Djibouti : Omar Guelleh réprime, la France regarde ailleurs

Ce n’est ni au parlement, ni aux sièges des partis politiques qu’il faut chercher les opposants au président djiboutien Ismaël Omar Guelleh, l’homme qui règne sans partage sur Djibouti depuis 1999. Il y a une et unique adresse où on les retrouve : la tristement célèbre prison centrale de Gabode. On y croise dans l’enfer de ce pénitencier le Secrétaire général de l’Union nationale pour le salut (USN, coalition de l’opposition), Abdourahman Mohamed Guelleh, maire élu de Djibouti mais qui n’a jamais réussi à s’asseoir sur son fauteuil, l’ancien ministre Hamoud Abdi Souldan, jeté dans les geôles le 21 décembre 2015 malgré une grave blessure par balle.

A Gabode, on y trouve également des militants de base de l’opposition comme Zakaria Rirache Miguil qui partage la promiscuité carcérale avec des hauts fonctionnaires en rupture avec le régime tels que Mohamed Abdi Farah, conseiller du ministre de l’Intérieur, Chirdon Khaireh Chirdon, directeur des Sports au Secrétariat d’Etat à la jeunesse et au Sports ou encore Abdourahaman Houssein, cadre au ministère de la Santé.

Répression tous azimuts

Tous ont commis le même crime, celui d’avoir manifesté publiquement ou plus discrètement leur désaccord avec le pouvoir du président Guelleh, qui a encore gardé les réflexes de son passage à la tête des renseignements djiboutiens de 1977 à 1999, sous le règne de son oncle Hassan Gouled Aptidon. A examiner la liste des personnes détenues dans les commissariats de police, à la gendarmerie, à l’Académie de police de Nagad, à la prison civile de Nagode, la répression tous azimuts du pouvoir ne touche pas que les milieux politiques. Elle vise également à intimider les médias comme en témoignent la condamnation par le tribunal des flagrants délits de Djibouti du journaliste Kadar Abdi Ibrahim à deux de prison avec sur sursis le 19 janvier 2016 et la convocation du journaliste Mohamed Ibrahim Waiss.

Déterminé à réduire au silence toute voie dissonante, le pouvoir a par ailleurs suspendu le 11 janvier 2016 pour deux mois l’Aurore, l’organe d’information de l’opposition, accusé d’avoir inopportunément diffusé la photo d’une fillette de 7 ans décédée lors de la répression policière du rassemblement religieux du 21 décembre 2015. Ce jour-là 26 autres manifestants avaient trouvé la mort dans des circonstances qui n’ont fait l’objet d’aucune enquête. Comme souvent, le président Guelleh profite du climat de répression pour s’en prendre aux défenseurs des droits de l’homme, ses bêtes noires auxquelles il reproche de donner une mauvaise image de son régime. Pour avoir publié la liste nominative des personnes décédées suite à la répression du 21 décembre, Omar Ali Ewado, membre fondateur de la Ligue djiboutienne des droits de l’homme (LDDH), a écopé de trois mois de prison ferme et a aussitôt rejoint à la prison de Gabode, l’universitaire Abdo Daher Miguil.

Silence coupable

Alors qu’elle réagit habituellement pour beaucoup moins que cela, la communauté internationale préfère feindre d’ignorer la répression qui s’abat sur les 800.000 djiboutiens. Au nom des intérêts des uns et des autres, la démocratie et les droits de l’homme sont passés par pertes et profits. Ancienne puissance coloniale et premier partenaire du pays, la France ne veut pas se fâcher avec Ismaël Omar Guelleh. Elle le peut d’autant moins que son pays abrite la plus grande base militaire française à l’étranger (près de 1700 hommes).

Dans le contexte de la lutte sans merci contre Daesh en Irak et en Syrie, c’est un poste avancé stratégique pour l’armée française qui justifie donc qu’on ferme les yeux à Paris sur les atteintes aux droits de l’homme et à la mise aux pas des opposants. La France avait déjà tout fait pour ménager la susceptibilité du président Ismaël Omar Guelleh dans l’enquête sur la disparition en 1995 à Djibouti du juge français Bernard Borrel. La veuve du juge, Mme Elisabeth Borrel et son avocat Me Olivier Maurice ont toujours soutenu que le magistrat, en détachement à Djibouti, ne s’est pas suicidé mais qu’il a été victime d’un « crime d’Etat » impliquant l’actuel président Omar Guelleh alors chef de cabinet à la Présidence de la république. A l’appui de cette thèse, on souligne que l’Etat français n’a jamais accepté de déclassifier toutes les notes de renseignement consacrées à la disparition du juge Borrel.

Surfant sur le contexte international, le président Omar Guelleh a désormais revêtu l’uniforme de champion de la lutte contre le terrorisme. Il a d’ailleurs pris prétexte sur les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 20 novembre 2015 à Bamako pour décréter l’état d’urgence à Djibouti pour deux mois à compter du 24 novembre 2015. Une astuce efficace qui lui permet d’asseoir une répression implacable contre ses opposants politiques, la presse et la société civile sans risquer la moindre réprobation de la communauté internationale.