Le profil bas des Israéliens en Afrique

Après une percée diplomatique spectaculaire sous l’impulsion du Premier ministre Benyamin Netanyahou, l’Etat hébreu semble marquer le pas dans sa stratégie de rapprochement avec l’Afrique subsaharienne. 

L’ambassadeur Ben Bourgel présente ses lettres de créance au président tchadien Mahamat Idriss Deby Itno, le 17 mai 2022.

L’un a perdu la vie en avril 2021, l’autre a été chassé du pouvoir en juin 2021. Le président tchadien Idriss Deby Itno et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou n’auront pas eu le temps de concrétiser leur projet de rétablissement de relations diplomatiques entre Israël et le Tchad dans lequel ils étaient engagés. Après la visite officielle du président Deby à Jérusalem en novembre 2018 et celle du Premier Ministre israélien à N’Djamena en janvier 2019, l’échange d’ambassadeurs entre les deux pays ne relevait alors plus que de détails d’agenda et de forme.

Incontestablement, la reprise des relations diplomatiques entre le Tchad et Israël, après la rupture coici cinquante ans, a consacré une étape supplémentaire du grand retour de l’Etat hébreu en Afrique. Avec le Mali et le Niger, le Tchad était un des derniers bastions de la résistance à ce retour d’Israël en Afrique subsaharienne, après les ruptures de 1967 et 1972.

« Mon peuple connaît également la douleur d’un génocide. C’est un lien unique, et ce, même si c’est un lien qu’aucun de nos peuples ne souhaite avoir », a déclaré le Premier ministre israélien lors d’une conférence de presse à Kigali, au terme d’un entretien de près de deux heures avec le président rwandais Paul Kagame.

Contexte favorable 

En réalité, les relations informelles ont continué entre Israël et même les plus irréductibles des Etats africains. Des représentants du monde associatif et des hommes d’affaires du Mali, du Niger et du Tchad ont en effet continué à se rendre en Israël, dans les mêmes avions que leurs compatriotes qui avaient un motif de s’y déplacer. L’intelligence politique de Benyamin Netanyahou a été d’avoir compris que l’environnement géostratégique africain était devenu favorable à un retour en force d’Israël.

Outre la vente d’équipement militaire, Israël a compris qu’il pouvait intéresser de nombreux Etats d’Afrique subsaharienne à son savoir-faire en matière de sécurité intérieure. Ce n’est un secret pour personne que la garde prétorienne du président camerounais Paul Biya est entièrement prise en mains par des officiers israéliens.

Le Togo, le Rwanda et le Maroc ont, quant à eux, acquis le logiciel-espion Pegasus pour surveiller, pêle-mêle, opposants politiques, journalistes, acteurs de la société civile.

D’autres pays africains ont besoin de la technologie israélienne en matière d’agriculture irriguée, d’agrobusiness ou d’exploitation des matières premières. C’est par cette porte qu’Israël est revenu en 2016 en Guinée et que Benyamin Netanyahou a pu dérouler son agenda diplomatique africain en effectuant la même année une longue tournée qui l’avait conduit en Ouganda, au Kenya, en Ethiopie et au Rwanda.  Autre fait significatif de cette percée africaine : en 2020, le Soudan et Israël ont normalisé leur relation. 

Revers diplomatique 

Au-delà de la normalisation d’Etat à Etat, Israël entendait parachever son retour en Afrique en décrochant le statut d’Observateur auprès de l’Union africaine, après que Netanyahou a réussi à prendre la parole en juin 2017 devant le Sommet des Chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le président de la Commission de l’Union africaine le Tchadien Moussa Faki Mahamat avait accrédité en juillet 2021 Israël comme Etat observateur à l’UA, suscitant la colère de l’Afrique du Sud, de l’Algérie et de l’Egypte, les trois principaux bailleurs de fonds de l’organisation continentale panafricaine.

Faute d’accord, les chefs d’Etat africains ont créé en février dernier un « Comité ad hoc » sur le retour ou non Israël comme Etat observateur de l’UA. Ses conclusions ne seront pas connues avant le sommet ordinaire de l’organisation prévue en février 2023. Une bonne manière pour le président sénégalais Macky sall de refiler la patate chaude au prochain président en exercice. L’absence de consensus sur le retour au statut d’observateur dont disposait Israël avant le passage en 2002 de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) à l’Union africaine s’explique, en grande partie, par le tassement de l’offensive diplomatique israélienne en Afrique.  

Après la perte du pouvoir par Netanyahou en juin 2021, ses successeurs Naftali Bennett et Yaïr Lapid se sont progressivement désintéressés de l’Afrique subsaharienne pour se concentrer sur les monarchies arabes du Golfe. Rien n’exclut toutefois dans les prochains mois un retour en force en Afrique de la diplomatie israélienne à la faveur du contexte sécuritaire continental et de la volonté de nombreux chefs d’Etat de se maintenir au pouvoir, y compris avec l’aide des outils comme Pegasus.   

Surtout si Benyamin Netanyahou revenait au pouvoir à l’occasion des législatives du 1er novembre prochain.   

Francis Sahel

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