L’année 2024 sera une année record pour les élections autour du monde. Plus de 4 milliards d’individus sont appelés à voter sur tous les continents. L’Afrique ne fait pas exception : vingt pays concernant 346 millions de citoyens organisent des scrutins cette année, du Maghreb au Cap de Bonne Espérance.
Nous vous présentons les perspectives de ces scrutins à venir. Pour la plupart, ces élections n’ont aucun contenu démocratique et pervertissent l’image même de la démocratie. Et cela au profit d’autres formes d’organisations politiques. a prise de pouvoir par l’armée dans plusieurs pays (Mali, Niger, Guinée…etc), la force des structures tribales traditionnelles, la poussée des valeurs islamiques privilégiant la tradition sur la loi ou enfin l’image positive de Vladimir Poutine chez beaucoup de chefs d’état africains témoignent de la désaffection à l’égard des valeurs occidentales.
Les élections en Afrique qui seront vidées de leur sens de 2024 devraient favoriser une vague de fond populiste et anti occidentale dans tout le continent africain.
Mateo Gomez
Maghreb, des élections jouées d’avance
L’Algérie réalise son deuxième scrutin présidentiel depuis la fin de la longue ère Bouteflika, en 2019. Le Président Tebboune ne s’est pas encore représenté officiellement à l’élection, mais s’il venait à le faire, il gagnerait le scrutin de décembre sans trop de surprises, grâce au musèlement de l’opposition, une abstention massive et à la fraude massive que les autorités algériennes maitrisent parfaitement Sous réserve que les guerres entre les clans s’opposant au sien de l’institution militaire ne bouculent pas le processus annoncé de la reconduction du président algérien.
En Tunisie, des élections locales et régionales précéderont les présidentielles d’octobre. Le Président sortant Kaïs Saïed, malgré les difficultés économiques et diplomatiques que traverse la Tunisie, gagnera probablement le scrutin dans ce qui se présente de plus en plus une « algérianisation » de la Tunisie. a nouvelle Constitution de 2019 lui confère des pouvoirs immenses, l’opposition est réduite au silence.
Le discours anti occidental du Président et les subventions qu’il a créées, notamment celle en faveur de l’essence, lui ont donné une certaine popularité dans la population.
Sahel, les juntes militaires à la manoeuvre
En Mauritanie, des élections présidentielles sans suspens promettent la reconduite au pouvoir du Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani le 24 juin. Il bénéficie d’un bilan de réformes ambitieuses dans plusieurs domaines, mais aussi d’une opposition qui brille par son absence, la plupart des partis s’étant ralliés au pouvoir au cours du mandat 2019-2024, à l’exception de smouvements anti esclavagistes, les seuls à porter encore des valeurs progressistes dans ce pays marqué l’esclavage considéré comme un délit voici seulement une quinzaine d’années.
Au Mali, la fin du régime de transition et le transfert du pouvoir aux civils, prévus initialement pour le 4 février 2024, ont été finalement reportés sine die en septembre 2023 pour des “raisons techniques”, selon la junte. Et le budget alloué au scrutin n’apparaît nulle part dans le budget de l’année de 2024… Tenues ou pas, les élections n’auraient de toute façon pas été des plus libres. Cela fait presque un an maintenant que les putschistes préparent le terrain juridiquement pour se maintenir au pouvoir.
Au Burkina Faso, un scénario similaire semble se dessiner : les élections de fin de transition, prévues pour juillet de cette année, sont repoussées indéfiniment, le gouvernement citant la lutte contre les groupes jihadistes comme raison. Cependant, le capitaine Ibrahim Traoré, dit IB, putschiste au pouvoir, voit son emprise sur le pays faiblir et son isolement grandir…
Au Tchad, le Président Mahamat Déby, qui a hérité du poste de son père décédé brutalement en 2021 est certain de se succéder à lui-même dans un improbable régime militaire à coloration familiale. Et cela à l’issue d’un prétendu processus de transition prévu pour octobre prochain. En prenant pour la première fois une initiative politique, Mahamat Déby a nommé son grand opposant Succès Masra comme Premier ministre. Ce qui retire à ce derneir sa crédibilité dans l’opinion publique. Bien joué! Sauf pour la vitalité de la démocratie tchadienne qui déja n’avait guère d’existence
Afrique de l’Ouest, l’élection test au Sénégal
La démocratie sénégalaise, pourtant montrée en exemple, semble en danger. Le refus du Président sortant, Macky Sall, de se représenter pour le scrutin du 24 février ne fut finalement qu’une fausse bonne nouvelle: il semble vouloir imposer à tout prix son dauphin, Amadou Ba. Son principal opposant, Ousmane Sonko, est en prison, et une grande confusion juridique règne depuis des mois sur sa capacité à faire campagne et à se présenter.
En Guinée-Bissau, les élections présidentielles, sans date définie pour l’instant, s’annoncent incertaines: le Président actuel, Umaro Sissico, a illégalement dissous le parlement début décembre et barré l’entrée aux députés, dirigeant par décret. Il semble tenté par un scénario à la Sénégalaise pour empêcher toute candidature de son principal adversaire, Domingos Simões Pereira, le président du parlement.
Au Ghana, l’élection présidentielle du 7 septembre sera tout aussi libre que disputée: avec trois candidats majeurs en lice et un Président qui ne peut pas se représenter, la lutte pour le pouvoir s’annonce rude entre Mahamudu Bawumia, actuel vice-président et candidat du parti au pouvoir, John Dramani Mahama, ancien Président, et Alan John Kyerematen, ancien ministre du Commerce. Au cœur de la campagne, l’économie: le pays n’arrive pas à se tirer de la crise du COVID, avec notamment 40% d’inflation.
Le Togo est une démocratie d’opérette: le Président Faure Gnassingbé se fait réélire tranquillement depuis 2005, comme son père avant lui. Les élections parlementaires prévues pour début 2024 interviennent après un report qui a commodément repoussé les législatives au-delà des mandats parlementaires (fin 2023), laissant Gnassingbé seul au pouvoir. Ces élections promettent d’être à son goût.
À l’Est de l’Afrique, rien de nouveau
L’Etat non-reconnu du Somaliland, sur la corne de l’Afrique, tiendra des élections présidentielles en novembre. Le scrutin précédent, en 2017, avait été le premier du pays à être salué pour sa transparence, consacrant l’alternance. Mais initialement prévues pour septembre 2022, elles viennent d’être repoussées par la commission électorale de deux ans, faute de moyens. Le scénario de 2017 se reproduira-t-il? Il est pour l’instant trop tôt pour le savoir.
Au Rwanda, le Président Paul Kagamé, au pouvoir depuis 1994, est sûr de se faire réélire le 15 juillet. L’opposition est systématiquement empêchée de présenter des candidats. Seuls des partis mineurs peuvent en pratique présenter des candidatures, pour la bonne forme.
Aux Comores, les présidentielles pour le 14 de ce mois seront boycottées par les oppositions. Le Président sortant, Azali Assoumani, brigue un troisième mandat après avoir modifié la Constitution pour se le permettre. Il est accusé de museler l’opposition.
Il n’y a jamais eu d’élections au Soudan du Sud depuis la création du pays en 2011. Initialement prévues pour 2015, elles furent progressivement reportées jusqu’à… 2024 par le pouvoir. Aucune date n’est encore fixée et un énième report n’est pas à exclure.
Afrique Australe, les élections les plus libres
En Ile Maurice, des élections parlementaires qui sont traditionnellement libres mais plombées par l’argent et la corruption, décideront du nouveau premier ministre le 30 novembre, dans un pays ou les trois partis dominants sont tous de gauche. Il est impossible de prédire, pour l’instant, lequel sortira gagnant.
A Madagascar, où la Présidentielle aura été une farce électorale, les élections législatives prévues pour le premier trimestre 2024 suivent des élections présidentielles boycottées et contestées en novembre 2023 où le Président sortant, Andry Rajoelina, fut réélu. La liberté du scrutin à venir est douteuse.
Au Mozambique, le Président Filipe Nyusi, au pouvoir depuis 2015, ne peut plus se représenter aux élections générales prévues pour le 9 octobre. Mais peu importe l’identité de son dauphin, il gagnera très probablement: le parti FRELIMO, héritier de la guerilla, dirige le pays depuis l’indépendance en 1975. De plus, chaque scrutin passé a été marqué par les fraudes et l’intimidation.
En Namibie, une situation quelque peu similaire se reproduit, à l’exception du fait que les élections dans ce pays sont libres et équitables. Le Président Hage Geingob ne peut plus se représenter, mais sa dauphine, Netumbo Nandi-Ndaitwah, est sûre de remporter le scrutin (dont la date n’est pas encore fixée) sous l’égide de la SWAPO, ancien mouvement d’indépendance très populaire dans le pays.
Idem au Botswana, où le Parti Démocratique du Botswana (BDP) règne sans partage depuis les premières élections en 1965, depuis 57 ans. Pourtant, les élections sont globalement considérées comme libres. Le Président actuel, Mokgweetsi Masisi, élu en 2019, brigue un second mandat face à une opposition divisée.
Finalement, en Afrique du Sud, poids lourd de la région, le Congrès National Africain (ANC), au pouvoir depuis la fin de l’apartheid en 1994, tremble sur ses assises. Il est quasiment certain que l’ANC perdra la majorité absolue qu’il détient au parlement depuis 20 ans lors des élections générales prévues pour mai, les obligeant à envisager pour la première fois un gouvernement de coalition avec l’EFF (Combattants pour la Liberté Economique).
Avec quelle marge le parti va-t-il perdre? Suffisamment pour que l’opposition centriste de l’Alliance Démocratique puisse elle-même former un gouvernement de coalition? Probablement pas, la barre semble trop haute. Mais qui sait… Entre criminalité et crise énergétique, le parti au pouvoir n’a jamais été aussi déstabilisé.
Enfin une bonne nouvelle où un scrutin démocratique peut faire vaciller un pouvoir africain