Au Sahel, un espace sécuritaire en pleine recomposition

Après les manœuvres militaires conjointes qu’ils ont organisées en mai 2024 à Tahoua dans le nord-ouest du Niger, les trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) s’apprêtent à lancer une force conjointe de 5000 hommes. Tirant les leçons de l’échec du G5 Sahel, l’AES compte sur ses propres moyens pour financer sa force qui aura vocation à intervenir directement dans l’ensemble de l’espace. La création de cette force annonce la recomposition de l’espace sécuritaire au Sahel, devenu depuis plusieurs années terre de compétitions géostratégiques en puissances internationales. 

Par Olivier Vallée,

Au début de l’année 2025, l’Alliance des États du Sahel (AES), fondée en septembre 2023, passe à un pallier supérieur de sa confédération en décidant de mobiliser une force militaire commune interarmes et partageant le renseignement. La croissance des actions de sabotage et de destruction par différents groupes armés non-étatiques (GANE) ainsi que l’interférence dans la guerre sahélienne de pays non africains, comme la France et l’Ukraine, explique cette réponse collective.

Il s’y ajoute la volonté de construire une réponse transnationale au défi sécuritaire devenu transfrontalier depuis plusieurs années. Cependant d’autres points sont également à prendre en compte pour mesurer l’urgence de cette option.

Une sécurité partagée 

Le 21 janvier 2025, le général Salifou Modi, ministre de la Défense nationale du Niger, annonce la mise en place de cette force dédiée conjointe de 5 000 hommes. « Nous sommes dans le même espace, nous faisons face aux mêmes menaces », a rappelé Salifou Modi, pour qui « mutualiser nos efforts était une nécessité » face à des groupes très mobiles, qui mènent des attaques depuis la « zone des trois frontières », un espace commun aux trois États, sans limite précise.

 

En couleurs jaunes, les pays de l’ex-G5 Sahel : Source : Actu Niger

Le général nigérien estimait que cette unité pourrait être opérationnelle « dans quelques semaines ». «Les forces militaires ne sont pas en position de force, elles ont donc besoin de mutualiser », pointe André Bourgeot, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste du Sahel. Il ajoute « 5 000 hommes, ce n’est pas énorme », oubliant que le G5 Sahel visait cet effectif et n’y est jamais parvenu.

Il faut souligner, dans l’élaboration d’un instrument militaire de l’AES, le rôle moteur du ministre Modi du Niger. La question ne relève pas directement du niveau présidentiel dans l’AES et parait s’inscrire dans une démarche pragmatique.

 Pour avoir été pendant plus de trois ans chef d’état-major général de son pays, après avoir occupé plusieurs postes militaires opérationnels, le ministre de la défense du Niger a plus d’expérience que ses pairs des deux autres pays de l’AES et n’est pas considéré comme le chantre sans réserves de Moscou.

Il conserve des relations correctes avec certains pays européens dont l’Allemagne où il avait été attaché de Défense à l’ambassade du Niger jusqu’à sa nomination comme chef d’état-major général en janvier 2020 par l’ex-président Mahamadou Issoufou. Le lancement en 2025 de la force conjointe n’est pas une aventure souverainiste, comme on le présente dans certains pays de la sous-région, mais une tentative de penser une architecture de défense et de sécurité commune, après l’échec de l’intervention internationale au Sahel.

La défaillance de l’Occident 

La confédération de l’AES est présentée en Occident comme l’alliance de juntes qui ont choisi de se séparer de la coalition occidentale en raison de leurs options anti-démocratiques. Le départ des contingents étrangers du Sahel et de la mission multidimensionnelle des Nations-Unies au Mali (MINUSMA) a concrétisé la divergence sur les conceptions sécuritaires entre le Sahel central et la coalition molle de l’Occident contre un terrorisme globalisé d’une manière abstraite.

De plus, les populations africaines, déçues par les mauvais résultats de l’intervention internationale dans la lutte antiterroriste, ne voulaient plus de la présence des militaires étrangers et surtout des Français.

Avec du recul, le renforcement des capacités nationales de défense, tant par les Américains que par la France, a été désordonné, sporadique et insuffisant. Au service de l’occupation militaire étrangère au Sahel, une cohorte de chercheurs civils et militaires ont décortiqué les mouvements concurrents du Djihad sans dessiner une ligne stratégique ni accepter un début de négociation avec les GANE.

En somme, comme deux observateurs chinois le notaient, la puissance majeure de l’OTAN n’a atteint aucun de ses objectifs au Sahel et n’a rien fait pour que les pays de l’AES puissent devenir autonomes en matière d’équipements comme de doctrines. Face à l’offensive sahélienne de l’Islam politique violent, accélérée par l’intervention de l’OTAN en Libye, le soutien de l’Occident aura été déficient et réticent à multilatéraliser les forces extérieures et les éléments autochtones.

La faillite du G 5 Sahel 

La France a considéré, jusqu’en 2022, qu’elle disposait du plus important contingent en Afrique avec 7 500 hommes dont la plus grande partie intervenait sur les frontières communes du Mali, du Niger et du Burkina.  Aujourd’hui, exception faite de Djibouti, l’ancienne puissance coloniale ne dispose plus que d’une base réduite au Gabon qu’elle devra gérer avec le pays hôte.

Quelques éléments ont également été maintenus à Abidjan, en Côte d’Ivoire, après la rétrocession du 43 è Bataillon d’infanterie de marine (BIM).

 Mais la force conjointe du Sahel qui emprunte beaucoup à ce qu’escomptait le G5 Sahel, résulte aussi de son cuisant échec à être effectif. Le G 5 Sahel est une organisation créée en 2014 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

Sans mandat de l’ONU, donc ne recevant pas du soutien financier des Nations Unies, la force conjointe du G5 Sahel, mise en place pour lutter contre les djihadistes dans la région, n’a pu mobiliser les ressources financières et humaines suffisantes pour atteindre ses objectifs et/ou les a concentrées dans les mains de la France.

Le tutorat international de Paris aura été de peu de poids et à terme insupportable, le Tchad refusant même d’accueillir les manifestations et les missions du G 5 Sahel. Mais il en faut plus pour décourager l’aventurisme de Paris. En dépit de sa décomposition, le G 5 Sahel, ce qui en reste, entend encore en 2025 mobiliser, malgré le départ des trois États de l’AES, un projet européen de 196,4 M€ confié à Expertise France, dans le cadre de la Facilité africaine de Paix.

Cet appui était destiné à la composante essentielle de la stratégie des pays du G5 Sahel dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilisation de la sous-région, à savoir la Force mort-née conjointe du G5 Sahel. Cette force était initialement composée de 8 bataillons (5 000 hommes), répartis sur trois « fuseaux » (Ouest, Centre et Est), qui correspondaient à des bandes de 50 km de part et d’autres des frontières communes.

Les différents retraits de la Force conjointe (Mali en mai 2022, Niger et Burkina Faso en novembre 2023) ont réduit cette alliance à deux pays : la Mauritanie et le Tchad. Le projet d’appui à la FCG5 se concentre désormais sur 4 bataillons :

  • En Mauritanie, les bataillons de N’Beiket Lahouach et Bassikounou
  • Au Tchad, les bataillons de Wour et de Kouri Bougoud.

Beaucoup d’argent va arriver, en principe, vers des unités destinées à une force conjointe fantôme tandis que le front côtier semble bien désarmé et que peut-être l’Union européenne aurait pu transférer ces fonds à l’AES dans le cadre d’une nouvelle stratégie anti-groupes armés non-étatiques ?

Tirant les enseignements de l’échec du G5 Sahel, l’AES a décidé de compter d’abord sur ses propres forces et moyens financiers pour avancer. Un pari audacieux qui demande des sacrifices que les Etats et les populations de la région sont prêts à consentir.