La Chine réinvente les politiques anti-terroristes en Afrique

Maggie Gue et Mike Wang, deux experts et universitaires régulièrement consultés par les dirigeants chinois, estiment que la force à elle seule n’endiguera pas le terrorisme dans le monde. Une leçon pour les occidentaux !

Le contre-terrorisme international est passé, au cours des récentes décennies, d’une stratégie d’éradication à une stratégie d’endiguement. Héritées de la Guerre Froide, les politiques actuelles consistent ainsi essentiellement à mettre en place des barrières physiques par la force. Même si elles peuvent temporairement réduire le nombre de victimes et diminuer le pouvoir de nuisance des organisations terroristes, elles ne font bien souvent que repousser le problème ailleurs et forcent ces organisations à utiliser de nouvelles tactiques.

Ainsi au Nigeria, même si les morts attribués à Boko Haram ont diminué de 80% en 2016 grâce aux actions militaires de la force multinationale, 13 organisations terroristes indépendantes sont encore actives dans le pays dont Boko Haram qui s’est scindée en trois groupes.

De la même manière, alors que l’Etat Islamique est proche de la défaite militaire en Irak et en Syrie, l’organisation étend ses activités à d’autres pays, prend de nouvelles formes et est à l’origine de la majorité des récentes attaques dans les pays de l’OCDE. Touchant de plus en plus de pays – 77 en 2016, un record sur les 17 dernières années –, toujours meurtrier avec plus de 26 000 victimes en 2016 et utilisant de nouvelles techniques de terreur, le terrorisme nécessite donc une nouvelle approche d’endiguement : la constitution d’une barrière douce basée sur la compréhension, l’acceptation et le développement en lieu et place de la force.

Comprendre, sans excuser

Comme Tolstoï l’a écrit, « “Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon.” Même les personnes que l’on peut qualifier de « terroristes » partagent la même définition du bonheur que les gens « ordinaires ». Ils sont devenus « terroristes », car la société ne leur a pas donné les possibilités d’atteindre ce bonheur. Dans les pays développés, l’inégalité croissante, l’exclusion sociale, la faillite des politiques d’immigration, d’éducation et la difficulté à changer le cours de son existence a généré un sentiment de désespoir chez de nombreuses personnes.

Par ailleurs, l’incapacité des pays occidentaux à remettre en question leurs politiques et messages sur le plan aussi bien national qu’international a accentué les antagonismes religieux, communautaires et culturels. Le ressentiment à l’égard de la société prédominante s’est donc accru chez certaines personnes aux profils très variés et a pris une forme de plus en plus concrète et violente. L’organisation terroriste apparait pour elles comme un lieu où elles peuvent trouver de l’espoir et des nouveaux objectifs, à l’opposé de la société prédominante. En revanche, pour les personnes vivant dans les pays en voie de développement, rejoindre le terrorisme est plus une nécessité qu’un choix et répond le plus souvent à un instinct de survie. Ainsi, dans des régions où plus de 25 ou 50% de la population vit avec moins de 1,9 dollars par jour, l’Etat Islamique (IS) disposait à son apogée d’un pouvoir d’attraction extraordinaire en promettant à ses combattants un salaire de base de 50$ par mois, de la nourriture, un logement, des subventions complémentaires pour femmes et enfants et la possibilité de conserver 80% des fruits de leur pillage.

Le terrorisme est donc une question sociale et reflète de manière réaliste les problématiques de la société. De plus, il bénéficie aujourd’hui d’une audience globale grâce à internet et a décuplé sa capacité à se propager. Par conséquent, afin de garantir le succès d’une politique de contre-terrorisme, les terroristes et aspirants terroristes doivent être convaincus qu’ils peuvent atteindre le bonheur dans le monde prédominant et non dans le monde imaginé par des organisations terroristes. Pour que cela soit possible, comme évoqué précédemment, il est nécessaire de contenir le terrorisme par une barrière douce de compréhension, d’acceptation et d’efforts de développement. Les pays développés doivent ainsi travailler à la réduction des inégalités sociales, l’assimilation et la réduction des antagonismes afin que les personnes aient le sentiment d’être impliquées activement dans la société et de s’en approprier les valeurs.

Concernant les pays en voie de développement, l’accent doit être mis sur la promotion des économies locales grâce à d’avantage de projets de développement qui permettront de réduire la dépendance des individus aux revenus et avantages tirés du terrorisme. Plus facile à lancer car nécessitant moins de moyens financiers et opérationnels qu’un grand projet public par exemple, la promotion basée sur des projets à dimension réduite permet de cibler les besoins les plus urgents de chaque communauté dans des délais raisonnables.

Dans le nord du Tchad par exemple, là où les précipitations annuelles sont généralement inférieures à 30cm, la plupart des gens choisissent de devenir terroriste car ils ne peuvent avoir accès à de l’eau potable tout au long de l’année. Pourtant, des réserves d’eau souterraines existent en abondance à moins de 10m de la surface et il suffirait de mettre en place des stations d’eau équipées de pompes solaires pour diminuer grandement l’influence des organisations terroristes et ériger cette barrière douce. Comme autre exemple, on peut citer Bamako au Mali, où des centaines de jeunes font des études d’économiste ou de juriste, se retrouvent désœuvrés par manque de débouchés et deviennent des proies faciles pour la radicalisation.

En mettant en place une barrière douce constituée de programmes de formation et d’accompagnement mieux adaptés aux besoins du marché, il serait alors possible de faire reculer plus efficacement le terrorisme.

Plus difficile à mettre en place car pénalisé par des institutions moins efficaces, de graves problèmes sociaux, des régimes violents ou des conflits intenses, l’endiguement du terrorisme dans les pays en voie de développement doit être privilégié. Par ailleurs, la promotion basée sur les projets dans ces régions ne pourrait pas fonctionner sans des mesures de pacification et de protection appropriées, l’implication des politiques locaux et l’autodétermination.

Enfin, alors que la guerre contre le terrorisme s’intensifie partout dans le monde, les attaques terroristes sont de plus en plus décentralisées et la difficulté à les contenir a augmenté en conséquence. Le monde doit donc prendre conscience que les barrières douces sont en réalité plus solides et plus imperméables que les barrières rigides basées sur la force. Des synergies doivent être trouvées entre les gouvernements, les organisations internationales et les initiatives individuelles. Toute personne qui se sent responsable de l’évolution du monde, souhaite de meilleurs lendemains, ressent de l’injustice pour les défavorisés et ne veut pas voir des attaques terroristes se produire, doit participer à l’élaboration des barrières douces.

LA BIOGRAPHIE DES AUTEURS

Maggie Gu a plus de 16 années d’expérience dans la gestion des affaires internationales en Europe et en Afrique, excellant dans les domaines des relations publiques, les problématiques de développement et l’exécution de stratégies nationales. Etudiant et conseillant des pays africains, elle a également fondé la Tomorrow Foundation. Mme Gu a obtenu un diplôme professionnel de médecine et une Maîtrise en Communication et Relations Publiques en Chine, un MBA en Global Management aux Etats-Unis et une Maîtrise en Relations Internationales et Economie en Suisse.

Mike Wang a plus de 5 années d’expérience dans la gestion des affaires humanitaires en Afrique subsaharienne et a travaillé pour plusieurs organisations internationales, dont les Nations Unies et L’Organisation Mondiale de la Santé. Il est titulaire d’une Maîtrise en Relations Internationales à Sciences Po Paris en France et une Licence en Statistiques à la Rice University aux Etats-Unis.