Guterres et Macron tentent de couper le Niger du monde

Le 10 octobre le ministre des affaires étrangères demandait à l’ambassadrice coordonnatrice du système des Nations-Unies de quitter le Niger sous 72 heures. Une note verbale dans les termes usuels déplorait les manœuvres de la France[1], relayées par les Nations-Unies, pour empêcher le Niger d’assister à l’assemblée générale de l’Union Postale Internationale à Riyad.

Un article d’Olivier Vallée

Les Nations-Unies avait déjà eu un comportement décrié en faisant obstacle à la pleine participation du Niger à la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU. Lors de cette Assemblée générale, le régime militaire au pouvoir avait envoyé son nouveau ministre des Affaires Étrangères, Bakary Yaou Sangaré, qui était, avant le coup d’État du 26 juillet, le représentant du pays à l’ONU. « Antonio Guterres a non seulement refusé de prendre acte de la liste officielle des délégués du Niger (…) mais a surtout accédé à la demande fantaisiste de l’ex-ministre des Affaires étrangères Hassoumi Massaoudou tendant à révoquer le représentant permanent du Niger auprès des Nations Unies»[2], note le communiqué de Niamey.

Le Niger « récuse et dénonce avec force cette ingérence manifeste d’Antonio Guterres dans les affaires intérieures d’un État souverain », ajoute le texte qui dénonce « la complicité de la France et de deux chefs d’État francophones »[3] ouest-africains, sans les citer.

L’expulsion du Niger de l’UIP suivait le refus de son accréditation aux récentes assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech. A toutes ces occasions, la représentation permanente de la France à New-York s’est activée pour transmettre la position de l’ex-ministre Massaoudou fort disert en France. Dans le cas du FMI et de la Banque mondiale, ce sont les administrateurs français et africains auprès des Institutions de Bretton-Woods qui ont sans ambages interférés pour évincer la demande de Niamey.

Le cercle arabe et musulman

Le Niger entretient une coopération politique, diplomatique, militaire et financière avec les pays arabes et ce selon une ancienne et solide tradition, quels que soient les régimes en place à Niamey. Au Maroc, nombre de Nigériens ont suivi une formation militaire et c’est le pays le plus proche et le plus accueillant pour les soins médicaux et les interventions chirurgicales. L’Arabie saoudite est depuis longtemps un partenaire financier, directement, et par le biais d’institutions comme la BID mais reste le pays où s’accomplit le pèlerinage depuis des siècles.

L’Irak, l’Égypte et l’Iran ont eu des ambassades et des actions humanitaires reconnues au Niger. L’Algérie n’est pas un adversaire de Niamey mais le Premier ministre Ali Lamine Zeine a pointé la tentative de manipulation derrière la médiation de ce pays. Une transition de six mois dirigée par un civil telle que proposée par Alger ne tenait pas compte du dialogue national qui doit en décider. Quel serait le civil qui pourrait diriger une telle transition tant que les cas des ex-présidents Bazoum et Issoufou ne sont arrêtés et qu’un ex-gouvernement s’est installé à Paris. Durant le période Issoufou d’importantes missions militaires algériennes ont séjourné à Niamey avec des ressources financières importantes sans que l’on assiste à une véritable implication de ces officiers dans la formation ou le renseignement. Une bonne partie pourtant des groupes armés insurgés qui attaquent l’armée nigérienne, comme l’armée malienne,  ont des cadres d’origine algérienne et peuvent se replier à l’insu des autorités sur le territoire algérien.

Lorsque des menaces d’agression française au Niger se sont affirmées, l’interdiction du survol de l’Algérie à l’encontre des avions militaires français a surtout obéi à des soucis de préservation de l’espace aérien national de toute ingérence extra-africaine, surtout de la part de l’ex-colonisateur. L’espace arabe et musulman du Niger est global et excède ses frontières. C’est sans doute pour cela que la position du très francophile Gutierrez contre le nouveau pouvoir de Niamey oublie que les alliances anti-terroristes en Afrique l’ont mises de côté de même que la France. Gutierrez et le président Macron voudraient faire payer au Niger le départ de Barkhane du Mali et le renvoi de la MINUSMA en l’étouffant dans un ghetto qui le couperait du reste du monde.

La grande coalition et le focus africain

C’est sans doute ne pas prendre en compte que les cartes ont été redistribuées. Quelques mois (en juin 2023) avant le coup d’État au Niger, les Etats-Unis et l’Arabie saoudite avaient confirmé leur engagement dans la coalition globale contre Daech et ISIS[4]. Ils avaient rappelé à cette occasion l’importance particulière de l’Afrique dans ce combat et de ce qu’ils avaient convenu à ce sujet à Niamey en avril 2023.[5] Le ministre saoudien des affaires étrangères Faisal avait été très catégorique sur le soutien de son pays. La restriction de la coopération aux gouvernements africains dirigés par des civils n’était plus de mise, de même que l’Arabie saoudite ne s’est pas jointe aux menaces et sanctions de son partenaire américain, suite au coup d’État du 26 juillet 2023.

L’African Focus Group contre ISIS et SAECH a donné au Niger un rôle central à l’époque de sa confirmation. L’Africa Focus Group relève de la Coalition mondiale contre Daech, coprésidée par le Maroc, les États-Unis, l’Italie et le Niger. La première réunion plénière du Groupe sur le continent africain, avait eu lieu à Marrakech en mai 2022, en marge de la réunion ministérielle de la Coalition mondiale contre Daech. La participation du Maroc à la réunion plénière de l’Africa Focus Group avait été l’occasion de réitérer le soutien et l’engagement du Royaume en faveur de la sécurité et la stabilité de l’Afrique en général, et du Sahel en particulier, au regard de l’histoire commune, les liens humains forts et les intérêts partagés entre cette région et le Maroc[7].

L’Algérie reste discrète sur cette scène où le triangle Etats-Unis, Arabie saoudite et Maroc s’impose avec un Niger, certes civil à l’époque, très présent. L’Italie entend jouer un rôle après le départ de la France du Niger comme l’Allemagne. Le contexte économique et social aide à développer les ralliements aux organisation terroristes comme l’ISIS en Afrique et les violences incitent également aux migrations. C’est pour cela que ces deux pays poursuivent leur aide au Niger dans des actions civiles et militaires.

Le vent d’Est

La Chine restera un partenaire important du Niger. En raison de liens anciens, dans un pays qui, du fait du sens national de la religion, a toujours eu des réticences vis-à-vis de l’URSS, la Chine était présente quand la France lui interdisait l’uranium et que le pétrole n’était pas exploité. Depuis la Chine est en passe de remplacer la France comme partenaire de l’investissement stratégique. En 2007, China National Nuclear Corporation (CNNC), par le biais de sa filiale locale, Sino-Uranium a investi 334,7 millions USD pour pouvoir exploiter les dépôts d’uranium du Niger (WNA). Comme les sociétés minières du Canada, de la Corée et d’autres pays, la Chine a obtenu l’un des 150 contrats qui ont été offerts aux soumissionnaires par le gouvernement nigérian en 2007, une action qui a brisé un monopole de 40 ans détenu par la société française Areva (Afane) . La Société des Mines d’Azelik SA (Somina) a commencé la production en 2010 dans la région d’Azelik / Teguidda, située à 160 km au sud-ouest de la ville minière d’Areva Arlit et à 150 km au nord-ouest de la capitale régionale Agadez. En mai de cette année, la compagnie nationale Sinopec a conclu un protocole d’accord avec le gouvernement nigérien, ouvrant la voie à une coopération potentielle entre Pékin et Niamey dans le domaine du pétrole et du gaz.

Le gouvernement nigérien a reçu un prêt de 650 millions de yuans (90,93 millions de dollars) de la banque publique chinoise Eximbank pour soutenir le développement du projet en 2009.

La mine a des réserves totales estimées à 11 227 tonnes métriques et une capacité de production annuelle de 700 tonnes, selon le dépôt. Le projet a été interrompu en 2015 en raison de conditions de marché défavorables.

De grandes richesses minières

Le Niger, qui possède les minerais d’uranium les plus riches d’Afrique, a produit 2 020 tonnes d’uranium en 2022, soit environ 5 % de la production minière mondiale, selon l’Association nucléaire mondiale.

Le Niger est devenu un producteur de pétrole en 2011 lorsque le champ pétrolifère d’Agadem, une coentreprise entre le gouvernement et PetroChina, a commencé à produire. PetroChina a conclu un accord de partage de la production en 2008 avec le gouvernement nigérien pour développer le champ, situé à quelque 1 600 km à l’est de la capitale Niamey, avec des réserves estimées à 650 millions de barils. Dans le cadre de cet accord, PetroChina a investi dans la construction de la raffinerie SORAZ, située à 460 km de là, dans la ville méridionale de Zinder, près de la frontière avec le Nigeria. PetroChina détient une participation de 60 % dans la raffinerie, qui a une capacité de 20 000 barils par jour (bpj) et approvisionne principalement le marché intérieur nigérien des carburants. La part restante est détenue par le gouvernement nigérien.

En septembre 2019, PetroChina a conclu un autre accord avec le gouvernement nigérien pour la pose d’un oléoduc de 2 000 km (1 200 miles) entre le champ d’Agadem et la ville portuaire béninoise de Cotonou. L’investissement dans l’oléoduc est jumelé à une deuxième phase de développement du champ d’Agadem. Selon le ministère chinois du commerce, l’investissement total dans l’oléoduc et la deuxième phase de développement devrait atteindre 4 milliards de dollars. L’oléoduc, le plus long de ce type en Afrique, est prévu pour atténuer les problèmes de sécurité et de logistique liés à l’exportation de brut depuis la région troublée. Il est conçu pour transporter 90 000 barils par jour, selon le ministère chinois du commerce. Le projet était achevé à 63 % en février de cette année, selon un communiqué de PetroChina.

Commencée avec le MNSD et sous la présidence de Tanja la coopération minière et pétrolière s’est amplifiée sous le régime PNDS d’Issoufou. La position actuelle du Bénin contre le coup d’État se traduit par un retard dans la mise en service de l’oléoduc. Mais l’importance de l’investissement chinois et la charge de la dette nigérienne par rapport au revenu de l’Etat vis-à-vis de la Chine imposeront une solution qui offre aussi une porte de sortie à Niamey. Le Niger compte deux fois plus que le Mali en termes financiers pour Pékin. Et le Nigéria est également considérablement endetté auprès de Pékin. La Chine va peser avec le départ de Paris un peu plus en matière de sécurité. Déjà en 1996, quand brutalement la France et l’Occident avaient suspendus leur coopération suite au coup d’Etat du colonel Maïnassara, la Chine avait maintenu sa présence et se trouvait disponible lorsque Tanja avait connu une épreuve de force en 2005-2007 avec Areva.

 En 2013 la Chine a équipé le quartier général des Forces Armées Nigériennes (FAN) en fibre optique et en serveurs. La compagnie ZTE responsable du marché, au début des années 2000 avait remporté un marché important de télécommunications civiles. Le réseau militaire du Niger bénéficie d’une communication externe sécurisée avec des relais chinois en Tanzanie et au Zimbabwe. Des missions militaires chinoises viennent périodiquement examiner la situation sécuritaire dans la région d’Agadem. Ce sont les FAN et la compagnie militaire privée

Shandong Warwick Security Group, opérant avec l’australienne MSS Security Group qui garantissent la protection des investissements chinois au Niger. Dans la conjoncture actuelle la coopération militaire et sécuritaire va se renforcer.

La relégation de l’histoire

La propension à ghettoïser l’actuel pouvoir nigérien répond à la dénégation du coup d’État qui renversa Tanja en 2010. Le Secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki-moon[8] s’était contenté de demander que la destitution de Tanja soit pacifique. Les chercheurs sécuritaires Baudais, Chauzal, Barnett vont établir des théories aussi futiles que justificatives avec le coup d’Etat « correctif » ou le « bon coup d’État ». Le porte-parole de l’opposition, un certain Bazoum, oscille entre naïveté et opportunisme : « Nous remercions la junte de son intervention. Nous sommes pour la restauration de la démocratie et nous nous engageons à soutenir l’armée dans cette entreprise ». Tout cela contribuait à créer une communauté imaginaire de Nigériens pauvres, mais affamés de démocratie. Le PNDS était surtout pressé de s’emparer des revenus que procuraient les mines et le pétrole mis en valeur par la Chine et le MNDS.

Le président Macron et ses spin-doctors militaires qui étouffent le Niger ne mesurent pas la nature de l’actuel coup d’État. En 2023 le Niger est bien moins pauvre qu’en 2010. La croissance économique[9] dépassera celle de l’année 2022 en dépit des soubresaut du blocus de la CEDEAO car la saison des pluies a été bonne et que les productions du sous-sol sont en hausse. Celle de 2024 semblait extrêmement prometteuse et, en dépit des obstacles dressés par l’UEMOA et la CEDEAO, la myriade d’investisseurs indiens, malaisiens, turcs, au Niger, lui assure une économie aux sources d’approvisionnement diversifiées. 

Le coup d’État du 26 janvier est populaire du fait de la sensibilité accrue de la jeunesse à l’inégalité économique et sociale. Ce n’est plus la misère qui secoue les villes du monde mais l’écart entre les très riches et les pauvres. Des analystes sans œillères raciales comme Piketty en 2014 déclarait : «Les chocs économiques violents jouent un rôle dans les désordres sociaux. Les institutions démocratiques formelles ne sont pas en mesure de répondre aux inégalités croissantes en particulier parce que la richesse est captée par les élites financières. Il s’agit d’inventer des modalités de régulation des dynamiques du capitalisme».  Le coup d’État nigérien n’est pas une subsistance archaïque de sociétés anomiques mais traduit l’irruption de nouveaux rapports sociaux. La transformation de Niamey, grâce aux richesses du Nord et de l’Est, a réduit la pauvreté mais interrogé sur la fortune grandissante de certains. Des États ouvertement ploutocratiques, comme la Côte d’Ivoire et le Bénin, ressentent bien cette menace. Et leur acharnement à travers la CEDEAO va susciter l’effritement de cette organisation, confite dans ses privilèges bureaucratiques, comme les Nations-Unies. Au lieu de réfléchir sur les distorsions structurelles de l’Afrique de l’Ouest, ces dernières années, la CEDEAO s’ est concentrée sur les stratégies de lutte contre le terrorisme. Or, la persistance d’un environnement socio-économique déséquilibré s’est avérée de plus en plus propice au fondamentalisme et à l’extrémisme religieux. Les outils de prévention des conflits de l’institution de la CEDEAO sont actuellement plus solides que ses outils de gestion des conflits. L’incohérence de l’exclusion du Niger par la CEDEAO est la manifestation criante de la faiblesse et du déclin de l’organisation sous-régionale autant que de la France.

[1] In a statement dated Oct. 10, Niger’s foreign ministry accused the U.N. of using « underhanded manoeuvres » instigated by France to prevent its full participation in the high-level U.N. General Assembly meeting last month and in subsequent meetings of U.N. agencies that were held in Vienna and in Riyadh. https://www.reuters.com/world/africa/niger-junta-demands-head-un-mission-leave-country-within-72-hours-2023-10-11/

[2] https://www.20minutes.fr/monde/niger/4054396-20230923-niger-junte-militaire-denonce-agissements-perfides-antonio-guterres-chef-onu

[3] Ibid.

[4] https://www.state.gov/joint-communique-by-ministers-of-the-global-coalition-to-defeat-isis-3/

[5] Ibid.

[6] https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-and-saudi-foreign-minister-prince-faisal-bin-farhan-al-saud-at-a-joint-press-availability/

[7] Par Le360 (avec MAP), 02/03/2023 à 17h42

[8] « Deploring Coup in Niger, Ban Calls for Peaceful Resolution », 2010

[9] The country’s economic growth is expected to follow a positive trend in 2023 at 6.9%, and it is projected to nearly double to 12.5% in 2024. This growth is primarily driven by the government’s goal of increasing oil production. The fiscal deficit is anticipated to decrease to 5.3% in 2023. Source Banque mondiale