Le massacre des tirailleurs sénégalais de Thiaroye

Le massacre de Thiaroye reste comme la mauvaise conscience sénégalaise de la France. Des députés français, des historiens et des avocats ont lancé le 4 novembre 2024, un plaidoyer pour la reconnaissance du massacre de Thiaroye suivie d’une enquête parlementaire. Soit dix ans après que le président français François Hollande ait fait un pas en avant en admettant « une répression sanglante » visant à forcer au silence des tirailleurs sénégalais qui réclamaient leur solde de démobilisation.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

 A l’approche du 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye, les événements se précipitent soudainement. A l’Assemblée nationale française, historiens, avocats et députés français se sont en effet réunis au Palais-Bourbon pour une conférence-plaidoyer. L’Hexagone continue en effet de nier le massacre de soldats africains décidé en 1944 par des officiers français qui refusaient de payer leur solde de démobilisation, ce qui avait déclenché la révolte des tirailleurs sénégalais.

Il avait alors fallu attendre 2014 pour que l’ancien président français, François Hollande, veuille faire un pas mesuré en direction de la reconnaissance de ce crime de guerre. Mais personne n’est dupe et dix années plus tard, historiens, avocats et députés appellent à une reconnaissance officielle de ce massacre commis par la France suivie de la création d’une commission d’enquête parlementaire pour comprendre ce qui s’est passé.

« Le plus beau rôle de ma vie »

Le comédien ivoirien Sidiki Bakaba qui a joué le rôle de l’un des soldats dans le film « Camp de Thiaroye » était présent à cette rencontre. Grâce à ce film, il avait d’ailleurs obtenu le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise et a toujours indiqué que ce fut le « plus beau rôle de ma carrière ». Des résistances et pas les moindres avaient ensuite jalonné la distribution du long métrage, censuré pendant une décennie en France où il n’a été projeté qu’en 2024, au Festival de Cannes, soit au total 36 ans après son interdiction.

De toute façon, pour Sidiki Bakaba, « personne ne voulait que ce film se fasse ». Pour preuve, pendant « le tournage, il y avait même des hélicos de l’armée française qui venaient voler au-dessus pour nous empêcher de filmer », se souvient-il. Mais Ousmane Sembène, l’auteur du film, avait choisi d’aborder une page sombre de l’histoire de France. Ce qu’il fit.

Mais cette omerta de rigueur commence peu à peu à se fissurer et à un mois du 80e anniversaire, de plus en plus de personnes admettent enfin que ce fut « un massacre sanglant et épouvantable qui a été pendant longtemps recouvert par une chape de plomb », déclarait ce 4 novembre la députée socialiste Colette Capdevielle qui a initié cette conférence-plaidoyer pour que son pays reconnaisse cette « partie importante de son histoire », souligne-t-elle. Et ce, parce que personne ne peut « continuer à détourner ainsi le regard » sur ces atrocités. 

Des socialistes avant-gardistes

L’héritage socialiste sur la reconnaissance de ce massacre est palpable. Rompant avec le déni de ses prédécesseurs, l’ancien président socialiste François Hollande avait fait un premier pas en 2014 en inaugurant aux côtés du président Macky Sall un mémorial au cimetière de Thiaroye, à l’endroit même où les tirailleurs sénégalais avaient été tués par l’armée coloniale française. « Je voulais réparer une injustice et saluer la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils, car c’est ce qui s’est produit », avait alors déclaré Hollande en remettant à son homologue sénégalais une copie des archives françaises sur Thiaroye.

Pourtant dix années plus tard, l’historienne Armelle Mabon dénonce « un mensonge d’État » qui dure depuis 20 ans. Car pour elle, le président Hollande n’a pas véritablement dénoncé « un massacre », mais il a simplement reconnu le fait que les tirailleurs exécutés n’avaient effectivement pas perçu leur solde. Pis, l’ancien chef de l’État qui avait dit avoir mis à disposition « l’intégralité des archives » sur le sujet, n’avait pas fourni les documents les plus sensibles – comme la liste des victimes ou encore la cartographie des fosses communes – qui sont toujours inaccessibles.

Au total, 400 soldats africains ont été massacrés selon Armelle Mabon, contrairement aux 35 tirailleurs comptabilisés par l’armée française qui bloque les procédures judiciaires lancées par l’historienne pour avoir un accès aux archives.

Toutefois, une décision mémorielle a été prise. Mais elle ne concerne que six tirailleurs africains exécutés à Thiaroye et reconnus dans la foulée comme « Morts pour la France ». Pour le secrétariat d’État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, « ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France comme dans la perspective du 80e anniversaire des évènements de Thiaroye, dans la droite ligne mémorielle du président de la République, qui souhaite que nous regardions notre histoire ‘en face ».

 

Morts pour la France

Mais l’avocat d’Armelle Mabon se demande comment on peut être à la fois mutin et « Mort pour la France ». En revanche pour les 34 tirailleurs survivants du massacre, condamnés en 1945 par l’armée française pour « rébellion », une injustice a ainsi été réparée puisque deux années plus tard, tous étaient amnistiés. En revanche, les descendants de tirailleurs sénégalais se battent encore aujourd’hui pour leur réhabilitation.

Leur demande fait partie d’une série de sept doléances présentées lors de la cette conférence-plaidoyer au palais Bourbon. Des membres d’associations, de la société civile et des élus demandent également  la reconnaissance officielle du massacre perpétré à Thiaroye par une résolution votée à l’Assemblée nationale, ainsi que des excuses formelles de la République, le versement de réparations à leurs descendants, une journée nationale du massacre – le 1er décembre –, un travail conjoint d’analyse et d’actions avec les pays africains concernés par cette histoire, et enfin la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le drame de Thiaroye et la manière dont il a été géré. Seule façon de soulager la conscience française et d’aider au repos des âmes des soldats africains tués pour avoir réclamé leur solde de démobilisation.