Centrafrique, le conflit libyen s’invite à Bangui

Le conflit entre la Russie et la Turquie ne concerne pas uniquement la Syrie, la Libye et l’Azerbaïdjan. Il prend aussi des formes plus diplomatiques, comme l’illustre le grave incident dont viennent de faire les frais des diplomates libyens à Bangui.

Six diplomates libyens, dont celui qui était pressenti pour devenir ambassadeur en Centrafrique, ont été interpellés, vendredi 23 octobre, dès leur arrivée à l’aéroport Mpoko de Bangui. Leur faute était d’avoir été nommés par le gouvernement d’union nationale légal de Tripoli, soutenu par l’ONU et la Turquie.

La Russie, avec les mercenaires du groupe Wagner, soutient le Maréchal Haftar en conflit avec Tripoli et qui se trouve actuellement en difficulté. La Russie ne pouvait accepter une reprise des relations diplomatiques avec Tripoli, ouvrant ainsi la porte à une influence turque en Centrafrique.

Une grande première diplomatique

On savait que l’État centrafricain était  devenu quasiment fictif. Les relations avec l’étranger ne passent plus par le ministère des Affaires étrangères, devenu une coquille vide, mais directement par la Présidence et le filtre des conseillers russes du Président Touadera. Lors de sa récente tournée en Europe, le Président Touadera a fait l’économie des diplomates des affaires étrangères et même de la ministre.

L’épisode de vendredi est l’illustration du rôle désormais prééminent de la Présidence et de ses conseillers russes. A peine débarqués du vol Royal Air Maroc, les six diplomates libyens ont été interpellés, leurs passeports diplomatiques confisqués, et ils ont été conduits en résidence surveillée sous bonne garde. Pourtant, il semble bien que leur arrivée était annoncée selon les usages diplomatiques. Les conventions internationales, notamment la convention de Vienne de 1969 relative aux relations diplomatiques, ont été perdues de vue en Centrafrique où l’état de nature remplace, peu à peu, l’état de droit.

Les diplomates libyens devraient probablement être expulsés dans les prochains jours. On peut comprendre la surprise des autorités de Tripoli et encore davantage celle de l’ambassadeur proposé à l’agrément, qui était jadis très apprécié à Bangui, notamment par le Premier ministre de l’ère Bozizé, Faustin Archange Touadera.

Une crise diplomatique par procuration

Car Issa Omar Baruni, qui a été intercepté à l’aéroport de Bangui, est loin d’être un inconnu en Centrafrique. Il y était ambassadeur de la Libye jusqu’au début de la crise, en 2012, et la prise du pouvoir par l’ ex Seleka. Il était proche du régime de Bozizé, de la Primature dirigée par Faustin-Archange Touadera et de plusieurs ministres influents, comme Fidèle Gouandjika.

Cet ambassadeur avait joué un rôle majeur dans le financement libyen et la restauration de l’Hôtel Plaza Ledger, le seul palace de Centrafrique. Un chargé d’affaires a.i. avait tenu l’ambassade, mais coupé de son pays en pleine guerre civile. Dès l’ arrivée des conseillers et militaires russes, en 2018, ce chargé d’affaires a.i. a rapidement fait allégeance au Maréchal Haftar. Sans surprise, il a été limogé par Tripoli en décembre 2019, mais il est resté sur place, notamment pour gérer les relations avec l’Hôtel Plazza Ledger toujours dirigé par un Libyen. Sous l’influence de cet ex chargé d’ affaires ainsi que des conseillers du président Touadera, les propositions de nomination d’un nouvel ambassadeur par Tripoli ont été systématiquement rejetées. Plusieurs diplomates envoyés par Tripoli ont également été refoulés de l’aéroport de Bangui et les relations diplomatiques avec Tripoli rompues de facto.

Il sera intéressant de connaître la position de l’ONU qui reconnaît le gouvernement légal de Tripoli et soutient parallèlement le régime du Président Touadera qui a pris fait et cause pour le Maréchal Haftar.

Le groupe Wagner à la manoeuvre

Les mercenaires du groupe Wagner ont largement participé à l’offensive des militaires de l’Armée nationale libyenne du Maréchal Haftar. Ils ont aussi été mis en déroute par la coalition défendant le gouvernement d’union nationale reconnu par l’ONU, avec l’appui décisif des centaines de mercenaires que la Turquie du Président Erdogan avait projetés autour de Tripoli. Des dizaines de ces mercenaires du groupe Wagner ont récemment été redéployés en Centrafrique, notamment dans la base russe de Berengo. Plusieurs centaines voire milliers de mercenaires du groupe Wagner sont désormais chez eux en Centrafrique. On devine leur totale opposition à une implantation d’ une ambassade libyenne sous l’autorité de Tripoli. Evidemment, leur principale crainte est de voir la Turquie profiter de cette ambassade pour s’implanter dans le pays, notamment par ses services de renseignement, et nouer des relations fraternelles avec les milieux musulmans, créant ainsi des mouvements de soutien à la Turquie qui pourraient vite devenir hostiles à la présence russe.

Le Président Touadera vient, une fois de plus, de s’aligner sur la Russie pour les relations internationales de son pays. Cette fois-ci, il a peut être sous-estimé l’influence de Recep Tayyip Erdogan dans les milieux islamistes, y compris au sein de certains mouvements rebelles du sud-est et du nord-ouest.

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