Terrorisme : après la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin?

Après Abidjan ce dimanche, Dakar et Cotounou, jusqu’à présent épargnés, pourraient faire l’objet, demain, d’attaques terroristes. 

Redoutée depuis des mois, une attaque terroriste de grande ampleur revendiquée par Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a finalement eu lieu dans la ville balnéaire de Grand-Bassam à quarante kilomètres d’Abidjan. A travers leurs réseaux tissés pas à pas dans ce pays d’influence française, les groupes terroristes sapent les pouvoirs en place, largement impuissants face à la menace.

Côte d’Ivoire, un désastre annoncé

Ce pays vient de subir l’attentat terroriste le plus important jamais mené sur son sol. On le redoutait depuis des mois. Les autorités ivoiriennes avaient déjà renforcé les mesures de surveillance des frontières à la suite de l’attaque perpétrée en juin 2015 contre les villes maliennes de Fakola et Misséni à une quinzaine de kilomètres de la Côte d’Ivoire.

A l’époque, plusieurs ressortissants ivoiriens avaient été repérés dans les rangs des groupes terroristes maliens. Depuis, l’inquiétude n’a cessé de croitre. Les attaques contre l’hôtel « le Splendid » et le café « Cappuccino » en plein cœur de Ouagadougou au Burkina Faso voisin ont finalement accéléré le rythme des mesures côté ivoirien. Les mises en garde ont fusé. Le journaliste Lemine Ould Salem, auteur du livre « Le Ben Laden du Sahara, sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar », avait notamment souligné que la capitale ivoirienne constituait une cible privilégiée pour les mouvements djihadistes à cause de la forte concentration de grands groupes français : Carrefour, Orange, CFAO, BNP, Société générale, Bolloré…

En 2015, la France avait par ailleurs décidé d’augmenter le nombre de ses soldats présents en Côte d’Ivoire. Enfin, Abidjan accueille depuis cette époque la base logistique de l’Opération Barkhane.

Commanditée contre les intérêts français, l’attaque de Grand-Bassam a donc confirmé la place de la Côte d’Ivoire comme cible privilégiée des terroristes au Sahel. Elle démontre par ailleurs les failles du dispositif sécuritaire aux abords des plages et des stations balnéaires très fréquentées notamment les week-end par les expatriés. Des dysfonctionnements persistants malgré l’antécédent de l’attentat commis par Daech sur la plage de Sousse en Tunisie en juin 2015 et les alertes répétées de ces derniers mois. « La menace était devenue imminente » confie une source militaire. En réponse, les services de renseignement français et leurs collègues ivoiriens avaient placé plusieurs mosquées d’Abidjan sous étroite surveillance. Sur facebook, certains posts annonçaient le jour même un « risque imminent d’attaque djihadiste » faisant mention de « 80 personnes de diverses nationalités » disséminées dans la capitale ou aux alentours. Enfin, autre signe de la persistance de la menace, la Côte d’Ivoire avait arrêté sur son sol, en septembre 2015, puis extradé vers le Mali sept djihadistes présumés.

Sénégal, des cibles françaises nombreuses

Autre bastion des intérêts français en Afrique, le Sénégal où nombre d’entreprises hexagonales ainsi qu’une importante diaspora ont élu domicile. Dès octobre 2015, les autorités sénégalaises ont intensifié la lutte antiterroriste en lançant un vaste coup de filet contre des cellules radicales présentes sur le territoire. A Kaolack dans le sud-est de Dakar, l’imam salafiste Alioune Badara Ndao suspecté de complicité avec Boko Haram a été interpellé par la gendarmerie. Plusieurs arrestations ont eu lieu dans la foulée. Autre source de danger, entre dix et trente sénégalais susceptibles de rentrer au bercail combattraient actuellement dans les rangs de l’Etat islamique en Libye. Enfin, alors que le pays bénéficie d’une image apaisée, il n’est pas épargné par la montée d’un islam wahhabite rigoriste.

En mai 2013, un rapport de la Cedeao (1) constatait : « Le Sénégal n’est pas totalement à l’abri d’une propagation de la menace djihadiste, ne serait-ce que sur le plan idéologique. ». De fait, depuis le milieu des années 1980, une myriade d’associations et d’organisations islamistes d’inspiration wahhabite ont fait leur apparition dans le pays sur fond de lutte d’influence entre l’Arabie saoudite et le Qatar en Afrique. Depuis les attentats de Bamako et Ouagadougou, la sécurité a également été renforcée dans les hôtels et les aéroports du pays.

Bénin, des caches d’armes découvertes 

Plongé dans l’ébullition des présidentielles, le Bénin n’est pas non plus à l’abri des menaces terroristes. Sa situation géographique le fragilise.  Frontalier du Nigéria à l’est, du Burkina Faso et du Niger au nord, le pays qui dispose d’un accès direct à la mer sur le Golfe de Guinée et constitue une base de repli privilégiée pour plusieurs groupes djihadistes. Des caches d’armes ont été découvertes sur le territoire ainsi que des véhicules utilisés par Boko Haram. Chaque jour, plusieurs centaines de milliers de personnes transitent entre le Bénin et le Nigéria à travers une frontière poreuse quasi incontrôlable gérée par des services de douane corrompus. « Forcément, des hommes de Boko Haram passent par le Bénin pour essaimer ailleurs dans la région » confie un ancien des renseignements miliaires béninois. « Mais nous n’avons pris toute la mesure de la menace que tardivement » admet-il.

Pourtant, les signes sont bien là. En 2015, 5 des 276 lycéennes de Chibok capturées par ce groupe avaient été séquestrées puis libérées à Cotonou. Sous la présidence de Goodluck Johnathan, l’ex chef de l’Etat du Nigéria, les autorités béninoises avaient par ailleurs été sommées de relâcher des ressortissants nigérians soupçonnés de financer ou d’appartenir à Boko Haram et présents au Bénin. Au nord du pays, notamment dans les régions de l’Atakora ou de l’Alibori où se concentre une grand partie de la population musulmane du pays, plusieurs sources humanitaires rapportent avoir vu de jeunes hommes opérant comme taxi-moto (« zem ») se voir proposer par des imams de partir s’entrainer au djihad au Nigéria et en Syrie moyennant rémunération. Dans la capitale, les hôtels ont renforcé leur sécurité à la suite des attentats de Bamako et Ouagadougou. Certaines églises, susceptibles d’être visées ont par ailleurs été placées sous surveillance tandis plusieurs restaurants ou cafés fréquentés par les expatriés ont connu une baisse importante de leur clientèle.

L’accès à la mer et aux installations pétrolières maritimes au large des côtes béninoises représente enfin un enjeu crucial. « Si des alliances se formaient entre terroristes et réseaux de piraterie actifs dans le Golfe de Guinée, les conséquences seraient catastrophiques » relève une source sécuritaire. Là encore, les intérêts français sont l’un de principaux coeur de cible. A Cotonou, plusieurs observateurs craignent que si Lionel Zinsou, le candidat soutenu par Paris, venait à emporter la présidence au terme du deuxième tour prévu le 20 mars, la menace augmenterait davantage.

Mali, la « pacification » française en cause

L’opération Serval déclenchée en janvier 2013 par la France pour contenir la progression des groupes terroristes vers Bamako devait, avait promis Laurent Fabius, ramener le Mali vers la paix civile. On en est loin. En novembre dernier, l’attentat contre l’hôtel Radisson a révélé qu’Aqmi et Al-Mourabitoune, les deux groupes les plus puissants du Mali à cette époque, bien qu’affaiblis, étaient capables de frapper au coeur de la capitale jusqu’alors relativement épargnée. Malgré le remplacement de Serval par l’opération « Barkhane » dédiée à la lutte contre le terrorisme au Sahel, de nouveaux groupes qui recrutent essentiellement parmis les populations subsahariennes ont par ailleurs émergé dans le centre et le sud du Mali. C’est le cas du Front de libération du Macina lié au chef du groupe Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, et très majoritairement composé de Maliens (essentiellement des Peuls), et de la katiba Khalid Ibn Walid (« Ansar Eddine Sud ») qui compte des combattants maliens, ivoiriens ou burkinabè. Or, ces derniers entretiennent des continuités familiales au delà des frontières artificielles du Mali, au Sénégal, au Niger, au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire