Emmanuel Macron entreprend, ce mercredi 5 avril, un voyage en Chine. C’est avec l’espoir d’un nouvel ordre mondial multipolaire et apaisé qu’il faut se réjouir de la visite d’État du président de la République français.
Une cinquantaine de grands dirigeants d’entreprise, des artistes et même un directeur de zoo (!) : le président français Emmanuel Macronuest accompagné par une délégation d’environ 80 personnes.
Néanmoins, l’actualité française a obligé à quelques changements : Laurent Fabius, initialement prévu dans la délégation, a finalement dû rester à Paris alors que le Conseil constitutionnel qu’il préside se penche sur la réforme des retraites, rapporte France Inter.
Des représentants de monde de la culture, des fleurons l’économie française mais aussi diverses personnalités politiques entourent donc le chef de l’État pour cette visite dont le principal sujet reste la guerre en Ukraine et le rôle possible de Pékin entre les deux belligérants.
Réalisateurs et musiciens
Quatre ans après l’incendie de la cathédrale et à quelques jours de la sortie en Chine de son film Notre-Dame brûle, Jean-Jacques Annaud fait partie de la délégation présidentielle. Une longue histoire unit le réalisateur et la Chine. Son film Le Dernier loup, sorti en 2015 et tourné dans les steppes du nord du pays, avait à l’époque été choisi par les autorités pour représenter le pays aux Oscars.
Pionnier de la musique électronique, Jean-Michel Jarre, est aussi coutumier des voyages en Chine. En 1981, il est le premier artiste occidental à se produire en République populaire depuis la mort du fondateur du régime Mao Tsé-toung (1949-1976). Le pays commençait alors tout juste à s’ouvrir au monde. En 2004, Jean-Michel Jarre avait eu le privilège de donner un concert dans l’enceinte de la prestigieuse Cité interdite, lors de l’ouverture de l’année de la France en Chine. L’artiste de 74 ans est en couple avec Gong Li, considérée comme l’une des plus grandes actrices de Chine. Elle fait elle aussi partie de la délégation.
Le media Asialyt vient de publier une excellente chronique de Didier Chaudet sur les politiques de médiation de la Chine à l’échelle internationale plus efficaces apparemment que le « en même temps » d’Emmanuel Macron. Extraits
Un pacte de non agression Chine/Arabie
Du 6 au 10 mars derniers, des représentants de la République islamique d’Iran et du royaume saoudien se sont rencontrés en Chine. De cette rencontre est né un accord entre ces deux pays et leur hôte, annonçant une détente irano-saoudienne. Cela signifiait notamment la réouverture des ambassades entre Iran et Arabie Saoudite, ainsi que le retour à des relations diplomatiques normales, d’ici deux mois. Ces relations avaient été rompues en janvier 2016, quand des manifestants iraniens avaient envahi l’ambassade saoudienne à Téhéran, en réponse à la mise à mort du cheikh al-Nimr, un religieux chiite saoudien.
Les deux pays ont également affirmé la nécessité d’une non-interférence dans les affaires internes de l’autre, de ne plus s’attaquer, même via des intermédiaires, ou, de façon plus rhétorique, par médias interposés. Deux accords bilatéraux, signés en 1998 et 2001, sont de nouveau d’actualité grâce à cet accord : le premier devait stimuler les relations commerciales et économiques ; le second, particulièrement important dans la lutte contre le djihadisme qui concerne également la Chine, facilitait la coopération entre services de renseignement et contre-terroristes iraniens et saoudiens.
Plus concret encore sur le court terme : l’Iran a accepté d’arrêter d’envoyer des armes à ses alliés houthis au Yémen. Cela pourrait être le premier pas vers une paix de compromis dans ce pays. L’importance de cet accord est incontestable. Comment a-t-il pu voir le jour, et qu’est-ce que cela signifie pour l’influence chinoise au Moyen-Orient, comme pour la région elle-même ?
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La diplomatie irakienne à l’oeuvre
Il est d’abord important de rappeler que la Chine n’est pas, à elle seule, responsable de l’apaisement possible des relations entre les deux grands rivaux moyen-orientaux. Le processus qui s’accomplit aujourd’hui est d’abord la conséquence d’un travail de médiation irakien, qui a commencé en 2020. Bagdad était alors le messager officieux entre les deux pays.
Puis en avril 2021, un travail de médiation a été mené, en Irak et à Oman, dans le cadre de six rencontres directes entre officiels iraniens et saoudiens. La Chine s’est associée aux efforts menés par le passé plutôt que d’agir en grande puissance imposant son propre processus. Ce qui ne veut pas dire que l’influence chinoise a été secondaire. Au contraire, elle a sauvé la détente irano-saoudienne.
Le dialogue commençait clairement à s’essouffler dans le courant de l’année 2022, faisant craindre que des frustrations de part et d’autre fasse échouer l’initiative. C’est lors de la présence de Xi Jinping à Riyad pour le premier sommet sino-arabe, début décembre 2022, que l’implication chinoise a été décidée. Selon certains, le président chinois aurait offert l’aide de Pékin, pour d’autres, ce sont les Saoudiens qui auraient demandé l’implication chinoise afin de sauver leur dialogue avec les Iraniens. Quoi qu’il en soit, c’est parce que le président Xi s’est impliqué dans le processus qu’il a abouti aujourd’hui.
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La diplomatie de la médiation
Contrairement à Washington, qui, naturellement, domine ses interlocuteurs locaux, l’approche chinoise relève de la « diplomatie de quasi-médiation ». C’est une politique étrangère n’hésitant pas à s’associer aux efforts menés par d’autres, visant à suivre, reprendre ou amender plutôt qu’à prendre le leadership. Il s’agit moins de résoudre les conflits que, plus modestement, et plus rationnellement, de les apaiser. Cette diplomatie a l’avantage de mettre les acteurs locaux et régionaux face à leurs responsabilités, en ne faisant pas peser tous les efforts, et toutes les responsabilités, sur la grande puissance extérieure. D’ailleurs, la détente n’a été possible que parce qu’elle allait dans le sens des intérêts des trois principaux acteurs associés à cet événement.
C’est sans doute Liu Zhongmin, professeur à l’Institut du Moyen-Orient de l’Université d’études internationales de Shanghai, qui a le mieux exprimé le consensus intellectuel sur cette détente dans la région : la tendance, au Moyen-Orient, et de la part des Iraniens et des Saoudiens en particulier, est à « rechercher le développement à l’intérieur, rechercher l’apaisement à l’extérieur » (内求发展、外求缓和). Et cela, d’abord parce que l’opposition à outrance entre les deux pays n’a rien donné, qu’une victoire décisive de l’un des deux États contre l’autre apparaît de plus en plus improbable, à une période où les deux régimes ont besoin de conditions plus propices à une plus grande prospérité et stabilité à l’intérieur de leurs frontières (…)
De Ryad à Téhéran via Pékin
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Pour la Chine elle-même, un engagement significatif au Moyen-Orient était nécessaire. Les Chinois ont intérêt à une plus grande stabilité dans une région importante pour eux d’un point de vue énergétique. Depuis plus d’une dizaine d’années, le pétrole et le gaz des pays du Golfe sont vendus en bien plus grandes quantités à l’Asie (en premier lieu à la Chine) qu’à l’Occident. L’Iran et l’Arabie Saoudite sont également d’une grande importance dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ». Améliorer le dialogue entre les deux rivaux est la meilleure façon d’arriver à un tel résultat. Et en fait, depuis l’accord de coopération économique sur 25 ans associant Chine et Iran, Pékin est la seule capitale capable d’influencer Téhéran et Riyad.
L’évolution vers une normalisation des relations irano-saoudiennes est significative pour la Chine et pour l’ensemble de la région, au-delà de l’effet d’annonce. C’est d’abord la confirmation que le Moyen-Orient n’est plus le pré-carré américain qu’il a pu être, surtout depuis la fin de la Guerre froide. Sur ces trente dernières années, Washington régnait sans partage sur les destinées régionales. Les Américains ont affaibli leur capacité d’influence dans le temps, notamment avec les guerres mal gérées d’Afghanistan et d’Irak. En parallèle, surtout pendant la « guerre contre le terrorisme », ils sont apparus de moins en moins crédibles à cause d’une politique oscillant entre une affirmation idéologique agaçante pour certains pays et leaders locaux, et une approche sélective des droits de l’homme. C’est sans doute ce qui explique que le discours « moral » autour de l’Ukraine soit aujourd’hui difficilement audible au Moyen-Orient. Par ailleurs, le choix d’un retrait de la région au sens large, au nom de la compétition avec la Chine, affaiblit le sentiment de protection associé à un alignement sur les États-Unis pour des pays traditionnellement pro-occidentaux.
Certes, l’implication russe en Syrie a pu donner le sentiment que le Moyen-Orient n’était déjà plus un pré-carré américain depuis quelques années. Mais Moscou n’a pas les moyens financiers, diplomatiques, et aujourd’hui, même militaires, de peser de façon significative dans la région. (…)
La Chine parle à tout le monde
L’Empire du Milieu a non seulement les moyens de ses ambitions, mais il offre, de façon bien plus convaincante que le Kremlin, une alternative à l’approche américaine et occidentale au Moyen-Orient.(…)Les Chinois, quant à eux, sont également capables de parler à tout le monde, des Israéliens aux Iraniens, en passant par les Turcs. Aucun jugement de valeurs n’est émis sur la gestion des affaires intérieures de chaque pays. Ils ne font pas mystère de chercher à défendre leurs intérêts nationaux, mais en cela, ils ne sont pas différents des États-Unis et de la Russie. Et Pékin a le grand avantage, pour les régimes locaux comme pour leurs populations, de chercher à défendre ses intérêts sans mener de croisades militaires, que ce soit au nom de la démocratie (Américains en Irak, en Afghanistan) ou de la lutte contre le djihadisme (Russes en Syrie). Au Moyen-Orient, la Chine n’est ni révisionniste, ni idéologique. Face aux souffrances des populations en Irak et en Syrie, l’accord saoudo-iranien permet de se présenter, dans la région, comme un État soutenant paix et stabilité dans la région, contrairement à d’autres puissances étrangères. Et cela rend la puissance asiatique particulièrement attractive pour les pays de la zone.
La détente irano-saoudienne est donc une victoire régionale pour Pékin, même si elle ne se concrétise pas sur le plus long terme. L’alternative offerte par la Chine (pas de jugements de valeur sur les régimes en place, pas de logique militaire prédominante, politique visant à la défense d’un apaisement de la région parce que cela sert les intérêts économiques et nationaux chinois) restera assez séduisante, et constante dans la durée. Elle sera particulièrement attractive face à une Russie qui aura de moins en moins les moyens de ses ambitions dans la région, et à une Amérique dont la logique diplomatique risque d’être prise en otage par les évolutions politiques intérieures.
Et comme les Chinois mènent une « diplomatie de quasi-médiation », bien différente de l’approche révisionniste préférée en Occident, un échec dans la relation irano-saoudienne sera facilement mise sur le compte de Riyad, de Téhéran, ou de forces extérieures refusant cet apaisement. Contrairement au processus de paix israélo-palestinien ou plus encore de la stabilité de l’Irak après l’invasion américaine, la grande puissance étrangère, ici, ne s’est pas engagée au point d’être vue comme directement responsable. Quoi qu’il arrive dans les mois à venir, les conséquences de l’accord entre Iraniens et Saoudiens seront positives pour Pékin.
Si la détente devient une réalité sur le plus long terme, bien entendu, cela aura des conséquences non négligeables pour la stabilité régionale, dont la diplomatie chinoise pourra s’attribuer la responsabilité. Au Liban, en Syrie, au Yémen, on pourrait constater, avec le temps, des évolutions notables. Riyad et Téhéran ne deviendront pas forcément des partenaires : mais leur rivalité ne signifiera plus forcément nourrir et attiser des tensions locales au nom de leur « guerre froide » régionale. Ce serait particulièrement bienvenu dans une région où les tensions politiques, mais aussi le danger représenté par le changement climatique, rendent précaire la possibilité d’une stabilisation durable.
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