ qui a éclaté en avril 2023 oppose l’armée nationale (Sudan Armed Forces ou SAF) du général Abdel Fattah Al Burhan et les Forces de Soutien Rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dogolo dit H’meyti.

Les frappes déclenchés par les Américains contre les Houthis au yémen, le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël et les milliers de morts de Gaza occultent les failles qui ébranlent l’Afrique de l’est depuis la Libye jusqu’à à la mer Rouge.

L’opération aéronavale d’ampleur des Anglo-américains contre les Houthis du Yémen ne saurait faire oublier les frappes meurtrières que ces indépendantistes ont subi de la part des Séoudiens et des Émiratis. Dans cette guerre longtemps ignorée, les Émirats ont pu compter sur les miliciens du général soudanais Mohamed Hamdan Dogolo, dit « Hemedti ». Chef des miliciens des « Rapid Support Forces » (RSF), Hemedti est à l’origine de dizaines de milliers de morts au Darfour et au Tchad depuis 2003, du massacre entre 1997 et 2000 des populations civiles au Yémen et enfin de « la guerre des généraux » qui a mis le Soudant à feu et à sang depuis avril 2023.

Autant d’interventions brutales du général félon qui n’ont été possibles que grâce au soutien financier et diplomatique massif des Émirats Arabes Unis, passé maitres dans l’art de pratiquer la guerre par procuration.

L’Éthiopie alliée des Émiratis

Le conflit en Éthiopie a officiellement démarré dans la nuit du 3 au 4 novembre 2020. Le gouvernement éthiopien a accusé les forces du Front de libération des peuples du Tigré (TPLF en anglais) d’avoir attaqué l’armée fédérale éthiopienne basée au Tigré, et a décidé de lancer une offensive dans cette région

Les Émiratis n’ont pas avancé leurs pions seulement au Soudan. L’éthiopien Ahmed Abiy, qui avait provoqué beaucoup d’espoirs en parvenant au poste de Premier ministre en 2018 à la tête du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, n’est parvenu à se faire élire à nouveau et à consolider son pouvoir qu’en provoquant entre 500000 et un million de morts dans la province du Tigré. Ces exactions n’ont été possibles que grâce au soutien en armes et en subsides de MBZ, le monarque tout puissant qui règne sur les Émirats.

Ethiopia’s Prime Minister Abiy Ahmed h

La caution émiratie a permis au Premier ministre éthiopien d’exterminer des centaines de milliers de civils sans provoquer la moindre sanction de la part de l’Occident. La Banque mondiale vient de décaisser 135 millions USD pour l’électrification du pays. Le grand barrage pharaonique de l’Éthiopie, qui menace les pays en aval, dont l’Égypte, se voit donc également cautionné. 

La course d’Hemedti vers la Mer Rouge

Grace au triple soutien des Émirats, de l’Éthiopie et du Tchad, le général Hemedti a désormais les mains libres dans sa tentative, sinon de prendre le pouvoir au Soudan, mais en tout cas de diviser drablement un pays exsangue. Les 40000 hommes de son corps expéditionnaire qui avaient été mobilisés au Yémen sont revenus dans leur pays et tentent depuis avril 2023 de défaire l’armée régulière général Abdel Fattah Al Burhan et les services secrets hérités de la dictature d’Omar El Bechir.

C’est ainsi qu’ « Hemedti » est devenu un acteur géopolitique déterminant en Afrique de l’Est, au mépris des crimes de guerre et des violations des droits de l’homme enregistrés depuis une décennie.

Située à 140 km au sud-est de Khartoum, la capitale déchirée par le conflit, Wad Madani se trouve au cœur de l’État d’Al-Jazirah,

Désormais ses Forces de Réaction Rapide d’Hemedti se sont emparées de l’Ouest du Soudan et presqu’entièrement de Khartoum. Elles se dirigent à présent plus à l’Est et ont conquis, fin 2023, la ville de Wad Madani, capitale de l’État d’Al-Jazirah.

Ces milices d’une violence extrême, soutenus par leurs alliés émiratis, pourraient avoir accès, demain, à la mer rouge et investir Port Soudan. Ce qui s’inscrit parfaitement dans la stratégie constante de MBZ de contrôler les Ports africains et arabes, malgré l’échec essuyé à Djibouti où les Chinois ont pris le contrôle des installations portuaires en installant une base militaire et en arrosant une classe politique locale totalement corrompue.

La connexion Haftar-Hemedti

En Libye, les Émirats Arabes Unis commencent à envisager une défaite du maréchal Haftar, qui fut depuis longtemps leur poulain. Ce scénario pourrait leur permettre de rapatrier de nombreux combattants libyens à leur solde sau Soudan pour conforter l’offensive des Rapid Support Forces du général Hemedti vers l’Océan indien.

Haftar et Hemedti sont liés par le monde des trafics du Captagon à l’or en passant par le bétail et les voitures volées. Pour Haftar la Victoire des RSF lui offre la perpétuation de son rôle dans l’économie illicite qui s’impose dans la relation Libye, Tchad et Soudan. L’accès à Port Soudan serait une alternative à la perte de la côte libyenne de mieux en en mieux surveillée par l’aviation militaire gouvernementale de Tripoli.

L’armée d’Haftar (ou LNA) a contribué au renforcement et à la formation des RSF en vue de batailles conventionnelles. Un des fils d’Haftar,  Sadiq Haftar, est le président honoraire d’une grande équipe de football du Soudan et son père a emprisonné un chef de milice soudanaise Moussa Hilal, ennemi d’Hemedti et vainqueur de Wagner dans certains affrontements en RCA. Haftar et Hemedti combinent avec habileté les soutiens russes et émiratis et ont établi une logistique d’approvisionnement en armes et en carburants.

L’Érythrée isolée, l’Iran aux aguets

Cité dans les années 90 par le président américain Bill Clinton  parmi les «dirigeants de la renaissance» du continent africain, le président érythréen, Issaias Afeworki, devenu un dictateur féroce, ne voit pas forcément cette avancée des Émirats vers la mer rouge d’un bon oeil. Mais comment agir, alors que le pouvoir à Asmara est de plus en plus contestéen interne? Coincé entre l’Éthiopie avec laquelle une paix précaire a été signée après la sanglante guerre frontalière entre 1998 et 2000 et le puissant voisin soudanais, le petit Érythrée ne peut pas prendre le pari risqué de se battre sur ces fronts, alors qu’une partie de sa jeunesse cherche à fuir le pays..

Seul l’Iran qui maintient dans la Mer rouge son soutien aux Houthis pourrait peser dans l’issue de la guerre civile soudanaise. Le général Abdel Fattah al-Burhan, le patron en titre de « la transition » au Soudan, est bien conscient que seuls les mollahs de Téhéran pourraient encore l’aider à renverser le rapport de force face à la rébellion de son rival, le général Hemedti. C’est pour cette raison qu’il a rétabli des relations diplomatiques avec l’Iran le 7 octobre 2023, le jour de l’attaque du Hamas contre Israël, avant de se rendre en Arabie Saoudite, en novembre, pour demander là encore de l’aide.

Ces alliés devenus adversaires

Ainsi, l’Arabie Saoudite comme les Émirats Arabes Unis (EAU) voient tous deux la guerre comme une opportunité pour étendre leur influence dans la région. Les Saoudiens soutiennent le gouvernement internationalement reconnu d’Abdel Fattah, alors que les émiratis penchent pour le chef des rebelles et ex numéro deux du régime. 

Le monarque émirati n’espère pas une victoire complète des FSR, de toute façon hautement improbable au vu de la force et la légitimité de Fattah. Mais un cas probable serait une situation similaire à celle de la Libye, où divers groupes se battent pour des zones d’influences sur un territoire immense dans un état de « ni guerre, ni paix » dont la population civile de l’Afrique de l’est serait la première victime.

 

 

 

 

 

1 COMMENTAIRE

  1. C’est une faillite en perspective. C’est le paradoxe de la logique mécanique et top-down des choix pris ailleurs. Mais aussi et surtout une deconstruction du capital politique accumulé jusqu’ici. Cet Émirat devrait revoir toute l’approche à son expansion. Il plus facile pour les empires de basculer dans la disgrâce, encore plus vrai dans le cas des richesses basées sur les services où la confiance dans le modèle est indispensable. Le « décison-isme » célérité des décisions n’est pas toujours synonyme de productivité. Si jusqu’ici ce pays a révolutionné pacifiquement la région, c’est grâce à l’approche holistique moderne sans renoncer à ses propres valeurs, cette partie extérieure laisse toutefois à penser quant à la cohérence entre politique intérieure et extérieure. J’aime ce pays et donc je lui livre mes sentiments.

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