La deuxième édition du Forum de Paris sur la Paix qui s’est tenue à Paris du 12 au 13 novembre 2019 et à laquelle n’assista qu’une minorité de présidents africains, laisse une appréciation mitigée.
Placée sous la présidence de Pascal Lamy, l’ancien patron de l’Organisation mondiale du commerce, et sous la direction générale de Justin Vaïsse, historien et ancien responsable du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay, cette réunion internationale due à Emmanuel Macron cherche à promouvoir une nouvelle gouvernance mondiale. Vaste défi ! Pour Emmanuel Macron, le nouveau monde doit rapidement être consolidé au niveau planétaire, afin de se prémunir contre les unilatéralismes se nourrissant d’un populisme en pleine expansion.
Le multilatéralisme revisité
Le multilatéralisme devrait donc s’appuyer sur une nécessaire meilleure prise en compte des pays du sud et de leur population en forte progression. Les autres questions posées concernent, à la fois, la protection des biens publics mondiaux qui ne peut plus se circonscrire dans un espace territorial limité, la recherche d’une approche multiacteurs dans la protection de la cybersécurité, les liens entre l’art et de la culture avec la politique notamment dans le perspective de la restitution des biens spoliés durant la colonisation, la consolidation de l’égalité au travers des questions de genre, la protection de l’environnement et la question centrale des changements climatiques, la maitrise de la gouvernance d’internet et l’intelligence artificielle.
Quatre-Vingt débats sur ces sujets ont été, peu ou prou, éclairés par des experts reconnus sur ces différentes questions. Se voulant incubateur de projets répondant à ces défis mondiaux, la deuxième édition du Forum a permis de présenter 114 projets permettant de donner des réponses à ces questions de gouvernance mondiale. Une dizaine ont été retenus pour être financés.
Des diplomates à l’écart
Emmanuel Macron a une forte méfiance, voire un mépris, envers les diplomates et préfère les relations personnelles directes voire par l’intermédiaire d’acteurs de la société civile. En cela, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est totalement en ligne avec le chef de l’État. Pour cette deuxième édition du Forum, on constate que seulement 27 chefs d’État et de Gouvernement étaient présents contre 65 pour la première édition du Forum, en novembre 2018.
L’organisation du Forum laissait donc moins la place aux diplomates et aux États qu’aux acteurs des organisations internationales, aux experts de la société civile et des grandes entreprises et aux personnalités universitaires, syndicalistes et chercheurs reconnus de Think Tanks influents. Ce mixage a vu , par exemples, les présences de la Présidente de la Commission de l’Union européenne, du Secrétaire général de l’ONU, de responsables la Banque mondiale, du PNUD, de l’ OCDE et de quelques autres organisations de coopération collective mais surtout des Fondations à vocation universelle et des personnalités, aussi diverses, allant de l’anglo-soudanais Mo Ibrahim, apôtre de la bonne gouvernance et du professeur camerounais Achille Mbembe, professeur à Witts de Johannesbourg, au milliardaire américano-suisse, Thomas Kaplan, collectionneur d’art hollandais, à Ingrid Levavasseur, l’une des figures des Gilets jaunes français.
Peu de présidents africains
Seulement onze chefs d’État africains sur 54 étaient présents : Azali Assoumani ( Comores), Paul Biya ( Cameroun), Faustin-Archange Touadera ( Centrafrique), Ismaël Omar Guelleh ( Djibouti), Teodoro Obiang Nguema Mbasogo ( Guinée Equatoriale), George Weah ( Liberia), Ibrahim Babacar Keïta ( Mali), Félix Tshisekedi ( RDC), Idriss Deby Itno ( Tchad), Mahamadou Issoufou ( Niger), Julius Maada Bio ( Sierra Leone). Il faut reconnaître que cette brochette de chefs d’État n’est pas ce qui se fait de mieux en matière de lutte contre la corruption et des détournements de deniers publics, de défense des droits de l’homme et de respect des valeurs démocratiques, notamment pour le sort des opposants et pour l’organisation d’ élections non truquées. La plupart des États qui comptent pour la paix en Afrique ont boudé ce forum. L’Algérie, l’Afrique du sud, l’Égypte, l’Éthiopie et le Rwanda n’étaient pas représenté tandis que le Sénégal, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Bénin et le Nigeria, très concernés par le terrorisme et les avancées des djihadistes étaient représentés à un niveau peu compatible avec les objectifs du Forum et le souhait des organisateurs. Quant à l’Union africaine, sans cesse soutenue par Emmanuel Macron, elle était absente.
La France esseulée
Si la Chine avait délégué Wang Qishan, son Vice-President, et Poutine était représenté par Sergueï Lavroff, son ministre des affaires étrangères, tout heureux de pouvoir s’entretenir, à Paris, avec les nouveaux amis africains de la Russie. En revanche, on ne s’étonnera pas de l’absence des Etats-Unis d’Amérique et des États d’Amérique du sud, notamment ceux du Mercosur. Le Canada, le Japon, les États du Proche et Moyen-Orient et la quasi totalité des États asiatiques – seul le Tadjikistan était représenté par son président- n’ont pas participé à ce Forum. Quant à l’Europe, Emmanuel Macron a pu compter ses soutiens pour établir une nouvelle gouvernance mondiale et mesurer sa désaffection en une année. Les absences du Royaume-Uni, de la Bulgarie, de la Pologne, de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Roumanie sont moins surprenantes que celles du Luxembourg, de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal. Les présences d’Andorre, de l’Autriche, de la Belgique, de Chypre, des États Baltes, de Malte et du Vatican, à un niveau acceptable, ne permettent pas de lever de nombreuses interrogations sur la volonté du leadership du président français. L’Allemagne n’était représentée qu’au niveau du ministère étrangère. Les derniers propos d’Emmanuel Macron sur la mort cérébrale de l’OTAN ne font manifestement pas l’unanimité.
Depuis la dernière édition du Forum de Paris sur la Paix, le président Macron a accumulé les difficultés dans sa gouvernance interne, avec notamment les Gilets jaunes. De même, au niveau international, son aura a considérablement chuté. En Europe, les relations avec l’Allemagne se sont crispées. La position de la France sur le Brexit est jugée sévèrement. La Pologne, l’Italie, la Hongrie et l’Espagne acceptent mal certains discours de la France. Face à la Commission européenne enfin, les choix du président démontrent des erreurs de casting pourtant évidentes. Sans parler des dernières déclarations sur l’Otan, mal comprises, qui irritent beaucoup.
Autant dire que la lune de miel diplomatique d’Emmanuel Macron n’est plus de saison.