Petit territoire de la Corne de l’Afrique, Djibouti est un pays clé pour les armées occidentales qui rayonnent dans toute la région. Une véritable industrie du militaire qui suscite aujourd’hui l’intérêt de nouveaux Etats comme la Russie et la Chine et dont les retombées financières sont estimées à 200 millions de dollars par an
Les puissances qui comptent aujourd’hui dans le monde s’intéressent à Djibouti, petit morceau de terre de la Corne de l’Afrique, comme point d’ancrage stratégique. En effet, plusieurs pays se bousculent pour y installer des équipements militaires et des soldats, afin de lutter contre la piraterie en mer Rouge, dans l’océan Indien et contre le terrorisme. Les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis et la multiplication des actes de piraterie maritime sur les côtes somaliennes depuis 2006 ont renforcé le rôle stratégique de Djibouti.
L’armée partout
La présence française est de loin la plus ancienne. Si Paris y a réduit ses effectifs, elle dispose encore de 2 100 soldats, le contingent le plus important en Afrique. Les États-Unis y ont installé depuis 2002 une base forte de 4 000 hommes dans le camp Lemonnier. Le Pentagone se sert en outre de cette base pour piloter ses drones ciblant des personnes soupçonnées d’appartenir à Al-Qaïda dans la péninsule arabique et en Somalie. Le 5 mai 2014, les États-Unis et Djibouti ont signé un nouveau bail de dix ans pour cette base militaire américaine à raison de 40 millions d’euros par an. Le Pentagone prévoit de dépenser plus d’un milliard de dollars sur les vingt-cinq prochaines années pour agrandir le camp Lemonnier. Une manoeuvre qui génère la crainte d’une militarisation encore plus forte du pays. Sans compter les dégâts causés par les exercices militaires sur l’environnement et la santé des populations. D’ailleurs, les habitants de la capitale se sont plaints de l’écrasement de cinq drones à proximité de leurs habitats, obligeant les Américains à transférer leur flotte de drones à 13 km de l’aéroport. La lutte contre la piraterie autour de la Corne de l’Afrique a incité le Japon à la construction de la première base permanente des forces japonaises d’autodéfense à l’étranger à Djibouti. Rappelons que les neuf dixièmes des exportations japonaises passent au large de ces côtes et que plusieurs navires nippons ont subi des attaques de pirates. La base japonaise accueille 600 soldats et le Japon dépense 30 millions de dollars pour son loyer. Plusieurs autres armées : espagnole, allemande et italienne sont présentes. La dernière demande d’installation proviendrait des Chinois et des Russes.
Jusqu’à présent, les bases étrangères n’ont guère contribué à l’enrichissement des populations. Leurs retombées financières, estimées à 200 millions de dollars, ne profitent qu’aux proches du président, alors que la situation des populations rurales reste dramatique : elles vivent une quasi-famine. Les régions du nord et du sud-ouest sont les plus touchées, avec 4 000 personnes ayant fui vers l’Éthiopie à cause de la faim et la soif. Ces puissances exercent leur magistère sur un pays fragile, un État inabouti.
Blocage politique
Sans le concours de la communauté internationale, Djibouti serait un État « failli ». Le refus de construction d’un État national de la part du groupe minoritaire est soutenu sans réserve par les puissances étrangères, qui s’arrangent très bien du minimum d’État. Le seul attribut de l’État qui reste est la reconnaissance internationale.
Djibouti vit une impasse politique depuis les élections législatives de février 2013 remportées par la coalition de l’opposition de l’Union pour le salut national (USN). Les observateurs de l’Union africaine (UA) et de la Ligue arabe ont été les seuls à ne pas constater l’irrégularité du scrutin.
Une dizaine d’exécutions extrajudiciaire ont été perpétrées selon le FIDH. Trois dirigeants de l’opposition : Abdourahman Bachir, Abdourahman God et Guirreh Meidal ont été condamnés à dix-huit mois de prison ferme, accusés d’incitation à un mouvement insurrectionnel. Ils ont rejoint le plus ancien prisonnier du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud), Mohamed Ahmed, dit Jabha, détenu depuis le mai 2010. Des dizaines de personnes sont encore détenues à Gabode. Le président Ismaïl Oumar Guelleh reconnaît lui-même que la situation politique est bloquée en acceptant de dialoguer avec les opposants de l’USN, même si c’est du bout de lèvres. Il reconnaît aussi qu’un conflit qui ne dit pas son nom l’oppose au mouvement d’opposition du Frud (Front pour la restauration de l’unité et la démocratie) et envoie plusieurs personnalités du régime dans le nord et le sud-ouest, dont le premier ministre, afin de menacer les populations de représailles en raison de leur supposé soutien au mouvement.
Les opposants sur le pont
Dans le pays les affrontements entre civils et forces de l’ordre se multiplient. Le 3 mai, plusieurs dizaines de policiers armés en civil ont blessé une vingtaine de manifestants. Le 9 mai, une fillette de 3 ans a été violée par un militaire protégé par son beau-frère, un ancien militaire qui a le monopole du commerce à Obock. Les habitants de cette ville ont manifesté contre cet acte et contre tous les viols commis par l’armée. Cet événement tragique rappelle l’actualité des luttes des Djiboutiennes contre l’impunité des viols des femmes afars par l’armée et pour la reconnaissance de ces viols comme crimes de guerre.
Pour les opposants du Frud, les volets de réformes démocratiques et de citoyenneté, de la sécurité et de l’armée restent des exigences de premier ordre. Selon eux, rédiger un livre blanc sur les retombées politiques, économiques et financières des bases militaires française, nippone et américaine est indispensable. Car jusqu’à présent l’existence de ces bases a conforté le régime en place.
PAR MOHAMED YUSSUF