Alors que les blessures laissées par la crise post-électorale de 2010-2011 ne sont pas encore totalement cicatrisées, la Côte d’Ivoire se prépare à organiser en octobre 2020 un scrutin présidentiel redouté dans le pays et à l’étranger.
Le président ivoirien a promis, dimanche 2 février à Abidjan, une victoire du candidat de son parti « dès le premier tour » de l’élection présidentielle d’octobre 2020, se gardant de le nommer. Une réunion en février devrait arrêter la date de désignation du candidat, a-t-il également annoncé.
C’est le signe évident de l’incertitude politique qui entoure la tenue en octobre 2020 de la présidentielle en Côte d’Ivoire : à moins de huit mois de ce scrutin nul ne sait si le président sortant Alassane Ouattara sera candidat à non à sa succession.
Certains Ivoiriens sont persuadés qu’il s’agit d’un faux suspens et que le président Ouattara, qui termine son second mandat, va rempiler. Ils mettent en avant « la propagande » autour du bilan du président sortant à la télévision nationale (RTI) et lors des meetings organisés par le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie (RDH, la coalition des partis au pouvoir).
D’autres soutiennent que le focus sur « le bilan exceptionnel » avec le rappel des routes construites, des projets de barrage hydro-électriques, l’augmentation du taux du taux d’accès à l’électricité, le recul du taux de pauvreté, ne vise qu’à faire accepter Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre que Ouattara se serait choisi comme dauphin.
En vérité, l’incertitude sur le casting de la prochaine présidentielle ne concerne pas que le camp du pouvoir. L’ancien président Henri Konan Bedié a prévu d’y aller, si son parti lui confiait cette responsabilité. Une simple formalité. Mais depuis quelques semaines, on parle avec insistance à Abidjan d’une réforme de la loi électorale taillée sur mesure qui inclurait une limitation de l’âge de candidature à la présidentielle à un seuil qui mettrait hors course Bedié, 84 ans, candidat probable du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), allié du président Ouattara lors des présidentielles de 2010 et 2015.
Un casting incertain
Deux autres candidats probables ont été neutralisés par le pouvoir. Charles Blé Goudé, ex-ministre de la jeunesse du président Laurent Gabgo, a été condamné à la fin de l’année 2019 à 20 ans de prison et dix années de privation des droits civiques pour « des crimes d’actes de tortures, d’homicides volontaires et de viols » commis lors de la crise post-électorale de 2010-2011. Cette épée de Damoclès rend improbable le retour au pays du leader des jeunes patriotes (il vit en exil aux Pays-Bas), à fortiori une participation à la présidentielle d’octobre 2020.
Après avoir annoncé en octobre 2019 sa candidature à la présidentielle, Guillaume Soro, qui fut longtemps proche du président Ouattara, est désormais dans le collimateur de la justice ivoirienne. Une enquête pour « atteinte à la sécurité de l’Etat et une autre pour « recel de détournement des biens publics » ont été ouvertes contre Soro qui vit désormais en exil à Paris. Une quinzaine de proches de Soro dont cinq députés et ses deux frères ont été placés en détention par le pouvoir dans différentes prisons du pays.
Un climat délétère
Le casting n’est pas la seule inconnue du scrutin présidentiel d’octobre. Le pouvoir et l’opposition ne s’accordent toujours pas sur la composition de la Commission électorale indépendante (CEI). En dépit d’une modification de la composition de la CEI intervenue en 2019 (la cour de justice de la CEDEAO avait jugé l’ancienne composition déséquilibrée), une grande partie de l’opposition ivoirienne estime que le compte n’y est toujours pas. Il n’y a pas non plus de consensus sur le code électoral actuel, même si des discussions sont en cours entre le pouvoir et l’opposition pour aplanir les divergences. Une partie de l’opposition emmenée par le PDCI accuse le pouvoir de vouloir enrôler les « étrangers » en leur accordant massivement la nationalité ivoirienne.
A cela ajoutent deux autres points autres importants de contentieux. Le président Ouattara a exprimé le souhait en décembre 2019 de voir le montant de la caution pour la candidature à la présidentielle passer de 20 millions actuellement à 100 millions pour le prochain scrutin. L’opposition est vent débout contre une telle augmentation de la caution qu’elle estime sans commune mesure avec les réalités de la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, le pouvoir souhaite également instaurer un système de parrainage des candidatures par des élus afin, dit-il, de limiter une inflation de candidatures.
L’opposition conteste ce système de parrainages qui n’est pas prévu dans la mouture actuelle de la loi électorale. Outre ces nombreux points de divergences, les crispations identitaires ont refait surface sur fond d’antagonisme nord/sud et de discours anti-étrangers et sur « l’Ivoirité » comme en 2010-2011. Signe de cette montée en périls, près d’une vingtaine de personnes avaient été tuées en mai 2019 dans le centre du pays lors des affrontements entre deux groupes ethniques.
Le climat pré-électoral a paru suffisamment grave et inquiétant pour que les autorités religieuses sortent de leur réserve. Le Conseil supérieur des Imams des mosquées et des affaires islamiques (COSIM) de Côté d’Ivoire a appelé début janvier les musulmans à observer trois jours de jeûne pour la paix et la stabilité du pays ainsi que la tenue d’une élection présidentielle apaisée.
Les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire ont, de leur côté, déploré « le climat de peur et de terre » qui s’installe progressivement dans le pays à quelques mois de la présidentielle.
« Les prochaines élections doivent être transparentes, crédibles et pacifiques pour que tous acceptent les résultats comme expression de la volonté de la majorité des Ivoiriens » affirme l’Eglise catholique ivoirienne dans une déclaration publique.