Les Occidentaux n’ont pas vraiment réagi quand Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie, a bloqué le dossier d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande. C’est que dans les chancelleries on attend avec impatience l’élection présidentielle en Turquie au printemps. Laquelle pourrait écarter en douceur un allié jugé imprévisible.
Si la Turquie bloque la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN, c’est officiellement en raison de l’accueil par ce pays de militants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). La défense de la Nation turque face au séparatisme a toujours rassemblé une grande partie de la population depuis le règne de Mustapha Kemal. Avant garde de la cause kurde, le PKK adopte effectivement des méthodes qui s’apparentent au terrorisme. La vigilance exercée par le président Erdogan sur le comportement des occidentaux à l’égard ce mouvement violent et hostile puise au plus profond du sentiment national. turc. C’est une donnée qu’il ne faut jamais sous estimer.
Mais du coup, les partisans du président Erdogan utilisent ces relations contrariées avec l’OTAN comme un argument électoral en vue de l’élection présidentielle de ce printemps.. Qu’un Coran ait été brûlé devant l’ambassade turque à Stockholm et qu’Erdogan ait été pendu en effigie à un réverbère suédois sont autant de signes médiatisés par le régime pour convaincre l’opinion publique d’une hostilité occidentale croissante. Ce qui n’est pas totalement faux !
Pour l’instant, le monde occidental encaisse sans rien dire les rebuffades d’un ’Erdogan qui se laisse parfois emporter. De nombreux pays européens se mobilisent même en faveur des Turcs sinistrés par le séisme qui vient de frapper le centre de la Turquie. Ces Occidentaux envoient des équipes médicales par dizaines et du matériel de secours par tonnes.
La Turquie, allié imprévisible
Au fond, les Européens et les Américains sont las d’Erdogan, mais pas seulement en raison du rejet de la Finlande et de la Suède à l’Otan. C’est qu’Ankara, tout en maintenant des relations confiantes avec Kiev, montre beaucoup d’indulgence pour Moscou, en aidant ce pays à contourner les sanctions économiques occidentales. Le commerce de la Turquie avec la Russie a augmenté de près de 200% dans les six mois qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine, dont des importations d’énergie plus élevées. L’achat par Ankara de systèmes de missiles sol-air russes a déclenché la colère de Washington.
Dans une diplomatie conquérante, la Turquie jour un peu toutes les cartes. En 2012, la Turquie a rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en tant que « partenaire de dialogue ». (Les autres « partenaires de dialogue » sont la Biélorussie et le Sri Lanka ; les pays observateurs sont l’Afghanistan, l’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie). En 2022, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré qu’il espérait intégrer l’OCS comme membre à part entière.
La question des kurdes de Syrie
Le projet désormais clair d’Erdoğan d’envahir le nord de la Syrie vont aussi à l’encontre des efforts menés par les États-Unis pour soutenir l’opposition démocratique anti-Bachar al-Assad et réprimer le terrorisme islamiste. Le rapprochement d’Erdogan avec Damas sape également la politique de sécurité des Occidentaux au Moyen Orient.
Les menaces répétées de la Turquie envers la Grèce, les incursions répétées de la marine turque dans les eaux territoriales grecques, la revendication tonitruante d’un droit de propriété turc sur les iles grecques ne sont pas passées non plus inaperçues. Et les Européens n’ont pas oublié non plus le risque de voir des millions de réfugiés syriens partir à l’assaut des frontières de l’Union européenne.
Erdogan, un autoritarisme grandissant
Le leader le plus connu de l’opposition, Selahattin Demirtaş, est déjà en prison. Il pourrait bientôt être rejoint par Ekrem İmamoğlu, maire populaire d’Istanbul et figure de proue du principal parti d’opposition CHP (Parti républicain du peuple). İmamoğlu fait appel d’une peine de prison d’inspiration politique et fait face à une série d’accusations forgées apparemment de toutes pièces.
L’opposition turque qui peine à s’organiser a pourtant des cartes en main. L’économie turque en effet est en totale désorganisation avec une inflation à 58%, un niveau de vie en chute libre et un désir d’émigration de plus en plus important au sein de la classe d’âge des 18-25 ans. Plus de 70 % d’entre eux affirment qu’ils aimeraient vivre ailleurs. Des experts hostiles à la Turquie recommandent déjà de jouer la monnaie turque à la baisse en signifiant ainsi le mécontentement des Occidentaux.
Le complot occidental contre la Turquie n’existe pas. Mais une réelle lassitude est palpable à Paris, à Bruxelles comme à Washington.