En proie à une grande instabilité sécuritaire, le Niger, souvent qualifié de « maillon faible du Sahel », a accueilli cette année sur son territoire les exercices militaires baptisés « Fintlock » sous commandement américain. Objectif, renforcer les capacités des armées des pays de la région. Un rendez-vous militaire politiquement correct qui permet aux Etats-Unis d’accroitre leur influence sur la zone saharo-sahélienne et jusqu’en Libye
Dans le sable rouge d’un vaste camp militaire de fortune, des tentes kaki, quelques bâtiments anonymes, deux miradors. Ce cadre a abrité, pendant trois semaines, des soldats sénégalais, burkinabé et nigériens, dans le cadre de l’exercice militaire international Flintlock 2014, à Tahoua, à 500 km au nord de la capitale du Niger, Niamey.
1000 hommes et 18 pays engagés
Le Niger avait souhaité cette année accueillir l’exercice sous commandement américain, après la Mauritanie, en 2013, et avant, sans doute, le Tchad en 2015. L’armée nigérienne, en pleine montée en puissance militaire après avoir longtemps été la plus modeste de la région, avait sélectionné trois sites aux avant-postes de la menace terroriste : Tahoua, sur la frontière du Mali, Agadez, sur la route de l’Algérie et de la Libye, et Diffa, à deux pas de la zone de front de Boko Haram.
Les Nigériens, logiquement, étaient donc en nombre, côte-à-côte avec les Américains, représentant chacun à peu près un tiers des effectifs de 1000 hommes et 18 pays engagés dans l’aventure. Le dernier tiers était composé de plusieurs formateurs de l’OTAN et de stagiaires des armées tchadienne, mauritanienne, sénégalaise, burkinabé, nigériane, ainsi que de trois pays observateurs : la Tunisie, le Maroc et l’Algérie. Le Mali n’a pas pu envoyer d’hommes cette année. Les encadreurs sont pour la plupart issus des forces spéciales. Au petit matin et au crépuscule, ils soulèvent des poids sur la terrasse de leur bâtiment, histoire de garder la forme et la silhouette baraquée de rigueur.
C’est l’esprit de Flintlock, depuis sa création : confier à des troupes expérimentées, habituées aux théâtres d’intervention chauds de la planète, la formation de leurs homologues d’Afrique de l’Ouest. Flintlock, en effet, est la projection d’Africom, la force américaine couvrant l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, basée en Allemagne.
Des friandises survitaminées contre les djihadistes
Exercices de tir, par plus de 45° à l’ombre. Couchés, un genou au sol, debout : les Burkinabé sont concentrés. Check point de contrôle de véhicule (isoler un véhicule, vérifier les passagers, sans prendre de risque ni bloquer le passage). La classe a lieu sous de grandes tentes. A nouveau, un Néerlandais rappelle sur un tableau les notions acquises. Simulation de l’attaque d’un commando d’AQMI retranché dans un petit bâtiment, dans un désert pelé où errent des troupeaux de mouton à la recherche d’on ne sait quelle pitance. Contrôle des blessés, des morts, fouille du bâtiment. Les Nigériens ont fait mieux que les Burkinabé : ils entonnent un chant militaire. Le Niger, avec l’argent occidental, a investi dans trois nouveaux camps, qui seront légués aux troupes d’Agadez, de Tahoua et de Diffa. Mais la priorité est d’abord le renforcement de capacités des hommes.
L’armée nigérienne a payé un lourd tribut, frappée par Mokhtar Belmokhtar en mai dernier, au coeur de la caserne d’Agadez. Naïfs, les militaires stationnés sur place avaient accueilli en leur sein un compatriote venu de la région de Maradi, qui s’est prétendu ancien militaire, a mangé et prié avec eux pendant plusieurs jours avant de se faire sauter le matin de l’attaque. Certes, depuis l’installation d’AQMI dans la région, il y avait déjà eu des accrochages, des morts. Comme pendant la déroute des soldats touaregs de Kadhafi, fuyant l’OTAN et la défaite, qui avaient traversé le nord du Niger pour rallier le Mali, en août 2011. Mais jamais une telle attaque frontale, menée, qui plus est, avec la complicité d’un cheval de Troie nigérien.
Aqmi, Mujao, Mourabitoune : ces commandos djihadistes kamikazes venus du Nord sont désormais l’ennemi, après avoir longtemps menacé surtout les Occidentaux. Les exercices de Flintlock les désignent clairement. Les soldats sont contents, à l’issue de trois semaines de classes et d’exercices à l’Américaine, où ils ont machouillé et grignoté les rations et friandises survitaminées qui constituent l’ordinaire de leurs homologues américains. Le sergent Nabassoua Soumaïla, de l’escadron blindé de Tahoua, résume : « on apprend des nouvelles manoeuvres tactiques concernant les opérations sur le terrain, les manoeuvres de combat, comment neutraliser différents types d’ennemis. » Phil (tous les soldats occidentaux se présentent sous pseudonyme), commandant de Flintlock à Tahoua, rappelle, très politique, le cadre général de Flintlock : « renforcer la stabilité et la sécurité de la zone Trans Sahel, à travers une approche multinationale. » Les forces spéciales américaines sont plutôt bonnes, dit-il, dans la formation et le coaching des autres pays. « Elles reçoivent des formations linguistiques et culturelles en ce sens. » Enfin, très technique, il précise que les compétences visées sont les compétences de base : « classes de communication, soin médical de base, classes de navigation terrestre », puis, une fois les bases assimilées, « techniques plus avancées de sécurité et de patrouille, opérations militaires, récupération de colis largué par avion, opérations de fouille ».
Un levier d’influence pour les Etats-Unis
Cette année, le « big focus », à la demande des Nigériens, concernait les affaires civilo-militaires : « comment enseigner aux forces africaines à mieux engager les populations ; comment s’assurer que les populations comprennent que l’armée est là pour les aider. A travers, par exemple, des actions médicales au profit des villages reculés. » En effet, l’état-major nigérien est bien conscient que la lutte contre le terrorisme passe, avant tout, par le renseignement. C’est vrai à Diffa, où la collaboration de la population a empêché jusqu’à présentune attaque de Boko Haram, pourtant largement infiltré, mais c’est plus compliqué en région touareg, où les rébellions passées ont légué une profonde méfiance à l’égard de l’armée régulière. Il faut dire que les exactions contre les civils ont été nombreuses.
Côté occidental, enfin, Flintlock est perçu d’abord comme un moyen, pour les Etats-Unis, de garder un pied militaire dans le Sahel, où la présence française s’est renforcée spectaculairement depuis l’intervention au Mali. Steve (sous pseudonyme), l’un des rares Français participant à Flintlock, résume en ces termes: « L’objectif des Français, c’est de rester dans le concert des nations, de participer, avec les Américains, pour ne pas être exclus. Les Américains essayent d’avoir un pied à terre en Afrique, mais ils n’ont aucune culture du monde africain. Donc ça reste difficile pour eux. »
Les Américains esquivent systématiquement toutes les questions sur leurs ambitions sahéliennes. « Nous sommes venus à la demande des Nigériens. C’est une formidable occasion d’échanger et d’apprendre les uns des autres », dit le général de brigade Linder, d’Africom, qui ne consent à s’exprimer qu’au nom de ce bel ensemble multinational.
Au Niger, une partie de la classe politique gronde contre la présence accrue des forces occidentales. Drones tueurs stationnés à l’escadrille militaire à Niamey et à Agadez, base arrière française également installée dans la capitale et qui a servi au repli à l’opération Serval, et désormais base de renseignement. L’arsenal est impressionnant. Ancienne puissance coloniale, la France viendrait ainsi protéger ses intérêts stratégiques au Niger, et tout particulièrement les mines d’uranium du Nord, exploitées par Areva. Dans l’armée nigérienne, c’est un sujet très sensible. Même si le chef d’état-major, le général Seyni Garba, refusant d’y voir un tabou, explique que le Niger n’a pas les moyens d’affronter seul le péril terroriste : « Nous avons besoin de mutualiser nos efforts pour pouvoir lutter contre l’insécurité et permettre aux populations de se consacrer au développement. Il est bien évident que nous avons des moyens qui nous permettent de réussir un certain nombre de missions mais nous avons aussi besoin aussi de l’expertise de certains pays occidentaux et de certains pays africains qui ont plus de moyens que nous. Nous pensons que cette lutte-là, elle est globale. »
Tout le monde vient à Flintlock, le rendez-vous politiquement correct du Sahel militaire. Certes, pas sans arrière-pensées. Pour les armées du Sahel, c’est une opportunité de formation et de renforcement des moyens ; pour les Américains, un levier d’influence discret, depuis que leurs poulains maliens, formés à grands frais, ont renversé le régime d’ATT et semé le chaos ; pour les Européens, timides en matière de sécurité, un rendez-vous de formation militaire qui permet de ne pas être complètement absents du terrain.