Beny Steinmetz, millairdaire franco israélien, est soupçonné d’avoir voulu mettre la main sur la plus grosse réserve mondiale de fer en Guinée. Hélas pour lui, l’ex président Alpha Condé, parvenu au pouvoir en 2910, avait dénoncé l’accord passé par son prédécesseur, le général Lansana Conté. D’où le procès en appel qui a lieu depuis lundi à Genève, alors que l’homme d’affaires avait été précédemment condamné à cinq ans de prison en première instance.
L’homme d’affaires Frédéric Cilins, 59 ans, co-accusé, est le maillon faible de l’accusation dans ce dossier de corruption. Mis sur le gril pendant une journée au palais de justice de Genève, l’apporteur d’affaires n’a (presque) rien lâché. A aucun moment il n’a chargé le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz.
Par Ian Hamel, à Genève
Avant de relire ses notes pour rédiger l’article, il est conseillé de prendre un cachet d’aspirine. Tant de dates, de noms, de sociétés, de sommes d’argent, en centaines de mille ou en millions, ont été énumérés dans la salle A3 du palais de justice de Genève.
-« Madame Mamadie Touré était-elle présente le 1er décembre 2005 aux côtés du président guinéen Lansana Conté ? », demande la présidente du tribunal.
-« Non, elle n’y était pas », répond sans hésitation Frédéric Cilens.
En revanche, sa mémoire lui fait défaut lors d’une autre réunion quelques semaines plus tard, en janvier 2006 : « Je ne me souviens pas », reconnaît l’homme d’affaires.
Mamadie Touré, une femme quasi illettrée
En première instance, en janvier 2021, Frédéric Cilins a été condamné à trois ans et six mois de peine privative, ainsi qu’à un paiement de cinq millions de francs suisses, pour « corruption d’agents publics étrangers ». Debout pendant des heures, malgré des problèmes de dos, il a tenté d’expliquer les mœurs et coutumes dans le monde des affaires en Afrique. « On peut rigoler, mais c’est le marché local qui veut ça », lâche-t-il.
« Le marché », si on peut dire, contraindrait les hommes d’affaires à verser des millions à une jeune femme quasi illettrée et sans aucune activité professionnelle. Il est vrai qu’en devenant la maîtresse puis la quatrième épouse du vieux président Lansana Conté, au pouvoir de 1984 à sa mort en 2008, Mamadie Touré a pu se montrer utile.
Un backchich de 11,5 millions de $
En Afrique, Frédéric Cilins a démarré dans les couches-culottes et les produits pharmaceutiques avant de s’intéresser aux minerais. C’est surtout un apporteur d’affaires en Guinée. Il sait à quelles portes frapper. Notamment celle d’Ibrahima Sory Touré, fils d’un militaire proche du général Conté, qui lui présente ensuite sa sœur, la fameuse Mamadie.
Quand Beny Steinmetz s’intéresse aux gisements de fer de Simandou, il s’adresse logiquement aux trois intermédiaires locaux qui lui paraissent les plus efficaces, en particulier Frédéric Cilins. L’apporteur d’affaires va ainsi percevoir, apparemment tout à fait légalement, 11,5 millions de dollars de la part des entités liées au groupe Beny Steinmetz Group Resources (BSGR). Certes, c’est beaucoup d’argent pour un simple travail relationnel, mais la mise en exploitation de la plus grosse réserve mondiale de fer peut rapporter des milliards.
Commercialisation de poulets
Résultat, ce n’est pas Beny Steinmetz qui rémunère directement Mamadie Touré. Il peut, théoriquement, ne pas être au courant de la cuisine locale. Sur ce point Frédéric Cilins tient bon : il assume et ne met pas en cause le milliardaire franco-israélien. Pour justifier les sommes d’argent versées, Frédéric Cilins évoque une « responsabilité morale avec les partenaires locaux » qui vous ont rendu des services. Beny Steinmetz n’a-t-il pas obtenu en 2008 le droit d’exploiter les blocs 1 et 2 du gisement de fer de Simandou ?
Par ailleurs, l’homme d’affaires se serait associé avec Mamadie Touré et son entourage dans des projets de commercialiser de poulets et de sucre… Au tribunal de trier le vrai du faux.
Le plaidoyer de Beny Steinmetz
Frédéric Cilins ne lâche pas non plus Beny Steinmetz dans un volet autrement plus grave, lorsqu’en 2013 il part aux États-Unis tenter de convaincre la veuve de l’ancien président guinéen de détruire des documents compromettants. « Ce voyage ne s’est pas fait à la demande de Beny Steinmetz », assure-t-il. Et si, dans les enregistrements effectués par le FBI, on l’entend citer le nom du dirigeant de BSGR, c’est uniquement pour faire davantage pression sur Mamadie Touré. Le nom de Steinmetz impressionnerait davantage que celui de Cilins.
Quid des documents qu’il fallait détruire ? Selon l’homme d’affaires, après l’arrivée au pouvoir en Guinée d’Alpha Condé, une intense campagne de diffamation a été lancée contre BSGR afin de lui retirer ses concessions. Mamadie Touré, présentée comme une femme d’argent sans beaucoup de scrupules, aurait participé à cette opération.
Toutefois, il en faudra beaucoup plus pour réussir à convaincre le premier procureur Yves Bertossa. Certes, l’argent pour rémunérer Mamadie Touré est toujours passé par Frédéric Cilins. Mais celui-ci, par le plus grand des hasards, dans le même temps, recevait des subsides comparables de la part de BSGR.
C’est maintenant à Beny Steinmetz de passer au tourniquet. Ce sera l’objet de notre prochain article
L’incroyable bagarre judiciaire entre les milliardaires Beny Steinmetz et Georges Soros