Centrafrique, pour Ziguélé « la fracture confessionnelle est artificielle »

Martin Ziguélé, ancien premier ministre centrafricain (2001-2003) et peut-être futur président, répond aux questions de Mondafrique sur la situation sécuritaire et l’avenir du pays. Selon lui, il est urgent de désarmer tous les belligérants pour donner sa place à la politique

martinziguelearticleAlors que le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian a affirmé qu’un « minimum de sécurité » était garanti en Centrafrique, la situation est encore loin d’être réglée. Les milices meurtrières Anti-balaka, composées de populations chrétiennes et animistes, et les forces musulmanes de la Selaka continuent à se répondre par d’horribles massacres de masse.

Alors que l’ordre milicien recule petit à petit, les personnalités politiques de premier plan doivent reprendre le dessus et entamer la reconstruction du pays. La présidente de transition Catherine Samba-Panza est en poste depuis janvier 2014 pour préparer le terrain aux élections présidentielles prévues pour début 2015.

Parmi les personnalités qui pourraient jouer un rôle, Martin Ziguélé, 57 ans, est au premier plan. Consultant international en assurances, il occupe le poste de premier ministre du président Ange-Félix Patassé de 2001 à mars 2003, date du coup d’état de François Bozizé. Commence alors pour Ziguélé une période d’exil en France. Candidat malheureux à des présidentielles entachées d’irrégularités (2005 et 2011), il est aujourd’hui pressenti pour devenir le prochain président du pays.

ENTRETIEN avec MARTIN ZIGUÉLÉ
Mondafrique. Le commandant des forces françaises en Centrafrique, le général Soriano, a affirmé que la situation sécuritaire s’améliorait sur le terrain. Vous qui revenez de Bangui, est-ce que vous confirmez cette analyse ?

Martin Ziguélé. Nous sommes arrivés à un palier de sécurité qui est l’absence d’affrontements ouverts et quotidiens. À ce titre il est vrai qu’il y a eu une amélioration. Mais le pays est encore loin d’une situation qui pourrait permettre la reprise de l’activité économique ou l’installation d’une justice qui mettrait fin à l’impunité. La semaine dernière des Anti-balaka (milices de défense anti musulmans ndlr) ont attaqué à l’arme lourde une patrouille de gendarmerie dans les rues de la capitale. Il y a encore beaucoup à faire.

Mondafrique. Vous parlez de mettre fin à l’impunité, est-ce vraiment la priorité alors que le désarmement de la Séléka et des Anti-balaka n’est pas encore terminé ?

M.Z. La priorité c’est effectivement d’arrêter durablement les massacres. Ensuite il faut désarmer toutes ces personnes qui ne sont pas habilitées à porter des armes. Si tous les protagonistes locaux et internationaux arrivaient à se mettre d’accord là-dessus on aurait fait un grand pas. Tout le reste on peut en discuter.

Mais j’insiste sur le fait qu’il faut dès maintenant travailler pour favoriser le travail de la justice. Les Nations Unies ont dit avoir identifié des auteurs de crimes contre l’humanité, il faut aller plus loin et placer ces gens devant les tribunaux. Les criminels doivent savoir qu’ils vont être arrêtés et condamnés pour dissuader d’autres vocations.

Mondafrique. Vous avez à plusieurs reprises soutenu l’intervention française en Centrafrique. Étant donné le passé colonial de la France et le symbole qu’il charrie, une intervention plus internationale ou africaine n’aurait pas été plus efficace ?

M.Z. J’essaye d’être le plus cohérent possible. Avant l’été 2013, j’ai passé trois mois en France afin de plaider pour une intervention française avec pour objectif d’arrêter les massacres le plus rapidement possible. Dans le même temps je demandais à ce que la France défende auprès des Nations Unies une intervention. Je n’ai pas changé d’avis. Je salue le travail de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine) et de l’armée française. Je tiens à les remercier parce que sans eux la situation était catastrophique. L’internationalisation des forces en présence est en cours je m’en réjouis. Nous avons besoin d’aide pas seulement pour la pacification mais aussi pour la construction de l’Etat.

Mondafrique. Beaucoup d’associations ou de militants anticolonialistes critiquent le retour de l’armée française dans les anciennes colonies. Selon eux, la France intervient aussi par intérêt économique et géostratégique, est-ce que cela vous inquiète pour la suite ?

M.Z. La France attend la paix, elle est dans la communauté internationale et c’est le pays qui connaît le mieux l’Afrique parmi les Etats du conseil de sécurité. Je rappelle souvent qu’en 1942, ce sont nos grands-parents qui sont partis de Bangui à pied pour aider à libérer la France. Cette solidarité s’est bâtie dans le sang et dans l’Histoire. Aujourd’hui, le président français perpétue cette tradition.

Sans aucun complexe, je remercie la France et les pays partenaires pour leurs efforts. L’Etat centrafricain est à genoux, nous n’arrivons même pas à payer son fonctionnement, lorsque d’autres arrivent à générer des ressources pour nous aider, il faut les remercier, c’est une question de bon sens. Nous n’arrivions pas à nous occuper de notre sécurité, il faut être reconnaissant avant de spéculer.

Mondafrique. Sur le terrain, un sentiment anti français semble tout de même s’être développé. Comment l’expliquez-vous ?

M.Z. Le contraire aurait été étonnant. Beaucoup de choses s’expliquent par l’émotion. Quand les forces françaises sont arrivées, elles avaient d’abord un plan qui visait à désarmer la Séléka, mais deux jours avant l’intervention il y a eu l’attaque de la ville de Bangui par les Anti-balaka. Ils sont les invités surprise de cette crise et ont complètement changé la donne. En désarmant les Séléka, les forces françaises se sont rendues compte que les personnes de confession musulmane désarmées étaient ensuite lynchées. Ils ont dû prendre acte de cette situation et ont changé leur mode opératoire. Naturellement les communautés musulmanes ont ressenti ça comme une injustice. Pour eux, la France les laissait sans défense face aux Anti-balaka. Le sentiment anti français est né de cette situation. Mais attention, ça ne veut pas dire que la France a voulu offrir en holocauste les musulmans à des bandes meurtrières. Ce sentiment disparaitra lorsqu’un vrai désarmement sera effectif. On s’apercevra bien que la France n’avait aucun intérêt à favoriser un camp plutôt que l’autre.

Ensuite il faut aussi comprendre que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les milices bénéficient de réseaux d’influence et de propagande assez efficaces. Les Anti-balaka, soutenus par l’ancien président Bozizé ont des hommes et des femmes idéologues, des journalistes qui font croire que la RCA est chrétienne, que c’est une Nation homogène ou aryenne et que les autres, musulmans et étrangers, y compris les forces internationales,  doivent quitter le pays.

Mondafrique. Les massacres des milices Séléka et Anti-balaka ont créé une fracture confessionnelle très forte. Vous qui vous placez dans le champ politique, croyez-vous qu’une nation peut toujours être créée ?

M.Z. Cette fracture est artificielle. Quand je suis né, quand mon père est né, il y avait des musulmans. Lorsque l’on veut construire une nation on cherche à savoir ce que chacun peut apporter, on ne se préoccupe pas des croyances. L’opposition confessionnelle est née de l‘instrumentalisation par l’ancien président François Bozizé d’une frange de la jeunesse misérable et endoctrinée aux contre-valeurs d’ethnisme et de régionalisme. Il les a instrumentalisés avec l’aide de ses enfants et de ses proches. Quand une rébellion s’est constituée contre lui en décembre 2012, il a utilisé un vocabulaire défensif en expliquant que ses opposants étaient des islamistes. Ensuite les choses se sont empirées quand les forces Séleka, constituées de musulmans, ont commis des exactions. Puis les milices Anti-balaka ont commis d’horribles massacres de masse. C’est ça l’histoire, de l’artificiel qui a causé la vie de beaucoup d’hommes. Nous sommes persuadés de notre côté que nous pouvons vite faire oublier cela notamment en travaillant pour favoriser le retour de nos frères musulmans exilés.

Mondafrique. François Bozizé continue à avoir une base populaire importante et supporte financièrement les milices Anti-balaka. Comment faire pour contrer son influence ?

M.Z. C’est vrai qu’il y a un tel endoctrinement que ça va être difficile. Une fois qu’ils seront désarmés il faudra travailler à leur démontrer que leurs idées sont sans issue. S’ils pensent que leurs idées hégémoniques sont les bonnes, nous devons fonctionner comme une démocratie et les laisser aller aux élections. S’ils sont majoritaires et bien ils géreront un pays sans étrangers c’est à dire un pays composé uniquement de chrétiens centrafricains. Ce que je leur dénie c’est le droit de tuer impunément, pas d’exprimer des idées, aussi excluantes soient-elles.

Mondafrique. Un autre des maux qui touchent la Centrafrique est sans aucun doute la prédation des autres pays, voisins et internationaux avec en tête le Tchad et l’Afrique du Sud. Ce sera le défi du prochain chef de l’Etat, comment le pays peut-il sortir de cet engrenage ?

M.Z. C’est une question de responsabilité. Sans volonté politique ou capacité de gérer en paix un pays en comptant sur sa propre population, il ne faut pas aller dans les eaux du pouvoir, c’est ça le fond du problème. Moi je ne veux pas continuer à chercher les responsabilités à l’extérieur. C’est parce que nous n’arrivons pas à dicter la loi chez nous que d’autres viennent le faire. Il faut arrêter de toujours expliquer notre malheur uniquement en regardant les autres. Depuis notre indépendance nous avons échoué à construire un Etat et un sentiment de citoyenneté, c’est pour ça que nous continuons à nous massacrer sur des concepts de communautés et de religions.

Prenons l’exemple du Tchad et sa relation avec ses voisins. Il y a vingt ans le Tchad était un néant, il s’est reconstruit et aujourd’hui il définit sa sécurité sur des principes régionaux. N’Djamena essaye de peser sur les situations internes d’autres pays pour défendre ses intérêts, je trouve que c’est une démarche qui n’est pas inhabituelle dans les relations internationales. C’est aux Centrafricains de faire la même chose : reconstruisons notre Etat, notre économie, notre armée. Sans provocation, nous devons nous relever pour jouer dans la même division que les autres. Je n’ai jamais vu qu’un Etat faible revendique des droits. Il faut être naïf pour le penser.

Nous avons un pays naturellement riche avec de l’uranium, des diamants, de la pluie, il faut faire preuve de constance dans l’effort. Nous traversons notre purgatoire, tous nos défauts sont révélés, maintenant il faut faire l’inverse et durablement.

Mondafrique. La présidente de transition, Catherine Samba-Panza, a été choisie pour superviser la pacification et préparer le terrain pour des élections présidentielles début 2015. Etant donné la situation sécuritaire est-ce qu’à votre avis le calendrier peut-être respecté ?

M.Z. Ce n’est pas à moi de me prononcer, elle a reçu un mandat du Conseil de transition, si pour une raison ou pour une autre elle ne peut pas tenir ce calendrier le Conseil se prononcera. Je pense qu’il est utile de laisser planer le doute là-dessus tant qu’il n’y a pas la paix et la stabilité. Il y a encore deux millions de nos frères qui sont réfugiés à l’extérieur. Il ne faut pas comparer la situation avec le Mali où les élections ont été faites très rapidement depuis les camps de réfugiés. Chez nous c’est différent, ceux qui sont partis ce sont pour beaucoup des musulmans et faire les élections sans eux ça ressemblerait à une reconnaissance du fait accompli du communautarisme. Il faut d’abord faire en sorte qu’ils reviennent en Centrafrique.

Par ailleurs, il y a un problème éthique, les élections sont là pour permettre aux citoyens de choisir leurs dirigeants, mais ils sont dans une situation tellement difficile que le moment ne semble pas idéal. Il faut d’abord leur garantir un minimum de sécurité avant de faire des plans sur la comète avec un calendrier électoral.

Mondafrique. Alors que vous êtes fortement pressenti pour être favori aux prochaines présidentielles, vos détracteurs vous reprochent d’avoir fait partie du système qui a échoué en occupant le poste de Premier ministre du président Patassé, que répondez-vous à ces critiques ?

M.Z. Je les comprends. Je ne nie pas être un citoyen qui a occupé des postes de responsabilité jusqu’à être premier ministre. Il serait trop facile de dire que je suis blanc comme neige dans tout ce qui arrive. Je refuse de dire que tout ce qui est mauvais est d’un côté et que je fais partie du bien. Pour moi ce type de raisonnements qui interdit de faire le bilan des erreurs nous maintient dans une mauvaise posture. Je suis Centrafricain, c’est un pays que j’aime par dessus tout, qui m’a tout donné à moi qui suis fils de paysan. Je suis là où j’en suis grâce à l’école publique. Mon pays va mal c’est une évidence et j’ai été aux affaires, donc peut être que moi aussi je n’ai pas fait ce qu’il fallait faire.

Je suis militant depuis mes 22 ans – à l’époque je luttais contre Bokassa contre son empire et pour la république. Je n’ai jamais été président mais quand même je suis conscient que nous devons tous, moi le premier, accepter de regarder en face nos responsabilités avant de se mettre au travail pour reconstruire le pays.