L’Inde pilote le développement économique de l’île Maurice

Le superbe réseau de tramway a été réalisé grâce au milliard de dollars avancé par l’Inde qui a transformé l’Ile Maurice en véritable base arrière. Des millions de dollars ont été injectés, toujours par le gouvernement indien, pour une nouvelle piste d’atterrissage  à Agalega, l’archipel situé au nord-est de Madagascar qui pourrait voir le partenaire indien y organiser des grandes manoeuvres .

Le drapeau de l’Inde a été hissé aux côtés du quadricolore mauricien à Curepipe, la grande commune qui se trouve au centre de l’ile

Le drapeau de l’Inde a été hissé aux côtés du quadricolore mauricien, le dimanche 8 octobre, face à la station de tramway de Curepipe toute récente. Cette ville du Plateau central a renoué ce jour-là avec la voie ferrée, 66 ans après que le dernier train de passagers soit entré en gareElle a été reliéeau réseau de tramway qui a été réalisé grâce au milliard de dollarsavancé par la Grande péninsule. Les grandes lignes du projet baptisé « Metro Express » ont été finalisées lors de la visite du Premier ministre indien Narendra Modi dans l’île en 2015.

La Phase 2C, soit le tronçon entreCurepipe, Vacoaset Phoenix, a été inaugurée par le Premier ministre Pravind Jugnauth en présence de l’ambassadrice indienne Kottapally Nandini Singla. Dès lundi, une partie des 110 000 passagers des régions avoisinantes et des villages du Sud qui débarquent à Curepipe parautobus entiers ont pu rallier Port-Louis, voire Vacoas et Phoenix ainsi que les autres agglomérations urbaines que sont Quatre-Bornes, Rose-Hill et Beau-Bassin.Ils n’ont désormais plus à s’inquiéter des bouchons sur les grands axes routiers aux heures de pointe.

« C’est propre. Il y a l’air conditionné. C’est une autre histoire avec les autobus qui se transforment en véritables passoires en temps de pluie», confie Wazeera, la trentaine et qui achève ses études de droit 

Pravind Jugnauth, le Premier ministre mauricien
Les Jugnauth père; ‘ancien Premier ministre et Jugnauth fils, l’actuel Premier ministre dirigent des formations politiques à dominante indienne dans un pays qui reste sur le plan politique très communautaire

« Nous offrons aujourd’hui au public voyageur un service fiable, moderne et rapide. Sa qualité de vie sera amélioré, » s’est félicité le Premier ministre Pravind Jugnauth dimanche, alors qu’il a milité contre ce projet lors de la campagne pour les élections générales de 2014. Comme à l’inauguration du tronçon entre Port-Louis, Beau-Bassin et Rose-Hill en octobre 2019  ou encore du tronçon  entre Quatre-Bornes et Phoenix  en mai dernier, le Premier ministre a salué Narendra Modi, le chef très conservateur du  gouvernement indien, pour son soutien indéfectible pour ce chantier. En guise de gratitude envers l’Inde, une station portera le on de Mahatma Gandhi, un nom déjà donné à un collège voisin.

« Un nouveau cap a été franchi dans les relations entre l’Inde et l’Île Maurice, » a assuré le Premier ministre. L’ambassadrice indienne a mis l’accent pour la énième fois sur les « relations spéciales uniques » entre l’Inde et l’Île Maurice. Le tramway mauricien est un projet-phare de l’Inde en terre étrangèrea souligné Kottapally Nandini Singla. L’extension du réseau dans toute l’île est à l’étude, a enchaîné le ministre des Affaires étrangères et du Transport Alan Ganoo. Un plan directeur est en préparation, surtout que les prochaines élections générales sont prévues dans deux ans.

Ébène, le cyber village à capitaux indiens

Sur le trajet de Réduit, le tramway devra faire une halte à Ébène, le « cybervillage » où opèrent plusieurs sociétés d’externalisation et qui a vu le jour grâce à l’aide indienne voilà deux décennies. Lors de l’inauguration du tronçon reliant Phoenix à Quatre-Bornes il y a trois mois, Pravind Jugnauth a révélé que le tramway desservira également Côte-d’Or, en passant par Saint-Pierre,à partir de Réduit. Coût des travaux : 325 millions de dollars. L’Inde a fait un don de 25 millions de dollars et avancé le reste sous forme de prêt.

Situé au milieu des champs de canne à sucre, Côte-d’Or,se trouve, à l’instar de Saint-Pierre, dans la circonscription du Premier ministre. Le villageest le nouveau pôle de développement de l’île. Il abrite déjà le tout premier Centre omnisportsqui a accueilli les derniers Jeux des îles de l’océan Indien en juillet 2019. De nombreux projets ont d’ores et déjà été annoncés sur place. Ils vont d’un hôpital ayurvédique et homéopathique financé par l’Inde – et bénéficiant du soutien technique de l’OMS – à un laboratoire médical en passant par un hippodrome.

L’annonce du prêt de 300 millions de dollars pour Côte-d’Or a été faite par Kottapally Nandini Singla à l’occasion des 75 ans de l’indépendance de l’Inde en août dernierNarendra Modi avait évoqué ce coup de pouce lors d’une visioconférence en début d’année dans le cadre de l’inauguration de quatre projets d’infrastructures financés par l’Inde. L’Inde a déboursé plus d’un milliard de dollars américains en faveur de l’Île Maurice pour divers projets de développement, tels la construction de 956 logements sociaux, depuis 2016.

Un don de 353 millions de dollars obtenu cette année-là avec la révision surprise de l’accord de non-double imposition négociée par l’ancien ministre des Services financiers Roshi Bhadain. L’accord permettait à l’Inde de mettre un fin à l’évasion fiscale de certaines grosses entreprisesCette cagnotte devait servir à créer une nouvelle capitale administrative, baptisée « Heritage City ». Après la démission de Roshi Bhadain du gouvernement, la somme été réaffectée. Elle a servi au projet Metro Express ainsi qu’à la construction de la nouvelle Cour suprême et d’un nouvel hôpital ORL à Vacoas.

En 2017, l’Inde a accordé une nouvelle ligne de crédit de 500 millions de dollars à l’Île Maurice. Cette somme a servi au projet Metro Express, à construire de nouveaux logements sociaux, à mettre seize incinérateurs en service, à créer une ferme solaire à Henrietta, à lancer une Académie de police et un nouveau laboratoire pour la police scientifique. De nouveaux locaux pour les Archives et la Bibliothèque nationale ainsi que la réhabilitation du système de distribution d’eau font partie des projets financés par cette ligne de crédit. 

L’École nationale de l’administration a obtenu un don de 4,74 millions de dollars à l’occasion de la visite officielle de Pravind Jugnauth en Inde en 2017 en sa qualité de nouveau chef de gouvernement mauriciens, son paternel lui ayant cédé son siège. En tant que chef de file du parti majoritaire à l’Assemblée nationale, le tour de passe-passe a été vite joué. L’année dernière, une ligne de crédit de 100 millions de dollars et un don de 5 millions de dollars ont été alloués à l’Île Maurice pour le renforcement de sa sécurité maritime. Il s’agit de l’acquisition d’un nouvel avion de type Dornier – pour le transport de passagers et des missions de reconnaissance et d’un hélicoptère Dhruv pour la surveillance de la Zone économique exclusive et des opérations de sauvetage. 

200,6 millions de dollars ont été injectés par l’Inde dans la « modernisation » des infrastructures, à travers une nouvelle piste d’atterrissage et d’un quai en eau profonde, à Agalega. L’opposition accuse le gouvernement du clan Jugnauth de vouloir laisser l’archipel situé à 1 000 kilomètres de Port-Louis à l’armée et à la marine indienne. Pourtant, celles-ci ont déjà des entrées sur la base militaire de Diego Garcia à la faveur d’un rapprochement avec les États-Unis pour contrer l’influence chinoise dans la région.

Il y a trois mois, le Premier ministre a assuré à l’Assemblée nationale qu’Agalega n’est pas destiné à être une base militaire pour l’armée et la marine indienne. Répondant à une question du chef de l’opposition Xavier-Luc Duval – surtout dans le sillage de la publication de différents articles dans les médias internationaux quant aux ambitions militaires de l’Inde sur l’archipel -, il a rappelé que Maurice a sollicité l’aide de la Grande péninsule pour permettre un meilleur accès aérien et maritime dans l’archipel depuis 2005.

Ce n’est que dix ans plus tard, à l’occasion de la visite de Narendra Modi, qu’un protocole d’accord a été ratifié. Une nouvelle piste d’atterrissage de 3 km de long, couplée à une nouvelle tour de contrôle, un nouveau hangar et un nouveau terminal seront livrées d’ici juin 2023. Un nouveau port doté d’une jetée de 250 m de long en eau profonde sera prêt au plus tard en mai 2023. Les travaux ont pris du retard en raison d’une mauvaisemétéo durant les trois premiers mois de l’année.

Ces deux chantiers sont entièrement financés par l’Inde. « Ces travaux visent à protéger notre Zone économique exclusive, à réaliser des études hydrographiques et à lutter contre la piraterie, le terrorisme et le trafic de stupéfiants, entre autres », a maintenu Pravind Jugnauth. Le chef de l’opposition a émis des doutes quant à la vraie utilité de ces infrastructures qui, selon lui, dépasseraient les 319 millions de dollars « alors que Maurice ne dispose même pas d’un port de pêche ». Un port de pêche devait être réalisé par la Chine, mais l’Inde y aurait mis son veto. Le dernier gros chantier financé par la Chine est le Centre omnisports de Côte-d’Or.

« Nous avons une vision à long terme pour Agalega, bien différente du tandem Parti travailliste/Parti mauricien social-démocrate (dirigé par Navin Ramgoolam et Xavier-Luc Duval : NDLR). Au lieu de réparer la piste d’atterrissage qui ne pouvait accueillir qu’un Dornier ou un ATR-72, un Airbus A321 ou un Boeing 737-900 pourra désormais y atterrir. L’opposition est en train de d’attaquer l’Inde alors qu’elle devrait la remercier. Le tramway est financé à 50 % par l’Inde. L’opposition s’est tue en constatant que les Mauriciens ont bien accueilli ce projet », avait martelé Pravind Jugnauth.

« Deux immenses hangars sont construits. Vous dîtes que l’un d’eux peut héberger un Boeing 737-700, lequel est de même dimension qu’un Poseidon P-81, un patrouilleur maritime de l’armée de l’air indienne qui est doté de missiles anti-sous marin. Pourquoi des tunnels sont-ils construits sous la jetée ? Est-ce que tous ces travaux ne visent pas pour permettre à des troupes indiennes de venir s’y installer d’ici six mois ?», avait demandé Xavier-Luc Duval. Le Premier ministre avait alors rétorqué que ce dernierétait en train de faire un « show » en venant avec de telles allégations.

Il y a exactement un an, Pravind Jugnauth avait déclaré à l’ex-chef de l’opposition Arvin Boolell qu’Agalega sera exclusivement géré par Maurice. Aucune cogestion n’est l’agenda, avait-il ajouté. Arvin Boolell était le chef de la diplomatie mauricienne dans un gouvernement de Navin Ramgoolam lorsque la presse indienne avait fait état d’un accord entre Delhi et Port-Louis pour transformer l’archipel, qui se trouve au nord-est de Madagascar, en base militaire indienneDepuis, ces affirmations n’ont jamais cessé.

Vel MOONIEN