Le sud libyen reste déchiré par les affrontements entre tribus et milices armées pour le contrôle des richesses pétrolières.
La situation est particulièrement explosive dans les zones du sud du pays, véritable no man’s land frontalier du Niger, du Tchad et de l’Algérie, aux confins du Sahel. A la présence de mouvements terroristes repliés dans cette région s’ajoute une bataille sanglante opposant Touaregs et Toubous dans l’indifférence générale.
Installées sur ces terres où elles cohabitent depuis la signature d’un accord de paix à la fin du XIXe siècle, ces deux tribus nomades se disputent aujourd’hui la sécurisation des gisements pétroliers et le contrôle des trafics dans la région. Ravivées par la chute du dictateur Mouammar Kadhafi qui a précipité le pays aux mains des milices armées, les tensions sont montées en flèche lorsque les Touaregs ont accusé les Toubous en septembre 2014 d’avoir mis en place un trafic d’essence dans la ville d’Oubari, majoritairement peuplée de Touaregs. Ce à quoi les Toubous ont répliqué par de violentes attaques.
Un conflit instrumentalisé
Les racines des affrontements sont cependant plus profondes. Les Touaregs voient d’un mauvais œil l’afflux important dans leur pré carré de Toubous venus en grand nombre du Niger et du Tchad depuis le renversement de Kadhafi. Entrés en compétition pour le contrôle sécuritaire des gisements pétroliers et des nombreux trafics dans la région, les représentants des deux tribus se livrent une intense bataille sur le terrain et dans les médias. Tandis que les Touaregs, choyés du temps de Kadhafi, exigent le départ de ceux qu’ils qualifient de « mercenaires », les Toubous, tenus à la marge du pouvoir sous l’ère du « Guide », s’affichent comme les alliés de l’Occident en dénonçant les liens entre les Touaregs et les terroristes qui opèrent dans la zone.
Devenu violent, le conflit fait désormais l’objet d’une instrumentalisation par les différents clans qui se partagent le pays et les puissances étrangères qui souhaitent préserver leurs intérêts dans la zone.
Après la chute de Kadhafi, la tribu des Zintanis installée au nord ouest du pays et aux prises avec les groupes islamistes, s’est emparée des sites pétroliers des bassins de Mourzouk et Ghadamès grâce à une alliance formée avec les Toubous. En échange de ce soutien, les Zintanis accordent des avantages aux Toubous, comme l’accès à l’aéroport pétrolier de Sharara à 50 kilomètres d’Oubari, au grand dam des touaregs qui se sentent concurrencés sur leurs propres terres.
La guerre civile qui éclate en 2014 entre les tribus soutenant le gouvernement de Tobrouk reconnu par la communauté internationale et celles alliées au gouvernement de Tripoli dominé par les islamistes jette de l’huile sur le feu. Ralliés à la coalition militaire dirigée par le général Haftar, les Toubous affirment être la dernière ligne de défense contre une prise de pouvoir par « les islamistes » dans la zone sud. Depuis sa participation aux affrontements territoriaux entre la Libye au Tchad dans les années 1980, le général Haftar nourrit une forte proximité avec les tribus Toubous qui ont notamment aidé à organiser son exfiltration du pays permettant son exil vers les Etats-Unis. Les milices touaregs, autrefois protégées par Kadhafi, se rangent quant à elles du côté du gouvernement de Tripoli qui les aide a remettre la main sur le gisement de Sharara. Les puissances étrangères en quête d’influence tentent également de tirer leu épingle du jeu. C’est le cas du Qatar qui, en soutenant les milices touarègues, lutte sur le terrain libyen contre l’influence des Emirats arabes unis qui appuient les Toubous.
Dans un entretien à Mondafrique, Ibanakal Tourna, spécialiste des conflits au Sahel et chercheur à l’université Catholique de Louvain Laneuve en Belgique livre son point de vue sur la situation dans le sud libyen.
Mondafrique. Où en sont aujourd’hui les hostilités entre Toubous et Touaregs dans le sud libyen ?
Ibanakal Tourna. Jusqu’à présent, le conflit entre ces frères sahariens a fait plus de 400 morts, des centaines de blessés et des milliers de déplacés appartenant aux deux communautés. Les chemins de l’exil les ont menés vers Ghât, ville libyenne frontalière de l’Algérie, vers le Niger ou le Tchad, vers la Tunisie voisine, le Soudan ou encore l’Egypte. Ces migrations pour des raisons sécuritaires viennent s’ajouter au million de libyens déplacés depuis l’éclatement des conflits d’après la révolution entre les milices de Tripoli et de Tobrouk, conflits largement orchestré et entretenu par les deux gouvernements libyens actuels (celui de Tripoli et celui de Tobrouk) et leurs parlements.
Depuis le début du mois de juillet 2015, où un dixième cessez-le-feu a été rompu, des milliers familles du Fezzan ont pris les routes de l’exil, fuyant l’intensité des combats, qui ont fait dans la seule journée du 20 juillet plus de 150 morts.
On estime à environ 50 000 personnes le nombre de déplacés entre Sebha et Ghât. Sans parler de ceux qui viennent s’échouer dans la précarité à Agadez ou à Djanet sans aide ni assistance. Ils tentent de se réfugier dans des écoles, sur des terrains de foot ou dans des parcs. Vulnérables, ces populations civiles sont à la merci des criminels et des règlements de comptes incessants. Les viols et les enlèvements se sont multipliés depuis 2011. La situation humanitaire est catastrophique et les hôpitaux manquent de médicaments et de sang.
M. Comment s’organisent les soutiens des uns et des autres ?
I.T. Pour l’heure, les Toubous se sont unis aux anciennes tribus amies de Kadhafi et à des mercenaires soudanais et tchadiens pour attaquer les Touaregs à Oubari et Sebha. Ils recrutent tous azimuts y compris parmi les migrants qui tentent de traverser le Sahara libyen pour gagner l’Europe en leur promettant d’assurer leur transfert vers la terre promise. Les Toubous sont également approvisionnés en armes lourdes par Haftar et les Emirats Arabes Unis. Récemment, cet arsenal leu a permis de raser le quartier d’Atyori, dans la ville de Sebha, ainsi que les environs de l’aéroport et des zones résidentielles.
Dans la Libye post-révolution, entre 2011 et 2013, les Touaregs ont quant à eux payé au prix fort leur loyauté à Kadhafi lorsque les révolutionnaires libyens ont libéré le pays. Contraints et forcés d’abandonner l’armée de Kadhafi, ils se sont finalement ralliés, au gouvernement de Tripoli et aux vainqueurs de la révolution : les Misratis. Ces derniers détiennent les ports de cette zone. Riches et puissants, ce sont eux qui contrôlent aujourd’hui effectivement Tripoli et une partie de la Libye.
M. Outre les rivalités pour la sécurisation des gisements pétroliers, que savons-nous des trafics convoités dans cette zones ?
I.T. D’après mes informations, les frontières sont aujourd’hui en grande partie tenues par les chefs de milices Toubous Ali Sida et Barka Wardougou. Ces deux seigneurs de guerres originaires du Niger et du Tchad voisins sont aussi les chefs du plus grand cartel des drogues dures déversées en Libye, Egypte, Israel et l’Europe depuis plus d’un quart de siècle. En lien direct avec le chef d’Etat equato guinéen et les cartels americains, ils sont à la tête d’un des plus grands reseaux des trafiquants au monde.
Aujourd hui, à la faveur du chaos qui regne en Libye, ces deux hommes influents jouent la carte des chefs d’une minorité de Toubous qu’ils vendent a Tobrouk pour Haftar et en même temps aux Misratis comme de la chair a canon ! Ils monnayent par ailleurs le passage des frontières entre la Libye, le Soudan, le Niger, le Tchad au prix fort. Entre le 21 janvier 2013 et le 13 janvier 2016 plus de 750.000 migrants erytreens,soudanais, nigerians, congolais ont transités vers Mourzouk et Gatroun, leurs fiefs.
M. En l’absence d’un Etat fort en Libye, quel impact pourrait avoir ce conflit sur l’ensemble de cette région en proie à la menace terroriste ?
I.T. Le paradoxe de cette situation est que pour l’instant les Touaregs et les Toubous combattent ensemble aux côtés des deux armées libyennes pour tenter de contenir la menace terroriste. Mais une fois revenus chez eux au Sud (dans les villes de Sebha, Mourzouk et Oubari), les rivalités tribales refont surface. Les conflits entre Toubous et Touaregs reprennent alors sur fond d’insatiable appétit de pétrole et de pouvoir. S’estimant chez eux à Sebha et Oubari, les Touaregs considèrent qu’ils sont en légitime défense lorsqu’ils sont attaqués par des Toubous. Depuis des semaines, ils tentent de contenir les assauts meurtriers et répétés des Toubous sur leurs familles, leurs quartiers et leurs villes. Les Toubous tentent de se faire une place au soleil dans la « nouvelle Libye » qui émerge peu à peu.
Il ne fait aucun doute que ce conflit raisonnera dans tout le Sahara dans les semaines à venir si aucune solution n’est trouvée. Agresser un Touareg ou un Toubou, même en Libye, ne sera pas sans conséquence pour les ressortissants de ces communautés dans les autres Etats. Le conflit risque donc de s’étendre dans tous les pays où Touaregs et Toubous cohabitent : Niger et Tchad, notamment. Or il se trouve précisément que ces deux pays sont actuellement les clés de voute de la stabilité dans la zone et la base arrière de nombreux états qui cherchent à se positionner sur le marché international des matières premières.
Par ailleurs, les deux tribus Touaregs et Toubous sont parmi les groupes armés les plus puissants d’Afrique de l’Ouest, rompus aux combats dans des contextes sahariens extrêmes. Elles sont sans doute les seules à être potentiellement efficaces dans la lutte anti terroriste en Libye comme au Sahara. Le conflit qui les oppose pourrait embraser l’espace qu’elles sont pourtant précisément en mesure de libérer du terrorisme. Les états de la zone saharo-sahélienne sont actuellement fragilisés par les luttes contre Al Qaïda au Maghreb islamique et au Sahara, Al Mourabitoune, le Mujao et Boko Haram. Un conflit supplémentaire entre deux communautés fortement implantées sur leur territoire risquerait de plonger tout le Sahel dans le chaos. Enfin, il est urgent pour la communauté internationale d’intervenir afin d’empêcher les groupes terroristes et les trafiquant de renforcer les jonctions entre Daech et Boko Haram.