Lorsque les masques tombent, la vérité bouleverse les désordres établis. C’est ce qui se passe inopinément au (Grand) Moyen-Orient d’une manière stupéfiante.
Le premier masque à tomber est une pièce de musée. Il s’agit d’un cimier double face représentant les États-Unis d’Amérique d’un côté et l’État Hébreu de l’autre. L’Administration américaine et l’establishment israélien exposent leurs visages respectifs dos à dos ; mais il faut placer l’objet de profil pour y croire et le dessocler pour s’en convaincre. Depuis la crise de Suez de 1956, quand Washington a réalisé l’importance du Canal et le manque de fiabilité des pays Arabes de la région, les Services américains ont fait d’Israël un pays gémeau ; et, depuis ; ce dernier le leur a rendu ! L’Américain Antony Blinken, par exemple, démontre, depuis le 7 octobre (2023), qu’il est israélien jusqu’au bout des ongles ! Jamais ni lui ni le Premier ministre Netanyahou n’ont sérieusement négocié un quelconque accord de cessez-le-feu dans la Bande de Gaza ; pas plus qu’ils n’envisagent un instant de « solution à deux États » à la crise dont ils expliquent la causalité par le 7 octobre[i]. En ce sens, la prestation du secrétaire d’État Blinken, dans son allocution de départ du 14 janvier au Siège de l’Atlantic Council, à Washington, restera un modèle d’hypocrisie..
Ce théâtre d’ombres qu’est le Levant.
Les circonstances qui auront précédé et permis l’horrible attentat par lequel tout a été déclenché seront examinées par les historiens en profondeur. Le fait est, en revanche, que le monde entier a été tenu en haleine pendant cinq trimestres sans désemparer et que l’exploitation de la situation est loin d’être terminée : la liesse puis la déception de la foule dans les ruelles de Ramallah à l’annonce prématurée d’une trêve après 42 jours de négociation-spectacle témoigne de l’ambiguïté de comportement de la gémellité israélo-américaine au nez et à la barbe du monde entier.
Les exégètes en qualifieront le crime comme ils voudront, sachant que pire encore est la mascarade que nous joue (en interne) Netanyahou avec ces messieurs Ben Gvir et Smotrich, soi-disant indispensables à sa coalition gouvernementale ! Il s’est toujours trouvé à la Knesset assez des transfuges prêts à passer d’une coalition à l’autre d’ordre et pour compte de l’unité nationale et pour permettre à Bibi de finir le travail. Déjà, depuis le 1er octobre dernier, le retour de Gideon Sa’ar au gouvernement a permis à Netanyahou de recouvrer une majorité de 68 députés sur 120 à la Knesset et de pouvoir alors se passer du soutien des ministres d’extrême droite.
Tout le monde était au courant de ce « faux prétexte », chacun sachant, de Tel-Aviv à Paris, que la finalité de sa mise en scène était de faire revivre des souffrances refoulées pour mieux occulter les malheurs infligés à d’autres – ce qui n’avait rien à voir avec le jeu « démocratique ». L’ultime objectif recherché était l’anéantissement de l’axe de résistance (Nasrallah devait mourir…des otages pouvaient bien mourir !) consolidé dans les pays voisins (Syrie, Irak, Yémen, Iran).
C’était faire de surcroît d’une pierre deux coups à force de frappes incessantes : le troisième étant réservé à l’Iran, mais pour demain, l’Amérique se souvenant de la séquence télévisée où l’on voit des étudiants iraniens escaladant la clôture de l’ambassade américaine à Téhéran, le 4 novembre 1979.
Mais avancer masqué n’est pas un privilège israélo-américain, c’est aussi la manie, pour ne pas dire l’astreinte des autres joueurs sur l’échiquier moyen-oriental.
Pour qui l’émirat du Qatar marche-t-il ? Pour qui roule-t-il, plutôt ? C’est une question à poser à Doha au financier traditionnel d’Al-Nosra.Qui est réellement Abou Mohammed Al-Joulani, lequel demande qu’on ne l’appelle plus que par son nom de naissance, Ahmed Hussein Al-Chara ? De qui est-il le faux-nez ? Et qui est véritablement Recep Tayyip Erdoğan, président de la République de Turquie, porteuse des « mystères effrayants » de la Sublime Porte. Leurs masques tombent aujourd’hui comme les notes d’un carillon, certaines avec fracas mais d’autres, ceux des artistes de la diplomatie, « à pas de loup ».
Dans cette partie de poker menteur la France n’a pas eu sa place. Son président n’est pas un saltimbanque ; il ne joue pas au « poker menteur » – comme les cow-boys américains et les bergers de l’Ancien Testament – mais au jeu du « Qui perd gagne » (le perdant gagnant la partie). Il dit les choses sans détour (ni masque), incongruité qu’on lui reproche. Aussi, je le vois comme Joachim du Bellay retrouver à Beyrouth son petit « Lyré », ce qui est, somme toute, gratifiant.
La nature ayant horreur du vide et les fleuves leurs habitudes, l’Histoire et la Géographie sont tentées de faire valoir leurs droits
Il faut être vicieux pour détourner sciemment un fleuve de son lit naturel sans avoir de raison impérative. Les Palestiniens sont comme un fleuve, les Juifs en forment un autre (l’altérité étant de leur fait) ; ils partageaient le même lit jusqu’à très récemment, sans discontinuer depuis Massada en l’an 70 jusqu’à la déconfiture de l’Empire Ottoman. C’était le sort de nombre d’autres peuples condamnés à cohabiter : le Traité de Berlin avait officialisé ce genre de situations que l’on ne devait plus remettre en cause. Mais après la Guerre de 14, le Levant – qui se voyait comme un jardin condamné à la fermeture – fut l’objet d’une répartition par la Société des Nations (SDN) entre les puissances victorieuses. Les pays mandataires, comme la France et la Grande-Bretagne, allaient respecter tant bien que mal les réseaux de routes et le tracé des fleuves et l’implantation des tribus et les espaces de croyances tels qu’ils étaient. Mais l’action conjuguée du tandem israélo-israélien vient de tournebouler une fois de plus « l’ossature » naturelle de la région en la subvertissant par un coup de pied « dans une fourmilière », comme pour la détruire.
La situation tournant au chaos en Syrie et en Mésopotamie et les masques des saccageurs venant de tomber, à commencer par celui du « Turc », il était normal que les responsables des anciennes provinces ottomanes victimes de ce ravage ou à la veille de l’être se rapprochassent spontanément, chacune de son ancienne puissance mandataire, membre du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, l’héritière de la SDN.
C’est ainsi que le 14 janvier 2025, l’Irak et la Grande-Bretagne ont repris le chemin de leur ancienne coopération en signant des accords commerciaux couvrant d’importants projets d’infrastructures[ii] dans le cadre d’un partenariat de défense «stratégique ». La visite au Royaume-Uni du premier ministre irakien Mohamed Chia al-Soudani a été marquée mardi par une série d’accords illustrant la volonté des deux pays de consolider leurs relations.
Au Liban, qui sort grandi de la tourmente mais en ruine, le chef de l’État Français marquera trois jours après, le 17 janvier, l’engagement sans faille de la France au respect de sa souveraineté et de son unité, ce qui tranchera par rapport à la cacophonie ambiante du Levant, à laquelle la France n’est pour RIEN. Le fleuve Liban aura retrouvé ses berges d’antan.
Un autre rapprochement résulte de la même commotion violemment subie cette-fois-ci en Syrie du fait de la coalition israélo-américaine non seulement par les Syriens de toutes les confessions mais aussi par l’Iran et la Russie, puissances invitées par la République Arabe Syrienne.
Le président iranien Pezeshkian et le président russe Poutine s’étaient déjà rencontrés en octobre 2024 lors du sommet des BRICS à Kazan. Les deux chefs d’État s’apprêtent à signer à Moscou aujourd’hui même, le 17 janvier, un accord de partenariat jadis considéré comme impossible ! La Russie souhaite développer un projet de corridor logistique (rail et maritime) entre Moscou, Bakou et Téhéran. Il s’agit là d’un tracé tout à fait nouveau, bousculant les alliances, comme serait le creusement d’un canal que la nature aurait oublié de percer.
Où se projetteront dès lors les Émirats Arabes Unis ? Ils font partie des Accords d’Abraham et paraissent vouloir s’y tenir. L’Arabie saoudite guigne l’apport technologique et la double garantie de sécurité d’Israël et des États-Unis. L’Iran, dont c’est bientôt le tour, devient un pays passionnant, empreint de nostalgie.
L’Amérique veut être la première puissance (America First), voir la seule. Israël veut en faire autant, avec la même certitude. Ils veulent le Groenland, le Canada, les canaux de Suez (ou celui de Ben Gourion) et de Panama, et quoi d’autre de plus après avoir disloqué déjà le Proche et le Moyen-Orient ?
C’est tout simplement de l’Europe et du reste, du monde qu’il s’agit, à l’exception de la Chine et de l’Extrême-Orient. En tout cas pour le moment.
Elon Musk, dont il semble que ce soit le « job »… semble envisager la prochaine déstabilisation de l’Union Européenne après celle du Grand Moyen-Orient, et cela par deux moyens complémentaires : en étouffant l’économie européenne d’abord sous la chappe de plomb de droits de douane comparables à ceux qui seront imposés à la Chine et en instillant ensuite partout dans la vieille Europe le virus de l’Extrême Droite. Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, est l’une des invitées de marque de Donald Trump pour son investiture (en compagnie d’Eric Zemmour et de madame Knafo) ; elle est devenue mardi vice-présidente du parti européen ERC – celui de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni et partenaire des Républicains américains. La tante n’est pas invitée. Ni le Rassemblement National (RN) ni le Parti Socialiste ne voteront de censure contre monsieur Bayrou ? La France va mieux, c’est à y perdre son latin.
Xavier Houzel
[i] Cf. CAIRN Hannah Arendt penseur de la crise, Par Myriam Revault d’Allonnes – page 197 : « Pour comprendre le statut de la « crise », il faut partir de la façon dont Arendt engage une nouvelle conception de l’historicité à travers la pensée de l’événement. C’est précisément dans la mesure où l’événement n’est pas intégrable dans une série causale, où il ne peut pas être déduit de son propre passé (mais où il l’éclaire rétrospectivement) qu’il est doté d’une véritable puissance d’ébranlement. Assignant à son œuvre tout entière la tâche de « penser l’événement », de « penser ce qui nous arrive », Arendt ne cesse de référer la pensée à l’expérience. La pensée naît des événements de l’expérience vécue et doit leur rester liée comme aux seules balises capables de l’orienter. Mais la notion d’événement a une teneur particulière : un événement n’est pas seulement un fait. Il est ce qui fait rupture et résiste, par son caractère inédit, à son intégration et donc à sa dissolution dans une série causale. Il répugne tout autant à s’inscrire comme une « étape » dans un processus finalisé, orienté vers son achève ment. Autant dire que l’événement déborde toujours les causes passées qu’on peut lui assigner : si tel n’est pas le cas, il s’abolit en tant qu’événement. »
[ii] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-royaume-uni-et-l-irak-signent-d-importants-accords-commerciaux-incluant-des-mega-projets-d-infrastructures-20250114