Le ministère des Finances libanais, bastion inexpugnable du tandem chiite depuis plus d’une décennie, pourrair rester dans les mains d’Amal, le parti frère du Hezbollah. Les deux mouvements ont fait de ce portefeuille stratégique leur sanctuaire, leur donnant un droit de veto sur la vie gouvernementale. Cette mainmise si elle était confirmée pourrait bien condamner les velléités d’alternance du nouveau gouvernement.
Le Hezbollah et son allié Amal ont verrouillé le ministère des Finances libanais pendant plus d’une décennie, faisant de ce portefeuille stratégique l’un des piliers de leur emprise sur l’État. Leur ascension au cœur de l’appareil étatique a suivi une trajectoire méthodique et implacable. Tout a commencé avec l’entrée du Hezbollah au Parlement en 1992, puis s’est accéléré en 2005 lorsqu’ils ont obtenu les ministères de l’Énergie et du Travail. Un an plus tard, l’alliance stratégique nouée avec le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun leur a permis de consolider durablement leur influence au-delà de leur base chiite traditionnelle.
Mais c’est en 2014 que le tandem chiite a réalisé son coup de maître en s’emparant du ministère des Finances. Ce portefeuille, qui contrôle le budget national et dont la signature est indispensable à toute décision gouvernementale, leur confère un droit de veto de facto sur la politique du pays. Depuis, aucune réforme ni décision budgétaire majeure ne peut être actée sans leur aval. Cette mainmise a transformé le ministère en une forteresse, où chaque nomination, chaque dépense, chaque projet doit obtenir leur approbation, leur permettant ainsi de verrouiller le système à plusieurs niveaux.
D’abord, cette emprise leur a donné la capacité de bloquer toute réforme qui irait à l’encontre de leurs intérêts. Que ce soit la mise en place d’un audit des finances publiques, l’adoption de mesures d’austérité exigées par le Fonds monétaire international ou la restructuration du secteur bancaire, toute initiative susceptible de contrarier leur réseau de financement est systématiquement sabotée. Ensuite, le contrôle du ministère leur a permis d’orienter les ressources de l’État pour alimenter leurs propres réseaux, construisant ainsi un véritable état dans l’État, avec ses infrastructures sociales et son appareil militaire. Enfin, ce levier économique leur a donné le pouvoir d’asphyxier financièrement leurs opposants politiques en les privant de financement, qu’il s’agisse de subventions, de nominations dans l’administration ou même de simples dépenses de fonctionnement pour certains ministères.
Le choix imposé de Yassin Jaber
Le Premier ministre désigné Nawaf Salam avait pourtant affiché dès le départ sa volonté de rompre avec cette mainmise, insistant sur la nécessité de revenir à une logique institutionnelle où aucun ministère ne serait la chasse gardée d’une communauté ou d’un parti. Pourtant, après des semaines de bras de fer, il a dû se résoudre à céder une nouvelle fois ce ministère au tandem chiite. Ce n’est pas seulement l’octroi du portefeuille des Finances qui marque sa reddition, mais l’ampleur des concessions faites.
Car il ne s’agit pas simplement d’un ministère attribué à un proche du tandem chiite, mais bien d’un nom imposé par Nabih Berri lui-même. C’est Yassin Jaber, membre du mouvement Amal, qui a été désigné, un choix dicté par Berri sans la moindre opposition. Cette exigence du président du Parlement n’a rencontré aucun véritable obstacle, renforçant l’impression que Nawaf Salam n’a négocié qu’avec le tandem chiite, tandis qu’il a été bien plus ferme avec d’autres composantes politiques du pays.
Cette asymétrie est d’autant plus flagrante que le tandem chiite a lui-même déclaré publiquement avoir obtenu tout ce qu’il souhaitait de Nawaf Salam, une déclaration qui en dit long sur la nature du compromis qui a été conclu.
Cette soumission a été vécue comme une véritable trahison par une large partie des Libanais, qui voient dans cet épisode un renoncement total de l’homme qui était censé « sauver le Liban ». Beaucoup espéraient que Nawaf Salam incarnerait un renouveau, une rupture avec les arrangements traditionnels qui ont mené le pays à la faillite. Mais en cédant sur le point le plus stratégique du gouvernement, il envoie un signal désastreux : rien ne changera, le Hezbollah et Amal continueront de dicter leur loi, et toute tentative de réforme sera inévitablement bloquée.
Renflouer les caisses vides du Hezb
Cette obstination à garder le contrôle de ce ministère s’explique par la crise financière que traverse le Hezbollah. Depuis la guerre avec Israël, ses caisses sont exsangues et ses sources de financement traditionnelles s’amenuisent. Israël et la communauté internationale ont renforcé le contrôle sur les flux financiers destinés au parti, rendant l’accès aux fonds bien plus compliqué depuis l’Iran, bailleur de fond principal de la milice. L’aide syrienne, autrefois un soutien clé, est devenue quasi inexistante après la chute de Bachar al-Assad, et le « Qard el Hassan », la structure financière du Hezbollah, peine à répondre aux besoins de son réseau. Dans ce contexte d’asphyxie financière, garder le contrôle du ministère des Finances est vital pour le Hezbollah, car c’est par ce biais qu’il pourra tenter d’orienter les fonds publics vers ses bastions et à maintenir son influence.
La formation de ce gouvernement était pourtant porteuse d’espoir pour un pays en faillite. Beaucoup espéraient que ce serait l’occasion d’un véritable électrochoc, permettant enfin de rebâtir le Liban sur des bases assainies, loin de la corruption et du communautarisme qui l’ont mené au désastre. Mais en cédant une fois de plus aux diktats du Hezbollah et d’Amal, Nawaf Salam hypothèque gravement ses chances de succès…