Si les diplomates français avaient accueilli favorablement l’élection d’Emmanuel Macron, ils sont gagnés désormais par la morosité face à la politique étrangère d’Emmanuel Macron et de celui qui fut son ministre des Affaires Etrangères durant le premier quinquennat, Jean Yves Le Drian.
L’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République avait suscité un immense espoir, notamment chez les diplomates. Il est vrai que le quinquennat de François Hollande, avec au Quai d’Orsay, deux anciens premiers ministres surtout en quête d’honneurs perdus, Laurent Fabius puis Jean-Marc Ayrault, avait été très pénible pour la diplomatie française et les agents du ministère des Affaires étrangères.
Le tout-puissant ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et les militaires de l’Élysée en avaient profité pour investir des domaines de compétence du Quai d’Orsay, notamment en Afrique. À l’épreuve des faits, les diplomates n’hésitent plus à montrer leur désenchantement.
Des promesses non tenues
Pendant la campagne électorale présidentielle, des ambassadeurs de haut rang avaient pris leurs distances avec les principes de neutralité et de loyauté pour soutenir la candidature d’Emmanuel Macron. De nombreux diplomates étaient séduits par le « nouveau monde » qui devait remplacer le monde des politiciens et des hauts fonctionnaires qui avait failli durant des années. La mondialisation heureuse devait améliorer les conditions de vie des citoyens, la « start-up Nation » devait faire entrer la France dans le XXI ème siècle.
Grâce au projet européen redéfini, la France devait retrouver une place privilégiée dans le concert des nations. Le titre même du ministère de « l’Europe et des Affaires étrangères » séduisait et montrait un renouveau de l’ambition diplomatique française.
De la déception au ressentiment
La nomination de Jean-Yves Le Drian au Quai d’Orsay a surpris, voire déçu, tant ce compagnon de route de François Hollande avait eu jadis peu de considérations pour les diplomates. La reconstitution d’une forte cellule diplomatique à l’ Élysée a ravivé les craintes, vite confirmées, d’un retour au domaine réservé du président de la République. Les Directions géographiques du Quai d’Orsay ont été progressivement relayées au second rang du traitement des principaux dossiers. La création d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique, avec des franco-africains d’origines diverses choisis personnellement par le président Macron, a été modérément appréciée. Le rôle important attribué au coordonnateur franco-béninois, Jules-Armand Aniambossou, ancien ambassadeur du Bénin à Paris, a été particulièrement mal vécu chez les diplomates.
Les premiers pas du président Macron sur la scène internationale, avec notamment les réceptions prestigieuses de Donald Trump et de Vladimir Poutine, ont éveillé les craintes d’une diplomatie de paillettes éloignée des canons habituels ďune diplomatie efficace. En janvier 2019, le constat de nos relations avec les présidents Trump et Poutine est peu brillant. Où en sont les avancées de la COP 21 sur les changements climatiques? Où en est la promotion du multilatéralisme dans un monde où le bilatéralisme est triomphant, alors que le rôle dévolu à l’ONU dans les crises majeures est si effacé? Où se trouve aujourd’hui la place de la France dans la solution des conflits notamment en Libye, au Proche et Moyen-Orient ?
Au Sahel et en Afrique centrale, l’action de la France suscite déceptions, au mieux, sarcasmes au pire. Quant à l’ambition européenne, elle a connu de nombreux revers avec la perte de solidité du couple franco-allemand, les échanges peu diplomatiques avec la Hongrie, la Pologne et surtout l’Italie. Les relations avec la Turquie et l’Ukraine passent désormais par Berlin. Comme dans l’Hexagone, le chef de l’État français subit à l’étranger un désamour durable qui tourne à l’isolement. Les diplomates français en sont les témoins, parfois incrédules devant une telle rapidité et dans tant de domaines.
Des décisions et déclarations qui interpellent
Si le devoir de vérité et la volonté de mettre fin aux tabous mémoriels sont à mettre au crédit du président quadragénaire, comme la responsabilité de l’État dans la mort de Maurice Audin en Algérie et la qualification de « crimes contre l’humanité » pour la colonisation, en revanche, d’autres décisions d’Emmanuel Macron passent mal au Quai d’Orsay.
On peut citer les plus emblématiques :
– sur le rapport de deux universitaires, l’un Sénégalais et l’autre Française, le président Macron a validé la restitution, en Afrique sub-saharienne, de certaines oeuvres d’art africain entreposées dans les galeries et musées publics. Quid des collections asiatiques et du Pacifique qui pourraient aussi faire l’objet de restitution, maugréent certains diplomates ?
– un décret a été particulièrement mal digéré par les diplomates. En plein été, le 4 août 2018, un décret a élargi les nominations discrétionnaires à 22 postes de consulats généraux qui exigent pourtant de solides compétences juridiques. Sur la base du décret précité, Emmanuel Macron a immédiatement nommé Philippe Besson, consul général à Los Angeles. Philippe Besson est un écrivain qui s’était surtout distingué par un ouvrage hagiographique intitulé « Un personnage de roman » ( Juillard 2017), concernant Emmanuel Macron. Deux importants syndicats du Quai d’Orsay ont formé un recours contentieux en Conseil d’État contre le décret et cette nomination qui s’apparentent à des détournements de pouvoir.
– la nomination de l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, au poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie reste incompréhensible pour de nombreux diplomates.
– le nombre de nominations et promotions dans les Ordres du mérite national et de la Légion d’honneur est devenu anecdotique pour le Quai d’Orsay. Le quota dans l’Ordre de la Légion d’honneur, réservé au ministère des Affaires étrangères, est désormais inférieur à la dizaine alors qu’il était d’une vingtaine avant le président Macron. Les ambassadeurs ne sont plus que trois ou quatre par liste de recipiendiaires.
Les agents du Quai d’Orsay se sentent mal défendus par Jean-Yves Le Drian et peu écoutés à l’Élysée. Le budget du Quai d’Orsay pour 2019 semble être maintenu à un peu plus de 4,8 milliards d’euros mais avec l’augmentation de l’aide au développement, les moyens de l’action extérieure de la France sont en réalité en baisse. La France a de plus en plus de mal à entretenir son réseau diplomatique et ses ambassades, mises à contribution depuis de nombreuses années, sont de moins en moins opérationnelles. La petite musique du partage de son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne revient avec de plus en plus d’insistance. Étant membre non-permanent pour 2019 et 2020, l’Allemagne pourrait bien obtenir satisfaction après ce mandat et avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Comment l’Elysée va-t-il négocier, dans ces conditions, les profondes restructurations de l’outil diplomatique français, manifestement de moins en moins adapté au « nouveau monde »?
Jean Yves Le Drian, dernier parrain de la Françafrique