Le dimanche 30 novembre à Dakar, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) doit choisir le successeur d’Abdou Diouf. Une bataille feutrée oppose la canadienne Michaëlle Jean, qui n’est pas dénuée de charme, et l’outsider mauricien, Jean Claude de l’Estrac, qui ne manque pas d’atouts dans sa campagne axée sur le développement économique
Jusqu’au sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui se tient du 28 au 30 novembre à Dakar, le rituel qui présidant à la nomination du secrétaire général de cette noble institution était assez simple. La France, qui est le plus gros contributeur de l’OIF, décidait du meilleur candidat, comme ce fut le cas pour le sortant, le sénégalais Abdou Diouf. Les pays membres approuvaient et la grand messse francophone était dite. Un peu court!
Ces derniers mois, la diplomatie française restait plus que directive. Cherchant à exfiltrer du pouvoir le chef d’Etat burkinabé, Blaise Campaoré, la France lui proposa la succession de Diouf; Peine perdue! Campaoré qui n’avait pas encoré été chassé par son peuple ne voulut rien entendre des sages conseils de l’Elysée et refusa la proposition de prendre en charge cette vieille dame très digne qu’est l’OIF. Depuis, François Hollande, qui sera présent à Dakar, a fait savoir que, naturellement, l’avenir de la Francophonie résidant dans les mains des chefs d’Etat présents à Dakar et que Paris ne pèsera pas sur le choix de l’heureux élu. On n’est pas obligé de le croire.
Lorsque le Premier rministre français, Manuel Valls, qui s’intéresse beaucoup à l’Afrique ces temps ci, s’est rendu au Niger et au Tchad la semaine denière, c’était pour reprendre la même antienne. La France n’a pas de candidat, que le meilleur gagne. « Avec la neutralité affichée par la France, on va assister à la nuit des longs couteaux à Dakar durant la nuit du samedi 29 au dimanche 30 », comment un vieux routier de la francophonie.
Quelle porte d’entrée vers la mondialisation?
La surprise de cette succession tient en l’offensive de charme de la candidate canadienne, Michaëlle Jean. Cette journaliste et féministe d’origine haitienne a réussi un joli parcours en devenant gouverneure générale d »Ottawa. Bonne élève, bonne communicante, elle a joué une carte de charme. Du genre: « Si l’organisation est prête à nommer une femme à sa tète, se serait un symbole de modernité très fort ». Il n’est pas certain que cette argumentation très occidentale et convenue porte vraiment en Afrique, confrontée à d’immenses problèmes de développement et de gouvernance. Hélas pour sa candidature, le gouvernement canadien, qui a instauré un régime draconien de visas pour les pays touchés par Ebola, a commis une lourde faute face à des partenaires africains très écorchés sur ces questions.
Plus concret et plus volontariste que la charmante Michaëlle, l’ancien ministre des Affaires Etrangères et de l’Industrie de l’île Maurice, Jean-Claude de l’Estrac, a centré, lui, sa campagne sur les dossiers économiques. Avec dans sa besace, les recettes mauriciennes éprouvées qui ont fait de ce confetti de l’Océan indien un laboratoire réussi de la mondialisation. Le PIB par habitant est passé en quelques années de 400 à 9000 dollars. Deuxième exemplarité de Maurice, la langue française se parle toujours couramment sur une île pourtant colonisé par les Anglais dès le début du XIX eme siècle.
L’expérience de Jean-Claude de l’Estrac à la tète, pendant quatre ans, d’une Fondation pour l’emploi et la formation, lui donne également l’image d’homme de terrain. « La francophonie sera économique ou ne sera pas », martèle cet ancien diplomate aux idées carrées. « L’industrialisation, clé du développement », selon lui, doit être préférée à l’exploitation des matières premières; l’emploi pour les jeunes générations est, ajoute-til, « le seul rempart contre les perspectives de guerre et de conflit ». « La nécessité du développement, garant de la démocratie, se pose de la même façon en Afrique qu’en Asie », confie ce descendant de français, de créoles et d’indiens. A l’image d’une île Maurice métissée, véritable porte d’entrée du Sud vers la véritable modernité.
Les autres candidats,moins en vue, font de la figuration. A l’exception de l’ambassadeur du Congo Brazzaville en France. Mai son âge, 79 ans, n’en fait guère un candidat d’avenir même s’il connait remarquablement le personnel politique français.
Vers un pré carré africain?
Un pré carré africain va-t-il se substituer au pré carré français qui dominait jusqu’à présent la francophonie? Les chefs d’Etat du continent noir, qui repésentent la moitié des membres de l’OIF, vont-ils imposer un candidat africain? A l’exception du préident ivoirien Ouattara, traditionnellement proche des Américians, qui penche pour la candidate canadienne, Michaëlle Jean, beaucoup disent préférer une solution africaine. Mais c’est souvent pour ajouter: « Mais que pense Paris? ».
Jusqu’à quel point pèseront les arguments sonnants et trébuchants? François Hollande et ses ministres trouvent déja que la facture militaire en Afrique est bien lourde pour les frèles équilibres budgétaires français. La diplomatie française milite, on le sait en faveur de la diminustion de sa contribution à l’OIF (soit 24 millions d’euros, un quart du budget). Du coup, le Canada, deuxième apporteur de fonds à l’OIF, met en avant son poids financier.
Espérons que l’idéal d’Aimé Césaire ne soit pas gangrené, en ces temps de crise, par quelques soucis de gros sous.