Pour son quinzième voyage officiel en Afrique depuis 2003, le président turc Racep Tayyip Erdogan, a choisi de se rendre du 17 au 21 octobre en Angola, au Togo et au Nigeria. Enjeu de cette tournée : consolider l’offensive africaine de la Turquie et préparer le troisième sommet Afrique-Turquie prévu en décembre prochain.
A trop regarder vers la Chine et la Russie, on en vient à sous-estimer la très forte progression diplomatique et économique accomplie ces dix dernières années par la Turquie en Afrique.
43 ambassades en Afrique
Après avoir choisi le nord et l’est du continent comme portée d’entrée, Ankara étend désormais ses tentacules sur le Centre, l’Ouest et même l’Afrique australe. L’itinéraire du président turc pour cette dernière tournée africaine (Angola, Togo, Nigeria) traduit bien la volonté d’une offensive diplomatique sans frontières. Avec 43 ambassades actuellement en Afrique contre seulement 12 en 2008, la Turquie possède un des réseaux diplomatiques le plus dense sur le continent où elle a progressé par petits cercles concentriques.
Ce furent d’abord les pays à forte tradition musulmane (Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Tchad) qui virent l’implantation des écoles turques et des ONG de bienfaisance. La stratégie turque de conquête de l’Afrique a ensuite privilégié les relations économiques en misant sur des pays comme l’Ethiopie, le Nigeria, la République démocratique du Congo (RDC) qui ne répondent pas au critère de la préférence religieuse. Du BPT à l’hôtellerie, en passant par les mines, l’agro-alimentaire, l’import-Export et même le secteur de la santé, les investissements turcs en Afrique sont passés de quelques millions de dollars en 2003 à plus de 6,5 milliards de dollars en 2020.
Conscient des difficultés économiques des Etats africains, Ankara a exhorté ses entreprises à accepter la construction de nombreuses infrastructures de grand standing dans le cadre du partenariat public-privé (PPP). On pourra citer dans dans cette catégorie, le Centre de conférences international de Diamnadio et l’Aéroport international Blaise Diagne de Dakar au Sénégal ; l’aéroport international Diori Hamani et la tour du ministère des Finances au Niger.
Tournant militaire
Alors qu’ils n’étaient que de 5,3 milliards de dollars en 2003, les échanges économiques entre l’Afrique et la Turquie ont atteint près de 25 milliards de dollars en 2020.Un autre signe de la montée en puissance de la présence turque sur le continent se révèle à travers la soixantaine de liaisons aériennes assurées par Turkish Airlines entre Istanbul, la capitale économique de la Turquie, et les villes africaines.
Erdogan ne compte pas en rester sur cette forte progression économique et diplomatique de son pays sur les terres africaines. Profitant de la brèche ouverte par son engagement libyen contre le maréchal Khalifa Aftar, la Turquie entend désormais mettre la coopération militaire avec l’Afrique dans son escarcelle. Sur un continent confronté à des défis sécuritaires du Nord au Sud, d’Est en Ouest, la démarche ne peut que prospérer. Outre les commandes militaires classiques (chars de combats, armes lourdes et légères, uniformes), Ankara veut surtout vendre ses drones aux armées africaines. Pour les pays africains, la technologie turque en matière de drones offre l’avantage d’être moins chère et surtout plus accessible.
« L’arrogance coloniale » de Macron
Personne n’imagine Erdogan poser le respect des droits de l’homme ou la démocratie comme préalable à la vente de ses drones aux Etats africains, tant qu’ils remplissent les critères de solvabilité. Le président turc devrait profiter d’une conjoncture favorable pour le tournant militaire des relations entre la Turquie et l’Afrique. En effet, déçus par les résultats de leur partenariat militaire avec leurs alliés traditionnels (Union européenne, France, Etats-Unis), de nombreux pays africains recherchent de nouvelles alliances.
La Centrafrique et le Mali ont ainsi choisi de contracter avec la société privée russe de sécurité Wagner. D’autres Etats africains pourraient, de leur côté, prendre le chemin d’Ankara pour la formation, l’équipement et l’entraînement de leurs armées. En conflit ouvert avec son homologue français Macron qu’il accuse « d’arrogance coloniale », Erdogan y verrait une forme de revanche.