Alors que tous les regards sont tournés vers la guerre en Ukraine, la situation en Libye s’enlise. Ces derniers jours ont été marqués par l’arrêt de la production de pétrole à l’Est de la Libye et les accusations de sévices commises par les milices armées à l’Ouest dupays.
La guerre de 2011 n’est toujours pas soldée. Depuis 11 longues années maintenant, le nom de ce pays se conjugue avec le mot chaos. On ne compte plus les sommets organisés pour tenter de recoudre ce que l’OTAN a déchiré. On ne compte plus les envoyés spéciaux des Nations Unies qui ont échoué à remplir leur mission. Aujourd’hui, le pays a renoué avec les gouvernements bicéphales. En prime, les milices ont bloqué les sites pétroliers alors que ce marché est déjà en tension…
L’impuissance de Washington
Le 25 avril la compagnie pétrolière (NOC) annonçait que des dégâts causés par des affrontements armés avaient endommagés de nombreux réservoirs de stockage sur le site de Zawiya. C’est Khalifa Haftar, maitre de l’Est libyen, et ses milices qui sont à l’origine de ces perturbations, sans doute pour complaire à l’allié russe du bon maréchal qui cherche à provoquer une vraie pénurie sur le marché pétrolier.
Une semaine auparavant des mouvements de manifestants avaient contraint l’entreprise publique à fermer d’autres terminaux. Résultats, 40% de la production nationale en moins, ce qui conduit à augmenter encore les cours mondiaux dans un contexte déjà fortement haussier depuis le début de la guerre en Ukraine.
Les économies européennes n’ont pas besoin de ce nouveau coup dur alors que 80% de l’or noir libyen est exporté vers l’Europe.
Si Bruxelles est restée étonnement muette sur le sujet, les Etats-Unis n’ont, eux, pas tarder à réagir. Richard Norland, l’ambassadeur américain à Tripoli, a déclaré dans un communiqué : « Les Etats-Unis sont profondément préoccupés par la poursuite de la fermeture qui prive les Libyens de revenus conséquents et contribue à la hausse des prix, entraînant des pannes d’électricité, des problèmes d’approvisionnement en eau et des pénuries de carburant ».
Plus que le sort des citoyens de l’ex Jamahiriya, ce qui préoccupe Washington c’est bien évidemment les répercussions sur l’économie mondiale. Le diplomate a donc exhorté les dirigeants libyens à mettre fin à ces blocages « immédiatement ». Une déclaration qui n’a eu aucun effet.
Que sont les élections devenues ?
Des perturbations, qui, au passage, arrivent à point nommé pour Moscou dans son bras de fer sur l’énergie avec les Européens. De là à imaginer que l’homme fort de l’Est libyen a donné un petit coup de pouce à ses soutiens russes et que la confrontation entre Washington et Moscou en Ukraine se joue aussi à Tripoli…
La Libye, pays stratégique à la fois par sa position géographique et par ses richesses énergétiques considérables est prise dans la toile d’araignée des ingérences extérieures qui exacerbent les tensions intérieures et aggravent la crise.
Ainsi une nouvelle fois, il y a deux gouvernements dans le pays. D’un côté Abdelhamid Dbeibah, reconnu par la communauté internationale mais dont la mission a expiré en décembre 2021. De l’autre, celui de Fathi Bahchagha, désigné par le parlement en mars 2022 et soutenu par le maréchal Haftar. Le Caire, la Russie et une partie des militaires algériens soutenant ce dernier, les Occidentaux soutenant le premier…
Les accusations d’Amnesty
L’Autorité de soutien à la stabilité, un important groupe armé créé financé par l’ancien chef du gouvernement libyen de Tripoli, Fayez al-Sarraj, en janvier 2021, a démenti jeudi les accusations « calomnieuses » portées la veille Amnesty international sur présumées violations des droits humains. L’ONG avait accusé mercredi cette milice basée à Tripoli de crimes et de graves violations des droits humains en toute impunité. « L’impunité généralisée encourage la milice de l’Autorité de soutien à la stabilité (SSA), financée par l’Etat, à se livrer à des homicides, des détentions arbitraires, des interceptions suivies par la détention arbitraire de personnes migrantes et réfugiées, des actes de torture, du travail forcé et d’autres violations choquantes des droits humains et crimes relevant du droit international », avait pointé l’ONG.
Cette milice est dirigée par « l’un des leaders de milices les plus puissants à Tripoli », Abdel Ghani al-Kikli, aussi appelé Gheniwa, nommé à ce poste « malgré un lourd passé de crimes de droit international et de graves violations », toujours selon Amnesty
Impasse politique
L’impasse politique est totale. Pourtant, il y a seulement quelques mois, en novembre 2021, Emmanuel Macron pensait avoir trouvé la porte de sortie. Après les sommets en France et en Allemagne, il avait convoqué une conférence à l’Elysée et avait plaidé « en faveur d’une résolution durable de la crise. » !
A cette occasion, le président français avait déclaré : « Nous réaffirmons notre attachement à la réussite du processus politique libyen, à la mise en œuvre pleine et entière de l’accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 et à la tenue des élections présidentielles et législatives le 24 décembre 2021… » A cette époque, seuls les grands naïfs croyaient que l’élection présidentielle se tiendrait à cette date. La suite a donné raison aux clairvoyants et la Libye a renoué avec le chaos et l’impasse, le Conseil de Sécurité n’arrivant même pas à s’entendre sur le nom d’un représentant du Secrétaire général dans le pays. L’actuelle chef de la mission des Nations Unies, Stéphanie Williams est au cœur d’un bras de fer entre Washington et Moscou.
Les armes venues d’Ukraine
Outre les questions internes et les ingérences extérieures un nouveau danger guette la Libye : l’afflux d’armes en provenance d’Ukraine. Les Occidentaux aident Kiev en lui faisant parvenir des milliards de dollars de matériels défensifs et offensifs. Comme le révélait CNN dès le 19 avril : « le risque, selon les responsables américains actuels et les analystes de la défense, est qu’à long terme, certaines de ces armes se retrouvent dans des endroits inattendus et entre les mains d’autres armées et milices. » Selon une source militaire, certaines se retrouveraient déjà dans les Balkans, or dès 2012, des armes détournées d’Albanie s’étaient retrouvées à Benghazi.
De quoi alimenter un peu plus la déstabilisation de la Libye et du Sahel…