Dans un entretien avec Mondafrique, Dominique Inchauspé, avocat de Brice Laccruche, revient sur la commission rogatoire internationale (CRI) en vue d’enquêter au Gabon sur la détention de celui qui fut le bras droit d’Ali Bongo et son directeur de cabinet.
Mondafrique
Ce genre de procédure, une commission rogatoire internationale (CRI) française adressée à un Etat étranger, est-il courant ?
Dominique Inchauspé.
Ce qui est courant, ce sont des demandes d’enquêtes d’Etat à Etat sur des dossiers dans lesquels l’Etat étranger n’est pas impliqué. Ce qui n’est pas courant, voire même semble être une première, c’est que la justice française demande à la justice gabonaise de s’expliquer sur le processus judiciaire ‘local’ ayant conduit à l’incarcération de Brice et de Gregory Laccruche que mon confrère Anges Kevin Nzigou, moi-même et d’autres défendons.
La plainte que nous avions déposée il y a un peu plus d’une année pour atteinte à la liberté individuelle dans son volet détention arbitraire a trouvé un écho au tribunal de Paris à proportion des faits que nous dénoncions ; à savoir une détention arbitraire ordonnée au mépris des lois du Gabon même (dépassement de délai de garde à vue, non communication du dossier au moment de l’incarcération des Laccruche, aucun débat dans le bureau du juge).
Mondafrique.
Quelles sont les conditions de détention de vos clients ?
D.I. Très mauvaises. Ils sont placés à l’isolement, dans des cellules minuscules et surchauffées. Certains détenus dans ce dossier ont pu être violentés par les visiteurs du soir. Les contacts avec l’extérieur sont inexistants et ils ne peuvent pas voir leurs avocats sauf quand ils sont interrogés par les juges d’instruction qui se déplacent à la prison. Or, ces auditions sont rares.
Mondafrique.
Avez-vous tenté d’obtenir leur mise en liberté ?
D.I. En 2020, les premières demandes aux juges ont été rejetées. Puis, nous avons déposé une requête auprès du groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (GTDA). Son avis de fin novembre 2020 a été clair : nos clients sont en détention arbitraire et ils doivent être remis en liberté. Dans cette passe d’armes à Genève, les réponses du gouvernement gabonais, sollicitées par le GTDA, auront été particulièrement extravagantes. À l’en croire, le dépassement de la durée légale de la garde à vue aurait été demandé par des avocats de la Défense pour formuler des propositions ! Le parquet aurait donc accepté de violer la loi, ce à la demande des avocats des suspects pour que ces derniers restent plus longtemps détenus : il faut le lire pour le croire.
Depuis, quatre demandes de mise en liberté auprès du Tribunal de Libreville ont encore été rejetées. Elles visaient les conclusions du GTDA. Dans leurs réponses, les juges d’instruction font état d’une « procédure régulière », rien de plus.
Mondafrique :
Quelles peuvent être les suites de la procédure en France ? Et au Gabon ?
D.I. Pour la procédure à Paris, tout va dépendre, à mon sens, de la réaction des autorités du Gabon : vont-elles collaborer ? La CRI a été prise à la suite de demandes d’enquête que nous avons faites. Nous avons souhaité que nos clients, détenus, soient entendus ; ainsi que les magistrats instructeurs en charge des dossiers et le procureur de la République et bien d’autres donneurs d’ordre. La CRI peut comprendre d’autres demandes aussi mais, selon la pratique des cabinets d’instruction, nous n’en sommes pas informés avant son retour. A défaut d’une collaboration, je crains que la situation ne détériore. Les juges, en France comme ailleurs, n’aiment pas qu’on ne réponde pas à leurs questions, voire qu’on se dérobe. Leurs réactions peuvent être alors assez vives. Au Gabon, la solution serait la mise en liberté immédiate de nos clients, compte tenu aussi des conditions de détention si dures. Quant aux charges recueillies contre les Laccruche, elles semblent assez évanescentes. L’impossibilité d’obtenir une copie du dossier le démontre bien.
Cela dit, je ne sais pas si les autorités, au moins judiciaires, du Gabon réalisent la nasse dans laquelle elles risquent de se retrouver prises. En effet, le procureur de Libreville vient de faire citer Brice Laccruche devant le tribunal pour une prétendue obtention indue de la nationalité gabonaise via une encore plus prétendue escroquerie au jugement. Or, l’enquête conduite dans ce dossier par la Direction Générale des Contre-Ingérences et de la Sécurité Militaire avait conclu à… l’absence de toute infraction ! Pourtant, ces messieurs des Services ne sont pas non plus les amis naturels de M. Brice Laccruche. De plus, le procureur n’avait même pas informé M. Laccruche de cette procédure pour l’y mettre en accusation comme la loi gabonaise l’y oblige. Vous me direz que c’est cohérent avec ce qui précède. En tout cas, tous ces éléments sont communiqués au juge d’instruction français, avec une demande de poursuites complémentaires pour, à nouveau, atteinte à la liberté individuelle.
Mondafrique :
Des pressions sont-elles exercées ?
- Elles sont chroniques comme je l’ai constaté lors d’un séjour au Gabon à l’occasion d’un autre dossier sensible. Ma chambre a été visitée de nuit par un visiteur mystérieux. Il a complaisamment étalé toutes mes affaires partout sans rien me voler. Il s’agissait de m’intimider.
Mais c’est encore peu par rapport à ce que subissent mes confrères africains dans ce genre de dossiers. Ainsi d’Anges Kevin Nzigou, avocat à Libreville des frères Laccruche : intimidations physiques proches de l’enlèvement, problèmes de santé plus que suspects.
Mondafrique. Brice et Gregory Laccruche qui possèdent la double nationalité française et gabonaise ont-ils bénéficié d’une quelconque démarche des autorités françaises ?
D.I. Sur place, Madame la consule remplie sa mission de protection consulaire mais avec difficulté : les autorités locales lui opposent une inertie très préjudiciable.
Notons pourtant que l’Europe et le Gabon se sont engagés dans un vaste programme en faveur de la consolidation de l’état de droit sur lequel veille, depuis sa nomination en 2019, l’ambassadrice extraordinaire à Libreville précitée, Rosario Bento Pais. La réforme du Code de procédure pénale gabonais de 2019 s’inscrit dans cette perspective., du moins en théorie. Il y a loin de la loi à la liberté.
En fait, le Gabon pratique un double langage, affichant une volonté de respect des libertés publiques et maintenant dans les faits le plus grand arbitraire, au moins à l’encontre de nos clients.