Les déboires de la distribution d’électricité au Mali

Notre confrère « Jeune Afrique », il y a quinze jours, rappelait la permanence de relations  financières complexes et perverties dans le secteur de l’énergie. À l’origine de ces critiques, on trouve le dernier rapport du vérificateur général (VEGAL) de la République du Mali, nommé en 2003 par l’ancien président ATT qui dispose à l’époque d’un ministre des finances issu de la Banque mondiale et de l’appui du gouvernement canadien.

Olivier Vallée

Énergie du Mali (EDM), la compagnie malienne chargée de la production, du transport et de la distribution d’électricité au Mali.

A Bamako, la capitale malienne, « les coupures de courant peuvent durer 5-6 heures, parfois même 10 ! Si on a de la lumière la nuit, on n’en a pas la journée et vice-versa », détaille un entrepreneur de 31 ans. Aucun secteur, aucun quartier n’est épargné, au point qu’EDM est surnommée « Energie du mal »« Même les couches les plus aisées munies de groupes électrogènes ne s’en sortent pas », observe encore Abdoul Wahab Diakité, président de l’Association libre des consommateurs maliens.

Un des constats majeurs du rapport du Vérificateur Fénéral (VEGAL) est sans appel: le Ministère chargé de l’Energie n’a pas mis fin à la convention de concession conclue avec le groupe Albatros Energy malgré l’aggravation du déséquilibre financier d’Énergie du Mali (EDM), la compagnie malienne chargée de la production, du transport et de la distribution d’électricité au Mali plombée par ses liens avec ce partenaire apparemment déficient.  » Sur un montant total de 32,772 milliards de FCFA payé à la société Albatros Energy par le Directeur Général de EDM-SA, de janvier 2020 à mai 2022, lit-on dans ce rapport, 57% ont été payés pour une énergie non produite, non enlevée et non consommée par EDM-SA. Même pendant les périodes d’arrêt total, la société Albatros Energy facture plus de 1,200 milliard de FCFA par mois à EDM-SA.» Le contrôle des experts du bureau du VEGAL recense par ailleurs la longue liste des oublis de perception des redevances dues à EDM SA, des paiements sans contrepar;e, des marchés frauduleux, etc.

Le calvaire financier d’EDM SA

Mais pour qu’Albatros Energy Mali (qui a un correspondant français portant le même nom et à la tête de plusieurs prospères Sociétés Civiles Immobilières) devienne le fardeau financier du groupe public malien de l’électricité, il a fallu un réseau de complicités et de dévoiements. Dans les années 2010, le DG D’EDM SA avait établi un schéma comparable avec la SOPAM, un partenaire ad hoc pour la réalisation d’unités de production thermique et un levier qui permettait, à nouveau, de lever des ressources financières par d’autres canaux, 

Avec Albatros Energy, les patrons de l’énergie malienne et de sa nébuleuse étatique pensaient aussi trouver un relais pour sortir EDM SA de son marasme financier.

En effet, en 2017, EDM S.A. avait 105,6 milliards FCFA (186 millions $ US) de créances en souffrance, dont 27,2 milliards FCFA (48 millions $US) se rapportant aux factures impayées d’éclairages publics, d’entreprises publiques et d’autres clients du secteur public. En 2017, la dette d’EDM SA s’élevait à 163,5 milliards FCFA (288 millions $ US) auprès de 16 institutions financières différentes (y compris des institutions de financement de développement et des banques commerciales).

Pour survivre, il aurait fallu procéder au recouvrement d’au moins 50% des créances échues sur SOPAM et au remboursement de la dette commerciale pour environ 95milliards de FCFA. Rien ne sera fait pour traiter l’état des dettes croisées entre l’État et EDM vs SOPAM. En 2016, SOPAM se retire de sa concession et il faut à tout prix qu’ Albatros vienne tenir sa place dans le circuit d’évapora;on de l’argent public à travers lepartenariat.

Le président d’alors, IBK, connait bien la situation et se trouve ravi que son second mandat commence avec un nouveau chevalier blanc qui viendrait au secours de l’électricité nationale. Les caractéristiques du nouveau Partenariat Public Privé (PPP) entre l’État et Albatros Energy annonçaient pourtant l’accentuation de mauvaises pratiques antérieures.

Le président IBK inaugure la centrale thermique d’Albatros Energy Mali S.A à Kayes, dans l’ouest du Mali. Il s’agit du premier projet indépendant d’électricité dans l’Afrique de l’Ouest (IPP) à alimenter le réseau national

Albatros Energy, un véhicule financier 

A peine réélu à la Présidence malienne en 2018, IBK va inaugurer la centrale thermique Albatros de Kayes. Elle devait faire passer la capacité énergétique malienne à 440 Mégawatts, contre 350 Mégawatts. Exploitée sur 20 ans par le concessionnaire et actionnaire majoritaire, la société de droit malien Albatros Energy, dont elle porte le nom, la centrale ne devait pas peser sur le bilan déjà inquiétant d’EDM SA. Avant la rétrocession, en 2038, de cette infrastructure à l’État malien, Albatros Energy doit vendre sa production énergétique à la compagnie d’électricité publique du Mali, EDM SA.

Albatros Energy et son partenaire, African Infrastructure Investment Managers (AIIM), un des principaux capital-investisseurs actifs sur le continent, investiront très peu de fonds propres dans la construction de la centrale électrique. Le patron malien d’Albatros, Amadou Sow, a fait un joli tour de table de financiers publics africains et internationaux. On compte parmi les bailleurs de fonds: la Banque Ouest Africaine de Développement («BOAD»), la Banque Islamique de Développement («BID»), la Coopération Islamique pour le développement du secteur privé («IDC»), le Fonds OPEP pour le développement international («OFID»), The Emerging Africa Infrastructure Fund («EAIF») et Guarant Co. On conjugue financement islamique et crédits conventionnels. La Banque Internationale pour le Mali (« BIM-SA ») met à disposi;on d’Albatros Energy Mali SA une ligne pour le financement du fond de roulement.

Le röle clé de Rabat

Apjariwafa Bank, premier groupe bancaire marocain

Le Maroc joue un rôle clé dans ce montage. Première banque du Maroc, d’Afrique du nord et 4e banque d’Afrique, Apjariwafa Bank joue le rôle de chef du montage financier.

Le souci est que la SOPAM qui a emprunté pour le compte EDM SA ne rembourse pas sa dette. Début 2019, il faut un plan pour apurer le passif de 32 millions de dollars de SOPAM Energie. Albatros Energy, encore eux, vient donc se substituer à SOPAM dans un projet de plus grande ampleur et dans un contexte politique où les oligarques de l’énergie accèdent en priorité aux liquidités bancaires.

Le paradoxe malien, le voici: la vente quotidienne d’électricité permet à EDM SA de disposer parfois de plus de billets de banque que le trésor public. Mais les dettes du géant de l’électricité sont peu ou mal remboursées.