Des lance-missiles Stinger, capables d’abattre un avion de ligne, sont récupérés sur un groupe terroriste par l’armée algérienne près de la frontière tunisienne. Les Algériens, Tunisiens et Américains s’affolent. Retour sur une semaine houleuse.
Au Nord du pays, la neige, au Sud, le soleil. A 600 kilomètres d’Alger, c’est Guemmar, molle oasis enfoncée dans les sables aux confins du désert entre l’Algérie et la Tunisie. C’est ici qu’en 1991 avait eu lieu la première attaque islamiste contre des forces de sécurité, prélude à 10 ans de terrorisme et de guerre en Algérie. Mais nous sommes en 2016, et même si cette sale période est passée, côté algérien, l’armée est sur les dents, déployée sur les 1000 kilomètres de frontières qui la sépare de la Tunisie en troubles, mais également plus au Sud sur ce couloir de dunes et de roches qui délimite officiellement la Libye. En cause, les attaques de Daesh qui cherchent à prendre des villes de repli en prévision d’une nouvelle invasion occidentale en Libye et les stocks d’armements et groupes terroristes qui passent d’un pays à l’autre en frappant tout le monde, sans distinction de race, de nationalité ou de sexe. De la violence, du terrorisme, de la surveillance et des armes de tous calibres, une guerre semi-ouverte mais encore maitrisable. Sauf que ces derniers jours ont été particuliers.
Une semaine d’enfer
Le 7 mars, de violents affrontements entre armée tunisienne et groupes affiliés à Daesh font une cinquantaine de morts sur la frontière tuniso-libyenne à Ben Guerdane, désormais sous couvre-feu, « une attaque sans précédent » selon le président Beji Caïd Essebsi. Le 11 mars, le ministère de la défense algérien se fend d’un communiqué inquiétant, annonçant avoir récupéré la veille au soir à Guemmar, près de la frontière tunisienne, un important stock d’armes dont des fusils mitrailleurs, des lance-roquettes, des grenades et des ceintures explosives, rien de très inhabituel dans ces régions, sauf que sur ce listing de la mort, le communiqué parle de six missiles anti-aériens Stinger américains. Panique générale, ces lance-missiles ayant la capacité d’abattre des avions de lignes. C’est vendredi, l’équivalent du dimanche à New York mais branle-bas de combat, les Américains contactent l’armée algérienne et demandent des détails. Il n’y a pas de détails. Les Tunisiens, en collaboration permanente avec les Algériens, appellent aussi, de nombreux vols civils reliant régulièrement l’Algérie et la Tunisie. Bref, tout le monde appelle et pour les Américains en particulier, le Stinger est ultra-sensible, seule la CIA en avait donné aux Afghans pour faire la guerre aux Soviets et l’armée US ne les vend qu’à leurs alliés des pays du Golfe, au compte-gouttes, même si la Turquie, autre allié, possède une licence pour en fabriquer quelques unités sur son territoire. Juste de quoi fouetter une famille kurde en vol.
L’arme fatale
En octobre 2015, l’avion MH17 est abattu au-dessus de l’Ukraine, un vol commercial avec 300 personnes à bord. Vraisemblablement par un Stinger, bien que les forces pro-russes dans la région n’en n’aient pas, ce qui les disqualifieraient à priori. Mais plus loin, après Tintin au Congo, tout le monde se rappelle des Américains qui sont allés en Libye, entraînés dans une guerre par Sarkozy et son chef de guerre, le général major BHL. Après l’attaque, les Américains rentrent chez eux, du moins dans un pays voisin, mais s’inquiètent de la présence de Stinger en Libye, aux mains de milices incontrôlables. Car le Stinger évoque pour eux un très mauvais souvenir, l’un de leurs ambassadeurs, J. Christopher Sevens, a été tué à Benghazi lors d’un assaut à la roquette contre le consulat américain en 2012. Dépêché sur place en urgence pour tenter de racheter les 40 Stingers aux milices en guerre contre Kaddhafi, l’ambassadeur les récupère mais meurt juste après.
Freedom of speech
Alger, sur les hauteurs d’El Biar, l’ambassade américaine, à quelques mètres de la résidence privée du président Bouteflika, de laquelle elle est séparée par l’ambassade de Russie. Nous sommes en 2012, J. Christopher Stevens vient d’être tué à Benghazi et l’ambassadeur US en Algérie convoque plus ou moins des journalistes algériens pour une discussion en off. Pourquoi pas, même si pour des mesures de sécurité, on ne peut même pas garder son téléphone portable ou ses clés, que l’on doit laisser à l’entrée de l’ambassade bunker. Ce n’est pas trop grave, personne d’important à appeler. A l’intérieur, l’ambassadeur est triste et en même temps furieux. Café, thé, pas de Whisky et au début de la discussion, les journalistes algériens prennent les devants, le film d’un américano-israélien « L’innocence des Musulmans » fait scandale. Ce sombre navet de catégorie Z, décrit le Prophète Mohamed comme un pervers, obsédé sexuel, stupide, voire zoophile, et certains lient le meurtre de l’ambassadeur américain en Libye à une vengeance contre ce film. L’ambassadeur répond qu’il n’a personnellement rien à voir avec cette caricature et invoque le freedom of speech, les cinéastes et les médias sont libres aux Etats-Unis, personne ne peut leur dire ce qu’ils doivent faire. Puis on en vient à l’ordre du jour, l’ambassadeur est choqué de voir à la une des journaux algériens la photo de J. Christopher Stevens, mort et exhibé à la foule, un ami proche. Il s’indigne de tels procédés journalistiques qui font souffrir la famille du diplomate. Je réponds, en Anglais, freedom of speech. L’ambassadeur met fin à l’entretien, c’est terminé, nous sommes invités à regagner l’Algérie. Par chance, nous récupérons nos téléphones et nos clés, on peut rentrer chez nous. On l’apprendra plus tard, l’ambassadeur J. Christopher Stevens a été représentant spécial auprès du Conseil National de Transition libyen pendant la guerre civile et ce sont les milices de Benghazi qui l’ont tué qui étaient en possession des 40 Stinger que leur a donnés le Qatar, vendus avant au Qatar par les Américains et récupérés après par les Américains auprès des milices de Benghazi. La boucle est bouclée.
Stinger, un mot qui fait peur
Retour à mars 2016, tout rentre à peu dans l’ordre à la fin de cette semaine d’enfer. Après l’attaque du 7, l’opération du 10 et le communiqué du 11, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et vice-ministre de la défense algérien, se déplace le 13 mars dans la 4ème région militaire désertique d’Ouargla dont dépend Guemmar, et fait une inspection sur les frontières Sud Est, Tunisie et Libye, dont Guemmar. Il est passablement déprimé, commençant par rappeler l’attaque en Tunisie du début mars, « la première du genre depuis que la guerre civile a éclaté en Libye » [il y a déjà 5 ans], puis par une inquiétante phrase : « ce que notre région vit actuellement comme troubles et aggravation de la situation sécuritaire augure sans doute d’issues défavorables sur la sécurité et la stabilité de la région. » Lui qui a toujours été optimiste, surfant sur les victoires de l’armée et la stabilité retrouvée, annonce de sombres lendemains. Et les Stinger ? Pas un mot sur les Stinger. Est-ce la raison de sa déprime ? Non, en fait, renseignements pris par des sources proches de la défense, il s’agit d’une erreur, les soldats ayant récupéré le stock d’armes à Guemmar auraient confondu les Stinger avec 5 lance-missiles antichar chinois, les WPF89, et un russe, le FPO. Tous les mêmes. Ce qui censé nous rassurer, pas l’erreur militaire mais le type d’armement aux mains de l’ennemi. Un peu honteuse, la défense n’a pas voulu démentir officiellement mais aux Américains et aux Tunisiens, elle expliqué qu’il ne s’agissait pas de Stinger. Ouf. Plus de peur que de mal, une simple erreur d’appréciation et de communication. Mais la guerre est bien devant nous. 2016 s’annonce fatale comme un Stinger.
Chawki Amari