Quelques jours après les attentats de Paris et désormais que l’émotion est (un peu) retombée, les opinions publiques d’Afrique font entendre leur petite musique. Et elle est absolument différente du discours officiel dans de nombreux pays.
Au Cameroun, Paul Biya a, dans un courrier destiné à François Hollande, exprimé sa « profonde émotion » et sa « grande indignation » suite aux « attentats terroristes lâches et barbares » qui ont « ensanglanté » Paris. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a évoqué sa « profonde consternation » et sa « réelle affliction ». Plus mystique, le Malien Ibrahim Boubacar Keïta s’est incliné « pieusement » devant les dépouilles des victimes et a prié « pour leur repos éternel ».
Et pourtant… Sur les réseaux sociaux, et dans les rues de Yaoundé, d’Abidjan ou de Bamako, le discours est moins consensuel. Certes, une partie des citoyens et des internautes se solidarisent clairement avec Paris et les Parisiens. Pour eux, c’est une question de proximité, au-delà de l’évident devoir de solidarité : soit ils y ont vécu, soit ils y ont de la famille. Mais nombreux sont leurs compatriotes qui ont opté pour un discours plus idéologique, qui a plusieurs dérivées.
« Deux poids deux mesures »
Les images ci-dessus ont été abondamment partagées sur les réseaux sociaux. Elles traduisent la tentation de la « concurrence victimaire » qui traverse un certain nombre d’opinions publiques.
« Pourquoi veut-on nous obliger à être tristes pour les Français alors que leurs médias se préoccupent peu de nos catastrophes à nous ? Pourquoi Facebook nous propose des photos de profil en hommage aux morts du Bataclan, et non à ceux de l’université de Garissa, au Kenya ? » : telle est, en substance, la complainte qui s’élève ici et là. Une complainte qui s’accompagne d’une sourde réprobation vis-à-vis des Africains qui « sont Paris ».
Bien entendu, ceux qui sont en désaccord avec cette vision des choses – souvent des Africains vivant en France ou des Franco-Africains – expriment leur agacement face à ce « courant de pensée ».
Théorie du complotLes bons analystes des soubresauts des opinions africaines le savent. En 2011, le renversement violent de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et l’assassinat de Muammar Kadhafi en Libye ont profondément changé le regard de millions de personnes sur l’Occident, et en particulier la France – en première ligne dans ces deux pays.
C’est dans ce contexte que s’est développée la chaîne de télévision Afrique Media, lancée au Cameroun et qui diffuse désormais à partir de N’Djamena (Tchad) et Malabo (Guinée Equatoriale). De manière souvent brouillonne, Afrique Media (« expulsée » du bouquet de Canal + Afrique) explique à ses nombreux téléspectateurs que ce sont la France, les Etats-Unis et leurs multinationales qui soutiennent en sous-main les terroristes pour mieux recoloniser les pays du continent, riches en matières premières.
Souvent caricatural et volontiers complotiste, ce discours prend notamment parce que les turpitudes des grandes puissances en Afrique sont réelles, ainsi que leur volonté d’y imposer une « gouvernance globale » qui privilégie les Casques bleus de l’ONU au détriment des armées nationales et des Etats progressivement délégitimés. Après les attentats de Paris, le discours « type Afrique Media » tend à soutenir la thèse selon laquelle les terroristes ne sont que des « ouvriers » des services secrets occidentaux. Afrique Media vient ainsi de mettre en ligne une interview de la chaîne de télévision Russia Today en allemand, traduite en français et mise en ligne en mai dernier sur Youtube, qui résume bien une certaine vision des choses.
Poutine superstar
Le grand nombre d’utilisateurs de Facebook d’Afrique francophone qui choisissent de prendre une photo de Vladimir Poutine, le président russe, comme avatar de leur profil, ou de s’inspirer de son nom pour « concocter » leur pseudo, est assez éloquent. Qu’ils se contentent d’une analyse critique de la politique occidentale en Syrie ou qu’ils assument complètement une grille de lecture complotiste, de nombreux Africains plébiscitent le locataire du Kremlin. Pour une raison simple : en Libye hier comme en Syrie aujourd’hui, la Russie soutient des Etats établis face à des rébellions armées qui veulent les détruire.
Ce faisant, elle soutient une conception assez « rassurante » de la souveraineté nationale et de la Charte des Nations unies. Plus tortueux, l’Occident désigne des « bons » et des « mauvais » rebelles face à des « dictateurs » qu’il faut de toute façon faire partir. Vu d’Afrique, cela ressemble à une complaisance coupable vis-à-vis des filières djihadistes. A tel point que quand Daech frappe Paris en plein cœur, ils sont nombreux à considérer que les Français l’ont quand même un peu cherché.